Mise à jour au 17 juillet 2025
Le préfet est bien en compétence liée en aval du juge pénal pour déclarer un élu local démissionnaire d’office. On ne rejoue donc pas, ni devant le préfet, ni devant le juge administratif, à cette occasion, le match qui s’est déroulé devant le juge pénal sur l’application ou non de la peine accessoire d’inéligibilité, avec ou sans exécution provisoire.
De plus, un recours, devant le juge administratif, contre un tel arrêté préfectoral de démission d’office est bien suspensif (sauf si la décision pénale est définitive).
Telles sont les leçons de décisions rendues en juin 2025 par le Conseil d’Etat.
Sources : CE 18 juin 2025, n° 498271, aux tables puis CE, 25 juin 2025, n° 503663, 503929 et CE, 25 juin 2025, n° 503779. Voir aussi TA Lille, 4 juin 2025, Mme Le Pen, n°2503815 et TA de La Guadeloupe, 17 juin 2025, n° 2500389 et 2500400, ainsi que Cons. const., décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025, M. Rachadi S.
Voyons cela au fil d’une vidéo (I.) et d’un article (II.), avant que rappeler les fondamentaux du droit des inéligibilités résultant de décisions rendues par le juge pénal (III.).
Au total, voici le plan des développements qui suivent :
- I. VIDEO (7 mn 25)
- II. ARTICLE (plus détaillé)
- II.A. Rappels rapides sur les inéligibilités en tant que peine accessoires au pénal (après appel ou, pour les élus locaux, dès la 1e instance si le juge a décidé de « l’exécution provisoire » selon un mode d’emploi légèrement précisé récemment par le Conseil constitutionnel)
- II.B. Illustrations par le TA de Lille (aff. Mme M. Le Pen) et par le TA de La Guadeloupe (aff. commune du Gosier)
- II.C. Confirmation et précisions par le Conseil d’Etat le 18 juin 2025
- II.D. Application aussi aux élus régionaux le 25 juin 2025 (affaires MM. Wallerand de Saint-Just et Nicolas Bay)
- III. Profitons en pour rappeler, en annexe, les fondamentaux du droit des inéligibilités résultant de décisions rendues par le juge pénal.
- III.A. Existe-t-il des inéligibilités résultant de condamnations pénales ?
- III.B. Si l’on en reste sur le cas du droit pénal… quelles infractions peuvent-elles conduire à cette inéligibilité ?
- III.C. Car ce n’est pas automatique ?
- III.D. Ne pourrait-on rendre ces peines carrément automatiques ?
- III.E. Est-ce sévère ?
- III.F. Toute personne condamnée avec cette peine complémentaire, au pénal, sera immédiatement inéligible ?
- III.G. Il en résulte des situations un peu complexes ?
- III.H. Restons sur ce dernier cas : le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité AVEC exécution provisoire… la personne devient donc inéligible même si elle fait appel ?
- III.H.1. Le cas de ceux qui gagnent (au moins sur l’inéligibilité) à hauteur d’appel… mais qui ont été démis d’office après la 1e instance (car l’exécution provisoire avait été décidée par le juge)
- III.H.2. Le cas des parlementaires (pour leur seul mandat parlementaire)
- III.i. Donc au total on a un principe simple mais avec des mises en œuvre qui peuvent être complexes ?
- III.J. Sont-ce des cas fréquents ?
- III.K. Oui mais… pour Mme Marine Le Pen ? Quel était l’état du droit avant le jugement pénal la concernant et avant la décision du Conseil constitutionnel rendue juste avant celui-ci ?
- III.L. Et qu’a dit (sur une autre affaire) le Conseil constitutionnel juste avant la date de lecture du jugement concernant Mme M. Le Pen ?
- III.M. Et qu’à décidé le juge pénal ensuite s’agissant, notamment, de Mme Le Pen ?
- III. N. Et c’est dans ce cadre que le juge administratif a statué, pour divers élus locaux ?

I. VIDEO (7 mn 25)

II. ARTICLE (plus détaillé)
Le Conseil d’état a, en juin 2025, mis fin à ce qui restait du débat sur le fait que 1/ le préfet est bien en compétence liée en aval du juge pénal pour déclarer un élu local démissionnaire d’office (mandats municipaux, départementaux ou régionaux) 2/ un recours contre l’arrêté préfectoral en ce domaine est bien suspensif.
