Quel délai de prescription en cas de pratiques anti-concurrentielles ayant cessé antérieurement à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l’article L. 482-1 du code de commerce ?

Dans cette affaire, pour des faits commis du 8 octobre 2001 au 22 septembre 2011, l’Autorité de la concurrence a sanctionné trois entreprises intervenant dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation des produits de revêtements de sols pour entente illicite.

Suite aux préjudices subis, le centre hospitalier lésé a sollicité le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg pour la prescription d’une expertise visant à évaluer les dommages encourus lors de la construction d’un nouvel hôpital. Par une ordonnance du 6 novembre 2021, rendue sur le fondement des dispositions de l’article R. 532-1 du Code de justice administrative, le juge des référés a fait droit à cette demande. Puis, par une seconde ordonnance, une seconde société a été mise en cause.

Les sociétés ont alors fait appel de ces deux ordonnances.

La Cour administrative d’appel de Nancy a constaté que le centre hospitalier n’avait eu connaissance des faits, de leur qualification, des auteurs, et de l’existence d’un préjudice subi qu’à la date de la décision de l’Autorité de la concurrence, soit le 18 octobre 2017.

Au titre de l’article L. 482-1 du code de commerce, la Cour administrative d’appel a estimé que la demande d’expertise avait été formée dans les délais.

Devant le Conseil d’État, les sociétés soutiennent que les dispositions du code de commerce ne s’appliquent qu’aux pratiques anticoncurrentielles postérieures à leur entrée en vigueur, accusant ainsi la cour administrative d’avoir commis une erreur de droit.

Le rapporteur public, N. Labrune, soulève la question de droit suivante :

« La règle de prescription fixée par le nouvel article L. 482-1 du code de commerce est-elle applicable aux actions indemnitaires fondées sur des pratiques concurrentielles commises et ayant cessé antérieurement à l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, si les victimes n’ont eu connaissance de ces pratiques et n’agissent que postérieurement à cette entrée en vigueur ? ».

Pour y répondre, le Conseil d’État va construire son raisonnement grâce aux dispositions de l’article 22 de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions et celles de l’article 12 de l’ordonnance n°2017-303 du 9 mars 2017 qui la transpose.

Ces articles font une distinction entre les dispositions « procédurales »  et les dispositions « substantielles » entrant en vigueur après la publication de l’ordonnance. Puisque l’appréciation du caractère substantiel ou procédural d’une disposition est autonome du droit de l’union, le Conseil d’État doit prendre sa décision.

Pour cela, il se base sur l’arrêt Volvo AB de la CJUE, du 22 juin 2022 selon lequel :

« Eu égard aux développements qui précèdent, il y a lieu de considérer que l’article 10 de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, et que relève de son champ d’application temporel un recours en dommages et intérêts pour une infraction au droit de la concurrence qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de ladite directive, a été introduit après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national, dans la mesure où le délai de prescription applicable à ce recours en vertu des anciennes règles ne s’est pas écoulé avant la date d’expiration du délai de transposition de la même directive ».

En ce sens, les juges du palais royal concluent que les règles de prescription sont de nature procédurales :

« 8. Il résulte par ailleurs des dispositions de l’article 12 de l’ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles qui a transposé la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l’Union européenne, lues à la lumière de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 22 juin 2022, Volvo AB et DAF Trucks NV c. RM (C-267/20), que les dispositions de l’article L. 482-1 du code de commerce créées par cette ordonnance instituant une nouvelle règle de prescription s’appliquent aux actions indemnitaires introduites à compter de leur entrée en vigueur, y compris lorsqu’elles portent sur des pratiques anticoncurrentielles qui ont pris fin avant leur entrée en vigueur, dans la mesure où ces actions n’étaient pas déjà prescrites en vertu des règles antérieurement applicables ».

Ainsi, la cour administrative d’appel de Nancy qui a fixé au 18 octobre 2017 le point de départ du délai de prescription de l’action indemnitaire que le centre hospitalier envisage d’introduire.

L’action n’était pas prescrite en vertu des anciennes règles. La demande d’expertise est donc considérée comme pertinente, les autres moyens ne sont pas fondés.

Leur pourvoi est rejeté par le Conseil d’État, lequel confirme que le délai de prescription en matière d’indemnisation de pratiques anticoncurrentielles prévu par le code de commerce peut s’appliquer aux pratiques qui ont pris fin avant son entrée en vigueur.

Conseil d’État, 1er juin 2023, n°468098