Interdiction de privatiser la police… quoique [brève VIDEO et article]

Crédits photographiques : Conseil constitutionnel

Interdiction de déléguer au privé des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique »… à quelques nouveaux (et notables) détails près.

 

Crédits photographiques : Conseil constitutionnel

 

 

Le Conseil constitutionnel confirme l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique »… mais par sa décision n° 2025-878 DC du 24 avril 2025, le Conseil constitutionnel assouplit ce principe. Il pose en effet que cette exigence ne fait cependant pas obstacle :

  • 1/ à ce que des prérogatives de portée limitée puissent être exercées par des personnes privées, dans des lieux déterminés relevant de leur compétence, lorsqu’elles sont strictement nécessaires à l’accomplissement des missions de surveillance ou de sécurité qui leur sont légalement confiées.
  • 2/ à ce que ces personnes puissent être associées à la mise en œuvre de telles prérogatives dans l’espace public, à la condition qu’elles soient alors placées sous le contrôle effectif des agents de la force publique.

Concrètement, ces personnes privées pourront être dotées de prérogatives limitées en ces domaines, mais, schématiquement, sans pouvoir notable de contrainte. 

Voyons ceci avec une très brève vidéo et au fil d’un article un peu plus détaillé. 


 

 

I. VIDEO (1 mn 10)

 

 

https://youtube.com/shorts/2VgNpXeoylM

 

II. ARTICLE (plus détaillé)

 

Aux termes de l’article 12 de la Déclaration de 1789 :

« La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».

 

Il en résulte l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits (décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, cons. 18 et 19 ; décision n° 2017-637 QPC du 16 juin 2017, paragr. 4).

Ainsi une personne publique ne peut-elle :

« légalement ni se décharger globalement sur une personne de droit privé de ses compétences […]. ni davantage exercer celles-ci sous-couvert d’une structure de droit privé »
Source : CE, 27 mars 1995, « Chambre d’agriculture des Alpes-Maritimes », n°108696, rec. p. 143. ; voir aussi sur ces questions l’article du Professeur G. Glénard in DA n°2, févr. 2002, chr. 3).

Voir aussi, dans le même sens, CE, 14 avril 1995, n° 103930 s’agissant de subventions à des établissements d’enseignement privés).

Ce sujet n’est en effet pas nouveau (pour un arrêt important à ce sujet, voir CE, 29 décembre 1997, n° 170606, mentionné aux tables du rec. ; cf. aussi les points 51 à 60 de C. Const., décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021)…. même s’il demeure doté de frontières parfois instables. Voir :

Cette exigence constitue même un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France (décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, paragr. 15) :

« l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits. Cette exigence constitue un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. » (C. Const., décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, Société Air France, paragraphe 15).

 

Voir : Retour sur la naissance du premier « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France» [VIDEO et article]

NB : cette question est bien à distinguer de celle de relative aux fonctions régaliennes puissent être exercées par des NON fonctionnaires qui sont agents de personnes publiques (2019-790 DC, 1er août 2019, cons. 36 ; n° 2023-1042 QPC du 31 mars 2023 ; voir ici). Voir aussi le sujet des personnes privées participant à des rassemblements d’informations au pénal (mais non sans garanties, justement : 2004-499 DC, 29 juillet 2004, cons. 9, 11 et 12, JORF du 7 août 2004, p. 14087, texte n° 9). 

———

A ce titre, mais avec des formulations relatives souples pour les acteurs concernés, le Conseil constitutionnel vient de censurer des dispositions permettant le recours à la contrainte par des agents privés (de la SNCF et de la RATP).

L’article 3 de la loi vise en effet à étendre à des agents privés de sécurité la faculté prévue par le premier alinéa de l’article L. 2241 6 du code des transports d’enjoindre à une personne qui refuserait de se soumettre à une fouille ou à une palpation de sécurité de descendre d’un véhicule de transport ou de quitter les espaces, gares ou stations gérés par un exploitant du réseau de transport public. L’article 4 modifiait quant à lui l’article L. 2241-6 du code des transports afin notamment d’élargir les prérogatives dont disposent les agents mentionnés au paragraphe I de l’article L. 2241-1 du même code en matière d’accès aux espaces, gares ou stations gérés par un exploitant du réseau de transport public, mais aussi le pouvoir de contrainte des agents spécialement désignés par l’exploitant du réseau de transport public, en cas de refus d’obtempérer.

Le Conseil constitutionnel commence bien sûr par rappeler l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits. MAIS la décision ajoute, en des termes inédits, que cette exigence ne fait cependant pas obstacle :

  • 1/ à ce que des prérogatives de portée limitée puissent être exercées par des personnes privées, dans des lieux déterminés relevant de leur compétence, lorsqu’elles sont strictement nécessaires à l’accomplissement des missions de surveillance ou de sécurité qui leur sont légalement confiées.
  • 2/ à ce que ces personnes puissent être associées à la mise en œuvre de telles prérogatives dans l’espace public, à la condition qu’elles soient alors placées sous le contrôle effectif des agents de la force publique.

D’où une censure en l’espèce, mais partielle et avec réserve d’interprétation :

Faisant application du cadre ainsi fixé, le Conseil constitutionnel s’est notamment prononcé sur les dispositions contestées de ces articles 3 et 4. Il a :

  • pour l’article 3 :
    • validé — mais avec une réserve d’interprétation — que ces dispositions permettent à ces agents d’interdire à une personne l’accès à un véhicule de transport ferroviaire ou routier, ou de lui demander soit d’en descendre soit de quitter sans délai les espaces, gares ou stations gérés par l’exploitant du réseau de transport public pour lequel ils agissent. La réserve d’interprétation du Conseil porte sur le fait que ne pourront donner à ces agents le pouvoir de contraindre les usagers qui refuseraient d’obtempérer. Bref on accepte d’armer mais en désarmant. En pratique, ces agents à ce moment là devront donc faire appel aux agents de la force publique.
    • reconnu que l’on était bien là dans le cadre des dérogations limitées de sa nouvelle formulation de ce principe (puisque de de telles mesures ne peuvent être prises qu’en cas de manquement à des dispositions tarifaires ou à des dispositions dont l’inobservation est susceptible de compromettre la sécurité des personnes, la régularité des circulations ou de troubler l’ordre public, ou en cas de refus de l’intéressé de se soumettre à l’inspection ou à la fouille de ses bagages ou à une palpation de sécurité.)
  • pour l’article 4, avec la même logique, il y a censure pour la partie qui concerne le recours à la contrainte sur une personne qui refuserait d’obtempérer, sans devoir requérir l’assistance de la force publique.

 

Par ailleurs, dans cette décision, le Conseil constitutionnel a :

  • censuré la disposition de la loi dans le cadre de la police administrative des transports et prévoyant une expérimentation habilitant les opérateurs d’autocars scolaires à Mayotte à filmer la voie publique (obligation de mieux préciser la durée de mise en oeuvre mais les formulations retenues par le Conseil s’avèrent en réalité souples)
  • assorti de quatre réserves d’interprétation plusieurs autres dispositions,
  • censuré quatre articles comme ayant le caractère de « cavaliers législatifs »,
  • validé l’ensemble des autres dispositions contestées.

 

 

Source :

Décision n° 2025-878 DC du 24 avril 2025, Loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports, Non conformité partielle – réserve


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