Ce n’est donc plus au stade de la démission d’office qu’on peut discuter de la validité, ou non, de la peine pénale accessoire d’inéligibilité…
Deux TA nous l’avaient affirmé récemment (B.) sur la base d’un droit devenu clair (A.)… et le Conseil d’Etat l’a confirmé en deux temps, le 18 juin 2025 (C.) puis le 25 juin 2025 (D.).
Oui le préfet est en compétence liée et il DOIT prononcer la démission d’office… point qui commence à être connu. Et qui en réalité ne faisait guère de débat au delà de quelques postures militantes.
Et OUI un recours contre cette démission d’office est automatiquement suspensif… et cette règle, réaffirmée elle aussi par la Haute Assemblée… semble hélas encore assez méconnue. Puisque les services de l’Etat avaient sur ce point une doctrine étonnamment contraire.

II.A. Rappels rapides sur les inéligibilités en tant que peine accessoires au pénal (après appel ou, pour les élus locaux, dès la 1e instance si le juge a décidé de « l’exécution provisoire » selon un mode d’emploi légèrement précisé récemment par le Conseil constitutionnel)
Il existe de nombreux cas de peines accessoires d’inéligibilité qui peuvent assortir une sanction pénale (voir notamment les articles 131-26 et suivants du Code pénal).
Attention :
- l’inéligibilité peut aussi résulter d’une condamnation par le juge administratif ou par le conseil constitutionnel, à la suite notamment de certaines violations du droit électoral. Mais c’est alors un autre sujet, un autre cadre juridique.
- Attention l’inéligibilité peut aussi résulter d’une situation professionnelle, d’un mandat, d’une situation fiscale (art. LO 136-4 du code électoral), etc.
Là encore, c’est un autre sujet que celui traité ici.
Ces peines complémentaires sont parfois de simples facultés. Et pour certaines infractions elles sont prévues de plein droit, par défaut… MAIS même en ce dernier cas, par une décision motivée, expressément, le juge peut décider de ne pas prononcer une telle peine « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ». Car une automaticité totale serait inconstitutionnelle.
Source : C. const. n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 ; décision 2017-752 DC du 8 septembre 2017) ; à comparer avec CEDH, 17 juin 2021, n° 63772/16, Giancarlo GALAN contre l’Italie ; CEDH, 17 juin 2021, AFFAIRE MINISCALCO c. ITALIE, n° 55093/13 ; mais besoin d’un examen au cas par cas).
Quand quelqu’un est condamné au pénal, l’appel est suspensif. La personne condamnée qui a fait appel ne sera alors condamnée, ou pas, réellement qu’après l’appel.
Si une personne est condamnée au pénal et qu’elle forme appel, l’exécution de la peine est repoussée au lendemain de la décision de la Cour d’Appel.
Mais le juge de première instance, c’est-à-dire le tribunal correctionnel s’agissant d’un délit, peut décider de prononcer « l’exécution provisoire ». En ce cas, qu’il y ait appel ou non, la peine complémentaire d’inéligibilité peut s’appliquer dès la condamnation, à la condition, donc, que le juge en ait expressément décidé ainsi.
N.B. : le juge pénal lors de sa décision sur l’inéligibilité devra « apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur » (réserve énoncée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025, M. Rachadi S. ; et d’ailleurs ensuite appliquée par le juge pénal dans le cas de M. Louis Aliot (dans la décision du TJ de Paris rendue le 31 mars 2025 ; dans l’affaire concernant également Mme M. Le Pen).
Et l’élu ainsi déclaré inéligible devant être déclaré démissionnaire d’office par le préfet (par un arrêté de démission d’office).
Attention :
- si un jugement pénal condamne un élu à l’inéligibilité avec exécution provisoire, cet élu perd ses mandats même s’il fait appel au pénal (CE, 3 octobre 2018, n° 419049).
- si ensuite l’élu redevient éligible après son arrêt d’appel… Voir III.H.1.
- S’il s’agit d’un parlementaire, il en va exactement de même à un détail près : l’élu ne sera pas démissionné d’office pour ses mandats parlementaires en cours (au contraire de ce qui se passe pour le mandat local) tant que l’appel est pendant, si en 1e instance le juge a condamné l’élu à l’inéligibilité.
