Abandon de poste : la signification par huissier de la lettre de mise en demeure de reprendre son poste produit des effets même en l’absence de l’agent de son domicile.

Par un arrêt M. B… c/ ministre de l’action et des comptes publics en date du 15 mars 2023 (req. n° 456789), le Conseil d’État a précisé qu’en cas de signification par voie d’huissier, la circonstance que le destinataire d’une mise en demeure de rejoindre son poste soit absent de son domicile connu ne saurait faire obstacle à ce que celle-ci produise ses effets dès lors que l’avis de passage laissé audit domicile, conformément à l’article 656 du code de procédure civile, mentionne la nature de l’acte et le fait qu’une copie doit en être retirée dans le plus bref délai.

M. A… B…, inspecteur des finances publiques, après s’être vu infligé, par un arrêté du 24 septembre 2018 du ministre de l’action et des comptes publics, une sanction disciplinaire de déplacement d’office, a été affecté à la direction régionale des finances publiques du Centre-Val de Loire et du département du Loiret, à Orléans, à compter du 1er novembre 2018.

Or, M. B… ne s’est pas présenté dans son nouveau service le 5 novembre 2018, date à laquelle il était attendu, ni le 6 novembre 2018, sans en informer son administration. Il a ensuite fourni à son administration un arrêt maladie pour la période du 7 novembre au 7 décembre 2018. Puis, par un courrier du 21 novembre 2018 de la direction régionale des finances publiques du Centre-Val de Loire, signifié par acte d’huissier, il a été invité à se présenter à son poste le 10 décembre 2018. Il ne s’est pas présenté dans son nouveau service le 10 décembre ni les jours suivants.

Par un courrier du 14 décembre 2018 du directeur régional des finances publiques du Centre-Val de Loire, il a été mis en demeure de se présenter dans son nouveau service au plus tard le 19 décembre 2018, sous peine de s’exposer à être radié des cadres pour abandon de poste, sans le bénéfice des garanties de la procédure disciplinaire. Ce courrier de mise en demeure lui a été signifié à son domicile, seule adresse connue de l’administration, par acte d’huissier de justice, le 17 décembre 2018. En l’absence de M. B…, l’huissier de justice, conformément à l’article 656 du code de procédure civile, a laissé à son domicile un avis de passage, mentionnant que lui était signifié un courrier de mise en demeure de reprendre ses fonctions et que ce courrier devait être retiré dans le plus bref délai à son étude.

M. B… ne s’étant pas présenté le 19 décembre, il a été radié des cadres pour abandon de poste à compter du 20 décembre 2018, par un arrêté du même jour du directeur du service d’appui aux ressources humaines (SARH) de la direction générale des finances publiques.

M. B… a alors attaqué cette décision de radiation des cadres en considérant qu’il n’avait pas bénéficier d’un délai suffisant entre la notification de la mise en demeure et l’intervention de ladite décision, d’autant qu’étant absent de son domicile lors du passage de l’huissier, ce dernier s’était borné à déposer un avis de passage.

M. B… s’est pourvu en cassation contre l’arrêt du 20 juillet 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté son appel formé contre un précédent jugement l’ayant débouté.

Conformément à sa jurisprudence constante, le Conseil d’État rappelle tout d’abord qu’une « mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l’agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié, qu’il appartient à l’administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d’un document écrit, notifié à l’intéressé, l’informant du risque qu’il encourt d’une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable. Lorsque l’agent ne s’est pas présenté et n’a fait connaître à l’administration aucune intention avant l’expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l’absence de toute justification d’ordre matériel ou médical, présentée par l’agent, de nature à expliquer le retard qu’il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d’estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l’intéressé. »

Or, en l’occurrence, et c’est là l’intérêt de l’arrêt, le Conseil d’État a jugé que « pour écarter le moyen tiré de ce que l’intéressé n’avait pas bénéficié d’un délai suffisant pour rejoindre son poste, la cour administrative d’appel a relevé que M. B…, qui n’avait pas retiré les précédents courriers qui lui avaient été signifiés par acte d’huissier, notamment le 27 novembre 2018, ne pouvait être regardé comme ayant accompli toutes les diligences pour retirer dans le plus bref délai, ainsi que le prévoient les dispositions précitées de l’article 656 du code de procédure civile, les courriers qui lui avaient été adressés par son employeur à son domicile. La cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’en cas de signification par voie d’huissier, la circonstance que le destinataire d’une mise en demeure de rejoindre son poste soit absent ne saurait faire obstacle à ce que celle-ci produise ses effets dès lors que l’avis, conformément à l’article 656 du code de procédure civile, mentionne la nature de l’acte et le fait qu’une copie doit en être retirée dans le plus bref délai. Elle n’a pas davantage entaché son arrêt de dénaturation des faits en estimant que, dans les circonstances de l’espèce, un délai suffisant avait été laissé à M. B… pour rejoindre son poste, ni d’erreur de qualification juridique en jugeant que son comportement devait être regardé comme un abandon de poste. »

Cet arrêt peut être consulté à partir du lien suivant :

https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2023-03-15/456789