Survol de la loi « visant à renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport »

A été publiée, au JO de ce 9 mars, la loi 2024-201 du 8 mars 2024 visant à renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport (NOR : SPOV2316392L) :

Largement et rapidement adoptée par les deux chambres (I), cette loi comporte deux articles (II et III).

 

I. Genèse, chiffres

 

Ce texte est issu d’une proposition de loi sénatoriale, avec en primo-déposant M. Sebastien PLA, dont voici quelques extraits, épars, tiré de son intéressant et édifiant exposé des motifs :

« 15,3 % des adultes aujourd’hui disent avoir subi des violences pendant l’enfance. Le juge Édouard Durand, qui co-préside la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles envers les enfants (Ciivise), estime quant à lui qu’il y aurait près de 160.000 enfants victimes de violences sexuelles par an. Dans chaque école, les associations affirment, elles aussi, que 3 à 5 enfants par classe ont été victimes, au moins une fois, de violences sexuelles .
En France métropolitaine, près d’une femme sur 10 dénonce en effet avoir subi des violences sexuelles avant l’âge de 18 ans.
Les victimes de violences sexuelles sont dans 80% des cas, des petites filles, âgées de 4 à 9 ans, et ces violences sont majoritairement exercées par les hommes, généralement un membre proche de l’entourage familial, le lieu de l’agression est, souvent d’ailleurs, le domicile familial.

[…] Le témoignage de la championne de patinage, Sarah Abitbol, « un si long silence », ainsi que le livre de Camille Kouchner « la familia grande » ont fait date à leur tour et constituent un nouveau point d’ancrage dans la lutte contre les violences sexuelles incestueuses en France.

[…] l’omerta sur le sujet des violences sexuelles qui a longtemps prévalu dans le milieu sportif s’est enfin brisée , faisant un douloureux écho aux témoignages de sportives victimes de violences, par le passé, comme Isabelle Demongeot, ou encore l’athlète Catherine Moyon de Baecque.

La médiatisation de la violence et des conséquences traumatiques graves de ces agressions sexuelles nous laisse espérer que le mouvement de libération de la parole ait enfin gagné le champ du sport pour que « la honte puisse changer de camp » car, hélas, près d’un sportif sur dix déclare, aussi, avoir fait l’objet d’atteinte à son intégrité.

[…]

Les adultes responsables des structures sportives comme leurs usagers doivent avoir conscience que l’organisation de la pratique sportive peut fournir un terrain favorable à l’apparition des violences sexuelles et qu’il existe un risque de voir les victimes conserver le silence, le secret des violences dont elles sont ou ont été l’objet.

Des situations à risque peuvent être identifiées en marge de la pratique sportive, dans les vestiaires, à l’occasion de déplacements, de stages, dans les internats etc….. Les soirées festives, peuvent également favoriser l’émergence de telles violences ; l’alcool, les substances psychotropes constituent des éléments aggravant ces risques.

Selon la cellule ministérielle qui recense les violences sexuelles dans le sport, 610 affaires ont déjà été signalées à la cellule qui traite le problème des violences sexuelles dans le sport depuis sa mise en place en 2020, affaires dans lesquelles 84% des victimes sont des mineurs. D’après les données publiées par le Ministère des Sports, 73 % des dossiers concernent des faits commis au cours des 10 dernières années et 107 affaires portent sur seule la saison sportive 2020-2021. Au total, 655 personnes sont mises en cause, dont 97% d’hommes. Actuellement, 449 dossiers sont clos alors que 206 enquêtes sont en cours. La majorité des fédérations sportives sont concernées c’est pourquoi, en juin 2021, le ministère des Sports a lancé un plan de prévention des violences sexuelles accompagné d’un kit de sensibilisation à destination des encadrants, éducateurs, bénévoles et familles.

Le constat est donc bien là, les violences sexuelles dans le sport existent et nous ne pouvons les ignorer davantage.