Sources : C. Const. n° 2021-26 D du 23 novembre 2021 pour « l’affaire J.-N. Guérini » (voir antérieurement, déjà : déc. 2009-21S D, 22 octobre 2009, cons. 4 et 5 ; déc. 2009-21 D, 29 juillet 2010, cons. 1 et 2 ; déc. 2014-22 D, 16 septembre 2014, cons. 1 à 4 puis 2016-23 D, 22 décembre 2016, paragr. 1 à 3.) - mais gare à l’article L. 236 du code électoral : le recours en référé suspension contre l’arrêté préfectoral est SUSPENSIF (suspension de l’arrêté le temps que le juge des référés suspension statue) si l’arrêté préfectoral ne porte pas sur une condamnation pénale définitive (suspension s’il s’agit d’une condamnation en première instance avec exécution provisoire donc). Voir TA Lyon, ord., 15 janv. 2025, n° 2500308. Puis voir Conseil d’État, 18 juin 2025, n° 498271, aux tables du recueil Lebon.

II.B. Illustrations par le TA de Lille (aff. Mme M. Le Pen) et par le TA de La Guadeloupe (aff. commune du Gosier)
Pour une illustration (relative au mandat de conseillère départementale de Mme M. Le Pen) où déjà le juge administratif rappelait qu’alors, au stade de la démission d’office le préfet est en situation de compétence liée (il n’a pas de marge de manoeuvre) et où le juge administratif ne va pas revenir sur le procès pénal, voir : TA Lille, 4 juin 2025, Mme Le Pen, n°2503815
Puis une autre illustration est venue du TA de La Guadeloupe en ce domaine.
Il s’agissait de nouveau de la commune du Gosier qui avait, déjà, donné lieu à un calcul délicat et inventif des voix pour l’élection de son maire (CE, 28 mars 2025, Election du maire du Gosier, n° 495851 ; voir ici cette décision et notre article, ainsi qu’une vidéo).
Or, lors d’une première phase d’élection, une élue avait commis des violences et été condamnée pour cela… avec une peine accessoire d’inéligibilité et avec exécution provisoire. Mais le juge pénal avait omis de signaler quelle était la durée de cette inéligibilité !
Cela vicie-t-il l’arrêté de démission d’office qu’ensuite le préfet devait (là encore en compétence liée, sans marge d’appréciation donc) prendre ? Logiquement le TA de La Guadeloupe a réponde à cette question par la négative. Inéligibilité il y a avec exécution provisoire : alors arrêté de démission d’office il doit y avoir. Sans refaire le match pénal et sans qu’une éventuelle faiblesse de la décision rendue au pénal puisse avoir un impact sur cette démission d’office.
Source : TA de La Guadeloupe, 17 juin 2025, n° 2500389 et 2500400

II.C. Confirmation et précisions par le Conseil d’Etat le 18 juin 2025
De son côté le Conseil d’Etat a eu enfin à connaître de l’affaire pour laquelle le Conseil constitutionnel avait rendu sa décision n° 2025-1129 du 28 mars 2025.
Avec exactement (et sans surprise) le même mode d’emploi : le préfet est en compétence liée. On ne refait pas le match pénal devant le juge administratif. On applique la décision rendue au pénal :
« 7. Il résulte de ces dispositions combinées que, dès lors qu’un conseiller municipal ou un membre de l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer immédiatement démissionnaire d’office.»
Soit en l’espèce :
«8. Ainsi qu’il l’a été dit au point 1, le tribunal correctionnel de Mamoudzou a décidé, par son jugement du 25 juin 2024, l’exécution par provision de la peine complémentaire de privation des droits électoraux et d’éligibilité à laquelle il a condamné M. L…. Dès lors, et alors même que ce jugement frappé d’appel n’est pas devenu définitif, c’est par une exacte application des dispositions citées aux points précédents que le préfet de Mayotte a constaté que ce dernier était privé du droit électoral et, en application de l’article L. 236 du code électoral, l’a immédiatement déclaré démissionnaire de ses mandats de conseiller municipal de la commune de Dembéni et de conseiller communautaire de la CADEMA, et, par là même, de son mandat de président de cet établissement.
