BEFA : trop adapter la structure… c’est CONTRACTER un marché de travaux (interprétation SOUVERAINE du juge)

Bail en l’état futur d’achèvement : trop adapter la structure architecturale d’un bâtiment à ses besoins… c’est CONTRACTER un marché de travaux (selon l’interprétation SOUVERAINE du juge)

Le contrat par lequel un pouvoir adjudicateur prend à bail ou acquiert des biens immobiliers qui doivent faire l’objet de travaux à la charge de son cocontractant constitue un marché de travaux s’il « résulte des stipulations du contrat qu’il exerce une influence déterminante sur la conception des ouvrages. Tel est le cas lorsqu’il est établi que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. Les demandes de l’acheteur concernant les aménagements intérieurs nepeuvent » en revanche, « être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur.»

 

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Cher ami lecteur… tu as sans doute eu « ouï dire » qu’il était important de savoir ce que l’on contracte (voir notamment ici pour les rares qui auraient échappé à ce gros délire).

C’est vrai aussi.. en droit. Le vrai.

C’est vrai en VEFA. C’est vrai aussi en matière de « bail en l’état futur d’achèvement ».

Il arrive alors que le juge re-qualifie certains de ces contrats, y compris dans des cas de vente avec travaux utiles pour la collectivité et réservation possible ou en cas d’acquisition par la collectivité en VEFA avec en réalité des exigences qui font que l’opération glisse vers un marché de travaux.

Voir par exemple :

Autres sources, parfois également tolérantes sur ce point : CAA Douai 25 octobre 2012, req. n° 11DA01951 ; CAA Bordeaux 18 juillet 2016, Société Lory, req. n° 15BX00192 […] ; CAA Marseille 25 février 2010, Commune de Rognes, req. n° 07MA03620 ; concl. F. Dieu, AJDA 2010, p. 1200 ». Pour un arrêt d’une grande souplesse refusant une telle requalification, voir : CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 17/05/2021, 19MA03527. Voir ici notre article à ce sujet. Pour les sources plus canoniques, voir CJUE, 22 avril 2021, Commission c/ Autriche, aff. C-537/19, not. pts 49 à 53 ; pour une vente en l’état futur d’achèvement (VEFA), et en précisant les critères, CE, Section, 8 février 1991, Région Midi-Pyrénées, n° 57679, rec. p. 41.

Voir : Personnes publiques et VEFA (vente en l’état futur d’achèvement)[VIDEO] 

Reste que quand on demande trop à adapter les lieux, on glisse tout de même assez vite vers une requalification en marché de travaux.

A preuve, un nouvel arrêt du Conseil d’Etat.

Un centre hospitalier avait conclu avec une SCI un « bail en l’état futur d’achèvement », qui prévoyait la location au centre hospitalier de deux bâtiments existants après l’aménagement de l’un d’eux ainsi que d’un nouveau bâtiment à construire, pour une durée de quinze ans, avec une option d’achat après la douzième année.

Ce contrat était-il requalifiable en marché public de travaux (auquel cas il était illégal à divers titres) ? Poser cette question c’était nécessairement s’interroger sur le point de savoir si ce centre hospitalier public avait, ou non, « exercé une influence déterminante sur la conception de cet ouvrage ».

La réponse est sans appel :

« 4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en particulier du contrat en litige, de la notice descriptive sommaire et du cahier des prestations techniques d’aménagement et de livraison qui lui sont annexés, ainsi que de la lettre du 18 mai 2017 que le centre hospitalier a adressé à France domaine, que tant l’aménagement du bâtiment existant A que la construction et l’aménagement du nouveau bâtiment C répondent aux besoins exprimés par le centre hospitalier, visant à regrouper ses activités ambulatoires de psychiatrie infanto-juvénile ainsi que le centre d’accueil thérapeutique à temps partiel et les hôpitaux de jours consacrés à l’accueil d’enfants de moins de 12 ans, et aux exigences spécifiques qu’il a fixées relatives, d’une part, à l’implantation du nouveau bâtiment C dans la continuité du bâtiment A, d’autre part, aux nombreux aménagements intérieurs des bâtiments A et C nécessaires aux activités thérapeutiques spécifiques devant s’y dérouler. En jugeant qu’un tel contrat, dénommé par les parties  » bail en l’état futur d’achèvement « , constitue, en application des dispositions des articles 4 et 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 citées au point 3, un marché public de travaux dès lors que l’ouvrage répondait aux besoins exprimés par le centre hospitalier, estimant nécessairement qu’il avait exercé une influence déterminante sur la conception de cet ouvrage, la cour administrative d’appel de Marseille, qui n’a relevé qu’à titre surabondant l’existence d’une clause d’option d’achat, n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits de l’espèce.»

En l’espèce, le dossier semblait laisser peu de place au doute. Et le rappel du principe ne surprend guère. Le Conseil d’Etat pose en effet que « le contrat par lequel un pouvoir adjudicateur prend à bail ou acquiert des biens immobiliers qui doivent faire l’objet de travaux à la charge de son cocontractant constitue un marché de travaux » lorsqu’il « résulte des stipulations du contrat qu’il exerce une influence déterminante sur la conception des ouvrages.»

Mais à cette occasion le Conseil d’Etat affine ses critères pour bien distinguer intérieur et extérieur :

  • il y a une telle influence déterminant « lorsqu’il est établi que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs
  • en revanche, les « demandes de l’acheteur concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur.»

NB : les citations ci-avant sont reprises des futures tables du rec., elles-mêmes reprenant, bien évidemment, les formulations de la décision du Conseil d’Etat. 

Evidemment, dès qu’il y a requalification, certaines clauses qui seraient contraires au droit de la commande publique deviennent illégales voire peuvent conférer une illicéité au contenu du contrat. Tel était le cas, en l’espèce, pour la clause de paiement différé indivisible du reste du contrat.

Source :

Conseil d’État, 3 avril 2024, n° 472476, au recueil Lebon

Voir aussi les conclusions de M. Nicolas LABRUNE, Rapporteur public :

 

Légende : personne découvrant par ouï-dire qu’elle avait contracté (un marché public en l’espèce [en sus du virus du complotisme le plus échevelé])