L’objet de la présente proposition de loi est de renforcer le dispositif de contrôle de l’honorabilité à l’égard des adultes intervenant auprès de mineurs au sein d’établissements dans lesquels sont pratiquées des activités physiques ou sportives, en complétant les obligations qui découlent de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 […] »

 

 

II. Un contrôle annuel de l’honorabilité des éducateurs sportifs, des exploitants d’établissement d’activités physiques et sportives, des juges et arbitres, que leurs fonctions soient exercées à titre bénévole ou professionnel…. par une double consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et du fichier judiciaire national

 

Le premier est ainsi rédigé :

  • Après le I de l’article L. 212-9 du code du sport, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
    « I bis. – Le contrôle annuel des incapacités mentionnées au I du présent article est assuré par la délivrance du bulletin n° 2 du casier judiciaire dans les conditions prévues à l’article 776 du code de procédure pénale et par l’accès aux informations contenues dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes dans les conditions prévues à l’article 706-53-7 du même code.
    « En cas de condamnation prononcée par une juridiction étrangère et passée en force de chose jugée pour une infraction constituant, selon la loi française, un crime ou l’un des délits mentionnés au I du présent article, le tribunal judiciaire du domicile du condamné, statuant en matière correctionnelle, déclare, à la requête du ministère public, qu’il y a lieu à l’application de l’incapacité d’exercice prévue au présent article, après constatation de la régularité et de la légalité de la condamnation, l’intéressé dûment appelé en chambre du conseil.
    « Les personnes faisant l’objet d’une incapacité d’exercice peuvent demander à en être relevées dans les conditions prévues à l’article 132-21 du code pénal ainsi qu’aux articles 702-1 et 703 du code de procédure pénale. Cette requête est portée devant la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le requérant réside lorsque la condamnation résulte d’une condamnation étrangère et qu’il a été fait application du deuxième alinéa du présent I bis.
    « Par dérogation à l’article 133-16 du code pénal, les incapacités prévues au présent article sont applicables en cas de condamnation définitive figurant au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes même si cette condamnation n’est plus inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire. »

 

Voici un rapide décorticage de cet article, où j’admet avoir pillé quelques phrases tirées des rapports parlementaires que j’ai compulsé pour mieux comprendre ce texte.

Cet article inscrit donc dans la loi le principe d’annualité du contrôle de l’honorabilité des éducateurs sportifs, des exploitants d’établissement d’activités physiques et sportives, des juges et arbitres, que leurs fonctions soient exercées à titre bénévole ou professionnel.

Ce contrôle d’honorabilité s’opère par une double consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). Avec donc un alignement des nouvelles règles sportives sur celles en vigueur dans le secteur social et médico-social, depuis la loi n° 2022-140 du 7 février 2022, dite « Loi Taquet » (article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles).

Par ailleurs, cet article introduit une incapacité d’exercice pour les personnes condamnées par une juridiction étrangère à une condamnation incapacitante en droit français.

Il est possible d’y voir aussi une base légale à la cellule Signal-sports.

Sur cette cellule, voir :

Enfin, par exception au principe de réhabilitation pénale, le présent article prévoit que les incapacités relevant du contrôle de l’honorabilité sont applicables en cas de condamnation définitive figurant dans le FIJAISV, même si celle-ci n’est plus inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

Le texte initial de la proposition de loi, qui comportait un article unique, prévoyait, outre le contrôle de l’honorabilité à travers la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et du FIJAISV, un contrôle du bulletin n° 3 du casier judiciaire par les responsables des EAPS, mais comme un rapport de l’Assemblée Nationale le signale (voir ici), « selon M. Lozach, un dirigeant sportif aurait pu, après consultation du bulletin n° 3 du casier judiciaire, ”de bonne foi estimer qu’une personne satisfait au contrôle de l’honorabilité, alors que ce n’est pas le cas” ». 