« 9. Si M. L… soutient néanmoins, en premier lieu, que l’arrêté qu’il attaque méconnait la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l’article 62 de la Constitution et l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, ces griefs, qui tendent, dès lors que le préfet, ainsi qu’il a été dit au point 7, était tenu, en application des dispositions des articles L. 230 et L. 236 du code électoral, de prendre l’arrêté attaqué, à contester la constitutionnalité de ces dispositions, ne peuvent être utilement soulevés à l’appui de sa protestation. Au demeurant, d’une part, le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025, statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. L… par mémoire distinct et renvoyée au Conseil constitutionnel par la décision du Conseil d’Etat du 27 décembre 2024, a jugé que le renvoi opéré au sein de l’article L. 236 du code électoral au 1° de l’article 230 du même code est conforme à la Constitution. D’autre part, l’acte par lequel le préfet déclare démissionnaire d’office un conseiller municipal condamné à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire se borne à tirer les conséquences de la condamnation prononcée par le juge pénal. Il est sans incidence sur l’exercice des voies de recours ouvertes contre la décision de condamnation. Ce grief doit donc être écarté.
« 10. En deuxième lieu, le grief tiré de ce que le recours effectué sous dix jours par M. L… a suspendu l’effet de l’arrêté attaqué est inopérant à l’encontre de l’arrêté lui-même. Il doit donc être écarté.
« 11. En dernier lieu, aux termes des stipulations de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : » Tout citoyen a le droit et la possibilité, (…) sans restrictions déraisonnables : / a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ; / b) de voter et d’être élu (…) ; /c) d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays « .
« 12. La décision attaquée, prise sur le fondement des articles L. 230 et L. 236 du code électoral, n’apporte pas aux droits garantis par le pacte international relatif aux droits civils et politiques une » restriction déraisonnable » au sens de l’article 25 de ce pacte. Le grief pris de l’incompatibilité de l’arrêté du préfet avec ces stipulations doit donc être écarté.
« 13. Il résulte de ce qui précède que M. L… n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté du 27 juin 2024.»
Mais avec confirmation que le recours est suspensif contre un arrêté préfectoral de démission d’office pour inéligibilité d’un élu local, du moins si l’arrêté préfectoral ne porte pas sur une condamnation pénale définitive (suspension s’il s’agit d’une condamnation en première instance avec exécution provisoire donc). Voir ci-avant et voir les références déjà citées : TA Lyon, ord., 15 janv. 2025, n° 2500308. Puis voir Conseil d’État, 18 juin 2025, n° 498271, aux tables du recueil Lebon.
En l’espèce, le préfet s’était un peu emmêlé les pinceaux à ce stade, d’où une censure par le Conseil d’Etat du jugement du TA et des opérations électorales conduites pour remplacer l’élu condamné :
« 14. D’une part, il résulte de l’instruction qu’à la suite de la lettre du préfet de Mayotte informant le premier vice-président de la CADEMA que M. L… devait être remplacé dans l’exercice de son mandat de conseiller communautaire par M. F… et de sa lettre informant le maire de la commune de Dembéni que M. N… devait être appelé à le remplacer en qualité de conseiller municipal, il a été procédé à ces remplacements au plus tard à la date du 11 juillet 2024 à laquelle le conseil communautaire de la CADEMA a procédé à l’élection de son président et de ses vice-présidents.
« 15. D’autre part, il résulte des dispositions combinées des articles L. 236 et L. 250 du code électoral, citées au point 5, que le recours éventuel contre l’acte de notification du préfet, sauf en cas de démission d’office à la suite d’une condamnation pénale définitive, est suspensif. Dès lors, le remplacement de M. L… en qualité de conseiller municipal de la commune de Dembéni et en qualité de conseiller communautaire de la CADEMA, ainsi que les opérations électorales auxquelles il a été procédé le 11 juillet 2024 au sein du conseil communautaire de cet établissement, alors que M. L… avait déposé contre l’arrêté du préfet du 27 juin 2024 une protestation le 6 juillet 2024, soit dans les dix jours suivant la notification de cet arrêté, méconnaissent ces dispositions. M. L… est par suite fondé à en demander l’annulation, ainsi que celle des jugements du 13 septembre 2024 du tribunal administratif de Mayotte dont il fait appel.»
Alors pourquoi insister sur ce rappel me direz-vous ? Simple bavardage d’avocat ? Non… Hélas non. Car si le Conseil d’Etat insiste un peu sur ce point c’est parce que, comme l’évoque pour s’en étonner la rapporteure publique, telle n’était pas la doctrine des services de l’Etat en dépit d’une jurisprudence tout à fait constante… depuis 1889…. et des termes fort clairs de l’article L. 250 du code électoral. Sic.
