Jusqu’où un agent de droit privé, d’une personne publique, peut-il se voir investi de pouvoirs régaliens ? y compris de la constatation d’infractions ?

Crédits photographiques : Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel avait déjà admis que des fonctions régaliennes puissent être exercées par des NON fonctionnaires (2019-790 DC, 1er août 2019, cons. 36), et même que des personnes privées participent à des rassemblements d’informations au pénal (mais non sans garanties, justement : 2004-499 DC, 29 juillet 2004, cons. 9, 11 et 12, JORF du 7 août 2004, p. 14087, texte n° 9). 

Or, le Conseil constitutionnel vient de poursuivre sur cette lancée en admettant que des agents de droit privé d’une personne publique, à savoir l’ONF, puissent constater (en vertu de dispositions législatives spécifiques, bien sûr) certaines infractions et prendre des mesures de police, sans que ce soit contraire ni à l’article 12 de la DDHC (certes) ni contraire à l’article 66 de la Constitution (ce qui pouvait être plus amplement débattu). 


Au terme d’une loi du 7 décembre 2020 et d’une ordonnance du 1er juin 2022, des agents de droit privé de l’ONF se retrouvaient à pouvoir concourir à l’exercice de l’ensemble des missions confiées à cet office, y compris la constatation de certaines infractions.

Or, à cette dévotion de tâches régaliennes, y compris de constatation d’infractions, à des agents de pur droit privé, sans encadrement particulier par rapport à ce qui s’applique aux agents de droit public, le Conseil constitutionnel n’a pas vu malice.

Ces pouvoirs ne sont pas minces (recherches de certaines infractions aux termes des articles L. 161-4, L. 161-4, L. 161-8, L. 161-10, L. 161-12, L. 174-9 du code forestier) avec des pouvoirs conséquents alignés à un détail près sur le régime des agents de droit public (articles L. 222-6, L. 216-3 et L. 231-5 du même code), dont des pouvoirs d’interruptions de travaux et autres prérogatives de puissance publique hors pure constatation d’infractions (interruptions de chantiers et consignation de biens en vertu de l’article L. 363-4 du même code, par exemple).

Le syndicat requérant reproche aux dispositions renvoyées de l’article L. 222-6 du code forestier de permettre à l’Office national des forêts d’employer des agents contractuels de droit privé en vue notamment de l’accomplissement de ses missions de police administrative. Ce faisant, elles auraient pour effet de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative, en méconnaissance de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC).

Or, le Conseil constitutionnel balaye cette argumentation au motif que c’est à l’ONF personne publique que ces missions se trouvent confiées, ce qui dès lors suffit à répondre aux exigences de l’article 12 de la DDHC :

« 22. L’article L. 222-6 du code forestier énumère les différentes catégories de personnel employées par l’Office national des forêts. À ce titre, les dispositions contestées de cet article prévoient que peuvent être recrutés des agents contractuels de droit privé, régis par le code du travail, pour la réalisation de l’ensemble de ses missions, y compris de police administrative.

« 23. Il résulte de l’article L. 221-1 du même code que l’Office national des forêts, établissement public national placé sous la tutelle de l’État, est une personne morale de droit public. En prévoyant que cet établissement public peut employer des agents contractuels de droit privé accomplissant pour son compte des missions de police administrative, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale.

« 24. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l’article 12 de la Déclaration de 1789 ne peut donc qu’être écarté. »

Plus sérieuses semblaient les contestations selon lesquelles constater une infraction ne peut que se faire sous le contrôle de l’autorité judiciaire (art. 66 de la Constitution), et qu’un agent de droit privé ne serait pas en situation de l’être, ou en tous cas pas sans un encadrement juridique ad hoc, absent en l’espèce.

Or, là encore, le Conseil constitutionnel balaye ces contraintes en notant, selon les régimes, que soit l’autorité judiciaire arrive assez vite (quoiqu’en aval de l’intervention desdits agents) soit que ces agents constatent les infractions sans les rechercher, sans conduire d’enquête donc, cette sorte de flagrance suffisant à justifier que l’autorité judiciaire ne soit saisie qu’en aval :

« 29. En vertu des dispositions contestées de l’article L. 161-12 du même code, les agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts transmettent les procès-verbaux d’infractions qu’ils établissent au représentant du ministère public.

« 30. Les dispositions contestées de l’article L. 363-4 du même code prévoient que, lorsque ces agents constatent par procès-verbal un défrichement réalisé en infraction aux dispositions du livre III du code forestier, ils peuvent ordonner l’interruption des travaux et la consignation des matériaux et du matériel de chantier.

« 31. D’une part, il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que les agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts sont uniquement habilités à constater, sans les rechercher, les délits et contraventions prévus par le code forestier et, dans le cas où ils constatent un défrichement illicite, à ordonner des mesures conservatoires.