 

 

III. Obligation de signalement ; mesure administrative d’interdiction de diriger un EAPS pour les responsables de club qui seraient peu disposés à lutter contre les violences à caractère sexuel

 

L’article 2, qui lui est issu des débats parlementaires, est ainsi rédigé :

  • Le code du sport est ainsi modifié :
    1° L’article L. 131-8-1 est ainsi rétabli :

    « Art. L. 131-8-1. – Les fédérations agréées informent sans délai le ministre chargé des sports lorsqu’elles ont connaissance du comportement d’une personne mentionnée au I de l’article L. 212-9 ou à l’article L. 322-1 dont le maintien en activité constitue un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants. » ;

    2° L’article L. 322-3 est ainsi rétabli :

    « Art. L. 322-3. – L’autorité administrative peut, par arrêté motivé, prononcer l’interdiction d’exercer, à titre temporaire ou définitif, la fonction mentionnée à l’article L. 322-1 à l’encontre de toute personne :
    « 1° Dont le maintien en activité constitue un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants ;
    « 2° Employant ou permettant l’intervention, en méconnaissance de l’article L. 212-9, de personnes faisant l’objet d’une incapacité d’exercice prévue au même article L. 212-9 ou, en méconnaissance de l’article L. 212-13, de personnes faisant l’objet d’une mesure prise en application du même article L. 212-13 ;
    « 3° Méconnaissant l’obligation prévue à l’article L. 322-4-1 d’informer l’autorité administrative du comportement d’une personne mentionnée au I de l’article L. 212-9 dont le maintien en activité constitue un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants.
    « Cet arrêté est pris après avis d’une commission comprenant des représentants de l’Etat, du mouvement sportif et des différentes catégories de personnes intéressées. Toutefois, en cas d’urgence, l’autorité administrative peut, sans consultation de la commission, prononcer une interdiction temporaire d’exercice limitée à six mois. Dans le cas où l’intéressé fait l’objet de poursuites pénales, la mesure d’interdiction temporaire d’exercer auprès de mineurs s’applique jusqu’à l’intervention d’une décision définitive rendue par la juridiction compétente.
    « Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions d’application du présent article. » ;

    3° Le 1° de l’article L. 322-4 est ainsi rétabli :
    « 1° D’exploiter soit directement, soit par l’intermédiaire d’un tiers, un établissement dans lequel sont pratiquées des activités physiques ou sportives en méconnaissance d’une mesure prise en application de l’article L. 322-3 ; »
    4° Après le même article L. 322-4, il est inséré un article L. 322-4-1 ainsi rédigé :

    « Art. L. 322-4-1. – L’exploitant d’un établissement mentionné à l’article L. 322-1 est tenu d’informer sans délai l’autorité administrative lorsqu’il a connaissance du comportement d’une personne mentionnée au I de l’article L. 212-9 dont le maintien en activité constitue un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants. »

     

     

S’impose donc une obligation de signalement à l’autorité administrative pour les dirigeants de club et pour les fédérations sportives agréées en cas de comportements à risques et création d’une mesure administrative d’interdiction de diriger un club sportif. 

Cette obligation administrative de signalement pèse sur les responsables d’établissement d’activités physiques et sportives (EAPS) ainsi sur les fédérations sportives agréées en cas de comportements à risques dans un club.

Cet article introduit aussi une mesure administrative d’interdiction de diriger un EAPS pour les responsables de club qui seraient peu disposés à lutter contre les violences à caractère sexuel.

Comme le résume ici Vie publique, cette interdiction temporaire ou définitive d’exercer pourra être prononcée :

« contre un dirigeant de club dans trois cas :

      • lorsqu’il représente lui-même un danger pour la sécurité et la santé physique ou morale des pratiquants du club ;
      • lorsqu’il emploie une personne ne respectant pas les conditions d’honorabilité ou un éducateur sportif interdit d’exercer ;
      • lorsqu’il ne signale pas à l’administration des comportements à risques d’un éducateur sportif au sein de son club.

Le non-respect de cette interdiction de diriger sera puni d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. »

 

Les parlementaires (voir ici) ont noté que « rien n’empêche un dirigeant confronté à une décision de fermeture d’ouvrir un autre établissement » et que « dans le cadre du futur projet de loi-cadre évoqué par Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre en charge des sports, il conviendra de revenir sur ce point ».

 

Crédits : coll. pers. 2022 ; sculpture à Oslo « Fearless Girl » de Kristen Visbal 2018