Source :
Conseil d’État, 18 juin 2025, n° 498271, aux tables du recueil Lebon
Voir aussi les conclusions de Mme Céline GUIBE, Rapporteure publique :

II.D. Application aussi aux élus régionaux le 25 juin 2025 (affaires MM. Wallerand de Saint-Just et Nicolas Bay)
Le 31 mars 2025, M. Wallerand de Saint-Just, conseiller régional d’Île-de-France, et M. Nicolas Bay, conseiller régional de Normandie, ont été condamnés par le tribunal judiciaire de Paris à des peines d’inéligibilité de trois ans avec exécution provisoire, c’est-à-dire avec application immédiate.
Conformément au code électoral, le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, et le préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime, ont, par deux arrêtés du 10 avril 2025, déclaré ces deux élus démissionnaires d’office de leurs mandats respectifs.
Par ailleurs, dans le cadre d’une autre affaire pénale, M. Wallerand de Saint-Just avait été condamné, par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 mars 2023, à une peine d’inéligibilité de deux ans rendue définitive par un arrêt de la Cour de cassation du 19 juin 2024.
À ce titre, le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris l’a, par un nouvel arrêté du 29 avril 2025, déclaré démissionnaire d’office de son mandat de conseiller régional d’Île-de-France.
Les deux élus déclarés démissionnaires d’office ont demandé au Conseil d’État l’annulation des différents arrêtés des préfets et la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel mettant en cause la conformité à la Constitution des règles du code électoral qui leur ont été appliquées, telles qu’interprétées de façon constante par la jurisprudence du Conseil d’État, en application de laquelle un élu local condamné à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire doit être démis d’office par le préfet.
Mais le Conseil constitutionnel s’est prononcé le 28 mars dernier sur la différence de traitement entre les parlementaires et les conseillers municipaux. Il a validé les dispositions législatives applicables aux conseillers municipaux, dans l’interprétation faite par le Conseil d’État de ces dispositions, en relevant qu’ils ne se trouvaient pas dans la même situation que les parlementaires, eu égard aux prérogatives que ces derniers tiennent de la Constitution (participation à l’exercice de la souveraineté nationale, vote de la loi et contrôle de l’action du gouvernement).
Le Conseil d’État relève que les dispositions du code électoral applicables aux conseillers régionaux et leur situation sont analogues aux dispositions applicables aux conseillers municipaux et à la situation de ces derniers.
C’est pourquoi il juge qu’il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC mettant en cause la conformité à la Constitution de ces règles applicables aux conseillers régionaux.
Par ailleurs, le Conseil d’État relève que les dispositions du code électoral sur l’inéligibilité avec exécution provisoire prononcée par le juge pénal sont conformes au droit européen et au droit international.
Pour ces raisons, le Conseil d’État rejette le recours de M. Nicolas Bay.
S’agissant de M. Wallerand de Saint-Just, le Conseil d’État juge qu’en prenant le second arrêté le déclarant démissionnaire d’office à la suite de sa condamnation à une peine d’inéligibilité devenue définitive, le préfet a abrogé l’arrêté antérieur le déclarant démissionnaire d’office à la suite de son autre condamnation à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire. Le Conseil d’État prononce donc un non-lieu sur le recours de M. Wallerand de Saint-Just contre le premier arrêté du 10 avril 2025 et rejette son recours contre le second arrêté du 29 avril 2025, confirmant ainsi la démission d’office de son mandat de conseiller régional d’Île-de-France.
Source :

III. Profitons en pour rappeler, en annexe, les fondamentaux du droit des inéligibilités résultant de décisions rendues par le juge pénal.
III.A. Existe-t-il des inéligibilités résultant de condamnations pénales ?
Oui. Voir sur ce point NOTAMMENT les articles 131-26 et suivants du Code pénal :


Attention :
- l’inéligibilité peut aussi résulter d’une condamnation par le juge administratif ou par le conseil constitutionnel, à la suite notamment de certaines violations du droit électoral. Mais c’est alors un autre sujet, un autre cadre juridique.
- Attention l’inéligibilité peut aussi résulter d’une situation professionnelle, d’un mandat, d’une situation fiscale (art. LO 136-4 du code électoral), etc.
Là encore, c’est un autre sujet que celui traité ici.
III.B. Si l’on en reste sur le cas du droit pénal… quelles infractions peuvent-elles conduire à cette inéligibilité ?