« 32. D’autre part, les agents contractuels de droit privé, qui doivent être commissionnés et assermentés pour procéder à ces constatations, sont tenus de transmettre, dans les cinq jours, l’original des procès-verbaux qu’ils dressent au procureur de la République ou au directeur régional de l’administration chargée des forêts, selon que l’infraction est constitutive d’un délit ou d’une contravention, et simultanément la copie de ces procès-verbaux à l’autorité qui n’est pas destinataire de l’original. Lorsqu’ils constatent un défrichement illicite pour lequel ils ordonnent une mesure conservatoire, la copie du procès-verbal est transmise sans délai au ministère public.

« 33. Dès lors, compte tenu des prérogatives ainsi confiées à ces agents et de leurs modalités d’exercice, les dispositions contestées ne méconnaissent pas l’exigence de direction et de contrôle de l’autorité judiciaire sur la police judiciaire résultant de l’article 66 de la Constitution.

[…]

« 35. Les dispositions contestées des articles L. 216-3, L. 231-5, L. 341-20, L. 362-5, L. 415-1, L. 428-20, L. 437-1 et L. 541-44 du code de l’environnement donnent compétence aux agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts pour constater les infractions prévues au titre des polices spéciales de l’eau, des milieux physiques, des sites naturels inscrits et classés, d’accès aux espaces naturels, de protection du patrimoine naturel, de la chasse, de la pêche en eau douce et de traitement des déchets. À cette fin, les dispositions contestées du second alinéa du paragraphe II de l’article L. 161-4 du code forestier prévoient que ces agents peuvent retenir l’auteur de l’infraction en cas de refus ou d’impossibilité de justifier de son identité, recueillir les déclarations de toute personne, requérir directement la force publique, procéder à la saisie des objets ayant notamment servi à la commission de l’infraction ou qui en sont le produit, procéder ou faire procéder à la destruction des végétaux et des animaux morts ou non viables ou au placement des animaux et végétaux viables saisis, prélever ou faire prélever des échantillons placés sous scellés en vue d’analyse ou d’essai, ou encore procéder à des communications d’informations et documents détenus ou recueillis dans l’exercice de leurs mission.

« 36. En premier lieu, il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que les agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts sont uniquement habilités à constater, sans les rechercher, certaines infractions prévues par le code de l’environnement et le code de la santé publique.

« 37. En second lieu, d’une part, il résulte des articles L. 172-16 du code de l’environnement et L. 1324-2 du code de la santé publique que ces agents, qui doivent être commissionnés et assermentés pour procéder à ces constatations, sont tenus de transmettre au procureur de la République les procès-verbaux qu’ils dressent dans les cinq jours qui suivent leur clôture.

« 38. D’autre part, si, lorsqu’ils sont investis par le code de l’environnement d’une mission de constatation de certaines infractions, ces agents disposent des pouvoirs particuliers prévus au paragraphe II de l’article L. 161-4 du code forestier, ils ne peuvent les exercer que pour les besoins de cette mission et sous le contrôle, selon les cas, d’un officier de police judiciaire ou du procureur de la République. En particulier, ils ne peuvent retenir l’auteur d’une infraction que pendant le temps nécessaire à l’information et à la décision de l’officier de police judiciaire et doivent obtenir l’autorisation du procureur de la République pour pouvoir procéder au placement des animaux et végétaux viables saisis.

« 39. Dès lors, compte tenu des prérogatives ainsi confiées à ces agents et de leurs modalités d’exercice, ces dispositions ne méconnaissent pas l’article 66 de la Constitution. »

De tels pouvoirs doivent donc être confiés à des agents d’une personne publique et, au pénal, passer bien vite entre les mains de l’autorité judiciaire. Mais les agents de cette personne publique, au prix d’exigences limitées (assermentation dans certains cas, par exemple) pourront donc être au besoin de statut privé.

Ceci posé, le Conseil avait déjà :

  • posé qu’aucune exigence constitutionnelle n’impose que tous les emplois participant à l’exercice de « fonctions régaliennes » soient occupés par des fonctionnaires. (2019-790 DC, 1er août 2019, cons. 36)
  • admis qu’une personne morale de droit privé, mandatée par plusieurs autres personnes morales victimes d’agissements pénalement sanctionnés – ou estimant en avoir été victimes ou pensant être susceptibles d’en être victimes – puissent rassembler un grand nombre d’informations nominatives relatives à des infractions, mais sous certaines conditions  (2004-499 DC, 29 juillet 2004, cons. 9, 11 et 12, JORF du 7 août 2004, p. 14087, texte n° 9)

C’est un verrou de plus dans le même sens qui saute.

 

Source :

Décision n° 2023-1042 QPC du 31 mars 2023, Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel [Pouvoirs de police des agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts], Conformité