Qui, de l’exécutif ou de l’organe délibérant, a compétence pour fixer l’identité visuelle ou symbolique (blason, gentilé, nom…) de la collectivité ? Pour décider de l’apposition de tel ou tel drapeau sur son parvis ? Avec quelles limites en droit ?
Voyons tout ceci au fil d’une vidéo et d’un article.

I. VIDEO (5 mn 15)

II. ARTICLE
Qui, de l’exécutif ou de l’organe délibérant, a compétence pour fixer l’identité visuelle de la collectivité ?
A cette question, le TA de la Martinique avait, par exemple, dans le passé, posé que de telles compétences relèvent de l’assemblée délibérante et non de l’exécutif (jugement n°s 1900632-1900633-1900634-1900635 du 15 novembre 2021).

Dans le même sens, le TA de Nantes a jugé qu’il en va de même pour la décision d’arborer, ou non, tel ou tel drapeau dans la cour d’honneur d’un hôtel de ville… Ce qui pouvait se discuter s’agissant d’une décision de gestion du domaine public… mais qui se conçoit si l’on privilégie l’aspect symbolique et identitaire de cette décision.
De fait, tout comme dans le précédent martiniquais, l’affaire touche aux symboles les plus profonds de la région. Ce n’est pas le demi-breton que je suis qui niera l’importance de l’identité, bretonne ou non, de tout ou partie de la Loire-Atlantique.
En effet, la cour d’honneur de l’hôtel de ville de Nantes était, depuis 2020, pavoisée, à côté des drapeaux français, européen et nantais, d’un drapeau breton (le « gwenn ha du ») hissé à l’occasion d’une cérémonie spécialement organisée afin de tenir « un engagement de la campagne électorale » de la maire.

Par un jugement du 16 octobre 2024, le tribunal administratif de la ville éponyme a annulé cette décision, estimant qu’elle a été prise par une autorité incompétente, sans avoir besoin de se prononcer sur la question du respect du principe de neutralité du service public posée par l’administré.
C’est en effet, en application de l’article L. 2121‑29 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal qui est compétent de plein droit pour régler « par ses délibérations les affaires de la commune ». L’exercice des compétences qui ne sont pas dévolues expressément à une autre autorité revient au conseil municipal, et aucune disposition de l’article L. 2122‑21 du même code, qui énumère les attributions exercées au nom de la commune par le maire, invoqué par la commune devant le tribunal, ne donne pouvoir à la maire de Nantes, en l’absence de délibération ou sur délégation du conseil municipal, de décider de ce pavoisement.
Ce que le TA formule ainsi :
« 3. Il est constant que la décision, révélée au cours d’une cérémonie qui s’est tenue le 17 décembre 2020, de pavoiser la cour d’honneur de l’hôtel de ville d’un drapeau breton aux couleurs noires et blanches, n’a été précédée d’aucune délibération du conseil municipal et doit, dès lors, être regardée comme ayant été prise par la maire de Nantes. Si la commune de Nantes justifie la compétence de sa maire en se fondant sur les dispositions précitées de l’article L.2122- 21 du code général des collectivités territoriales pour en déduire qu’elle avait une compétence propre l’y habilitant, il résulte toutefois de ces dispositions, combinées avec celles de l’article L.2121-29 également précité du même code, que l’exercice des compétences qui ne sont pas dévolues expressément à une autre autorité revient au conseil municipal, qui est compétent de plein droit pour régler par ses délibérations les affaires de la commune.
[…]
Dans ces conditions, en l’absence d’une délibération ou d’une délégation du conseil municipal autorisant la maire à faire flotter ce drapeau dans la cour d’honneur de l’hôtel de ville de la commune de Nantes, la décision « révélée » le 17 décembre 2020 a été édictée par une autorité incompétente.»
NB : il est de jurisprudence constante qu’en effet quand une compétence est donnée à la collectivité, cela renvoie sauf texte contraire à l’assemblée délibérante…
Plus discutable à notre sens est le paragraphe suivant de la décision du TA :
« Au demeurant, la décision de pavoiser la cour d’honneur de l’hôtel de ville d’un drapeau breton, ne se rattache ni à la conservation et l’administration des propriétés de la commune, ni à la direction des travaux communaux au sens des dispositions de l’article L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales. »
Il est laissé à la commune un délai de quinze jours pour procéder au retrait de ce drapeau.
Source :