- certaines violences (art. 222-9, 222-11, 222-12, 222-14, 222-14-4, 222-14-5, 222-15 du code pénal)
- agressions sexuelles des articles 222-27 et suiv. du code pénal
- discriminations des articles 225-1 et 225-2 de ce même code
- escroqueries ou abus de confiance (art. 313-1 et suiv. et 314-1 et suiv. du Code pénal)
- les délits de terrorisme (chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal)
- la plupart des infractions d’intérêt dont la prise illégale d’intérêts, la concussion, le pantouflage, la corruption, le favoritisme (délits prévus aux articles 432-10 à 432-15,433-1 et 433-2,434-9,434-9-1,434-43-1,435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1, puis 441-2 à 441-6, ainsi que leur recel ou leur blanchiment)
- un grand nombre d’infractions électorales et toute une ribambelle d’autres délits ou crimes listés à l’article131-26-2 du code pénal
- A NOTER aussi les peines qu’il est possible d’infliger au titre de l’article 24 de la loi 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, commis donc par une personne qui a incité à la discrimination ou à la haine raciale, ou sexiste, ou religieuse. Cela a donné lieu à une polémique fameuse sur l’éligibilité ou non d’Eric Zemmour à l’élection présidentielle de 2022. Précisons que ce candidat était bien éligible car, quoique condamné, le juge n’avait pas décidé de lui infliger cette peine complémentaire d’inéligibilité.
- Autre exemple : un maire a ainsi été condamné pour provocation à la haine envers les Roms (en regrettant notamment, après un incendie, que des secours aient été appelés trop tôt), avec une peine complémentaire d’inéligibilité pour une période d’une année (Cass. crim., 1er février 2017, n°15-84511).
III.C. Car ce n’est pas automatique ?
NON car pour certaines infractions, comme celles en matière de délit de presse, c’est une peine complémentaire peut décider d’infliger, sans que cela soit prévu « par défaut ».
Et même quand c’est prévu « par défaut » comme dans le cas d’un très grand nombre d’infractions par les dispositions du III. de l’article 131-26-2 du Code pénal… ce n’est pas une vraie automaticité.
Ces peines complémentaires s’imposent de plein droit MAIS par une décision motivée, expressément, le juge peut décider de ne pas prononcer une telle peine « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».
III.D. Ne pourrait-on rendre ces peines carrément automatiques ?
NON car une telle automaticité a été jugée contraire à l’article 8 de la DDHC (C. const. n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 ; décision 2017-752 DC du 8 septembre 2017), voire à la CEDH (mais ladite CEDH sait être souple à ce sujet : CEDH, 17 juin 2021, n° 63772/16, Giancarlo GALAN contre l’Italie ; CEDH, 17 juin 2021, AFFAIRE MINISCALCO c. ITALIE, n° 55093/13 ; mais besoin d’un examen au cas par cas).
III.E. Est-ce sévère ?
Tout est relatif, bien sûr.
Mais quand on voit, d’une part, l’ampleur de cette liste et que l’on sait, d’autre part, combien certaines de ces infractions peuvent en réalité être commises par inadvertance, oui ce me semble sévère.
III.F. Toute personne condamnée avec cette peine complémentaire, au pénal, sera immédiatement inéligible ?
Attention : quand quelqu’un est condamné au pénal, l’appel est suspensif. La personne condamnée qui a fait appel ne sera alors condamnée, ou pas, réellement qu’après l’appel.
Si une personne est condamnée au pénal et qu’elle forme appel, l’exécution de la peine est repoussée au lendemain de la décision de la Cour d’Appel.
Mais le juge de première instance, c’est-à-dire le tribunal correctionnel s’agissant d’un délit, peut décider de prononcer « l’exécution provisoire ». En ce cas, qu’il y ait appel ou non, la peine complémentaire d’inéligibilité peut s’appliquer dès la condamnation, à la condition, donc, que le juge en ait expressément décidé ainsi.
Avec une procédure de « démission d’office » prononcée par le préfet.
Le Conseil d’Etat l’a encore rappelé le 3 octobre 2018 dans une affaire concernant un élu régional (CE, 3 octobre 2018, n° 419049).
III.G. Il en résulte des situations un peu complexes ?
OUI. En voici un aperçu pour les élus locaux…le cas des parlementaires étant mis à part à ce stade.