Une telle décision s’étend naturellement :
- au gentilé des habitants
- aux décisions de proposition de nom de la structure
- à d’autres symboles qui peuvent résulter notamment de tel ou tel cadre législatif (exemple pour les permis de conduire en Nouvelle-Calédonie : TA Nouvelle-Caledonie, 18 juillet 2024, n°2400005)
- aux logos et blasons
Etant rappelé que ces décisions devront respecter :
- le primat de la langue nationale. Une devise traditionnellement en latin ou en langue régionale (créole compris) pourra sans doute demeurer ainsi. La question des nouvelles devises en langue régionale pourrait donner lieu à débats. Etant rappelé que le juge a toujours admis la présence des langues régionales, locales, vernaculaires, mais sans pouvoir remplacer la langue nationale (même via des traductions).
NB : pour des synthèses récentes sur ce point, voir ici et là - l’emblème national, il en va de même, avec par exemple l’impossibilité de remplacer le drapeau national par un drapeau indépendantiste au fronton d’une mairie ( voir ici ; mais sur une formulation qui semble interdire la présence du drapeau indépendantiste par principe, voir CE, 27 juillet 2005, 259806, au rec.), la coexistence de ces deux drapeaux étant en revanche classique (et c’est même le retrait d’un drapeau indépendantiste à côté du drapeau français qui dans une affaire a pu être présenté dans une requête comme étant un élément de polémique électorale : CE, 7e / 2e ss-sect. réunies, 17 juin 2015, n° 386350).
- de même les ajouts à la devise républicaine sont-ils à manier avec précaution (voir par exemple CAA Versailles, 15 décembre 2023, n° 21VE02760)
- le principe de laïcité… mais avec par exemple pour les blasons une acceptation de la prise en compte de l’histoire, ce qui peut conduire à intégrer des noms de famille du cru (TA Bastia, 23 novembre 2017, n°1600529) ou des emblèmes religieux dans certains cas (CE, 15 juillet 2020, n° 423702)
- les compétences pouvant revenir à l’Etat dans certains cas (pour les choix des noms des régions, voir CE, 19 juillet 2017, Association citoyenne pour Occitanie et Pays Catalan et autres ; pour les choix des noms des intercommunalités, voir TA Strasbourg, 4 novembre 2024, Metz Métropole, n° 2107499).
Mais n’oublions pas les souplesses en ce domaine, consistant à pouvoir par exemple se doter d’un nom de marque (comme tant d’intercommunalités) pour peu (et encore… voir ici…) qu’il ne soit pas oublié de la déposer. Rappelons aussi qu’un nom commercial peut inversement parfois être utilisé comme nom de collectivité (pour le cas de la commune nouvelle des Deux-Alpes, voir CAA de Lyon, 18 novembre 2019, n° 17LY02936, cf. ici notre article et cette décision). - le principe de neutralité (pour un résumé récent de l’état de la jurisprudence, voir ici).
Sauf cas particulier, mieux vaut déposer son nom et ses autres éléments d’identité visuelle (claim ; logo ; blason / armoiries…) à l’INPI… et user desdits éléments pour ne pas perdre les droits correspondants (sous la réserve ici précitée). A défaut chacun peut en user. Au point selon les services de l’Etat qu’un blason de la commune appartient à tous (QE 23617 de M. Jean Louis Masson, JO Sénat (Q) 2016, p.5651 (voir ici).

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