Donc, pour un simple citoyen comme pour un élu local, voici quelques sous-hypothèses :
1• si le juge de 1e instance ne condamne PAS à l’inéligibilité et qu’il y a appel : on attend la décision de la Cour d’appel…
2• si le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité SANS exécution provisoire et que l’élu forme appel : on attend la décision de la Cour d’appel.. Si la Cour d’appel condamne aussi à l’inéligibilité, il y aura donc inéligibilité (et donc démission d’office de l’élu s’il est encore titulaire d’un mandat)
3• si le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité SANS exécution provisoire et que l’élu NE forme PAS appel : il y aura donc inéligibilité (et donc démission d’office de l’élu s’il est encore titulaire d’un mandat)
4• si le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité AVEC exécution provisoire (ce qui est fréquent) : il y a donc inéligibilité immédiate (et donc démission d’office de l’élu s’il est encore titulaire d’un mandat local)
Le recours en référé suspension contre un arrêté préfectoral de démission d’office pour inéligibilité d’un élu local est suspensif en lui-même…. en cas d’exécution provisoire, le temps que le juge des référés statue si l’arrêté préfectoral ne porte pas sur une condamnation pénale définitive (suspension s’il s’agit d’une condamnation en première instance avec exécution provisoire donc). Voir ci-avant et voir les références déjà citées : TA Lyon, ord., 15 janv. 2025, n° 2500308. Puis voir Conseil d’État, 18 juin 2025, n° 498271, aux tables du recueil Lebon.
III.H. Restons sur ce dernier cas : le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité AVEC exécution provisoire… la personne devient donc inéligible même si elle fait appel ?
OUI :
• et il peut en résulter une situation ubuesque
• sauf pour les parlementaires… pour leur seul mandat parlementaire
III.H.1. Le cas de ceux qui gagnent (au moins sur l’inéligibilité) à hauteur d’appel… mais qui ont été démis d’office après la 1e instance (car l’exécution provisoire avait été décidée par le juge)
Commençons par traiter du caractère potentiellement ubuesque (logique en droit mais peu cohérent pour ceux qui le vivent) de cette situation en cas de succès à hauteur d’appel alors qu’il y a eu exécution provisoire (et donc démission d’office).
Imaginons donc qu’en pareil cas la personne condamnée, avec inéligibilité dès la 1e instance avec exécution provisoire.
Mais imaginons ensuite que cette personne fasse appel au pénal. Et qu’elle gagne son appel. Mais qu’en raison de cette inéligibilité avec « exécution provisoire », entre temps, cette personne ait été interdite d’élection. Voire privée de ses mandats en cours… il y a potentiellement une injustice car alors la personne a subi une sanction électorale d’origine pénale alors que cette personne a été déclarée, certes après coup, innocente par la Cour d’appel au pénal…
Et c’est déjà arrivé. Un élu polynésien s’est trouvé condamné par le tribunal correctionnel avec inéligibilité pour laquelle le juge avait décidé de l’exécution provisoire. Il fait appel mais entre temps il perd ses mandats. En appel, il est encore condamné mais, cette fois, sans peine complémentaire d’inéligibilité… mais trop tard, il a perdu ses mandats. Et c’est légalement qu’il a ainsi perdu ses mandats, a tranché le Conseil d’Etat en 2019.
Source : CE, 20 décembre 2019, n° 432078
Cet arrêt CE, 20 décembre 2019, 432078 peut donc sembler étrange puisqu’à la date de cette décision du Conseil d’Etat, la décision du juge de première instance avait été purement et remplacée par un arrêt d’appel sans exécution provisoire, et ce qu’il y ait (comme en l’espèce) ou non recours en cassation.
Mais cette solution du Conseil d’Etat (cf. conclusions de M. Alexandre Lallet) semble reposer sur une reprise de la solution — qui peut être ne serait pas à trop généraliser hors modalités d’application des peines — posée par Cass. crim., 28 septembre 1993, 92-85.473, au Bull.).
Comme l’a noté M. le Professeur M. Carpentier dans l’article que voici, d’ailleurs, le Conseil d’Etat a jugé exactement ensuite en sens inverse (CE, 14 avril 2022, 456540).
III.H.2. Le cas des parlementaires (pour leur seul mandat parlementaire)
S’il s’agit d’un parlementaire, il en va exactement de même à un détail près : l’élu ne sera pas démissionné d’office pour ses mandats parlementaires en cours (au contraire de ce qui se passe pour le mandat local) tant que l’appel est pendant, si en 1e instance le juge a condamné l’élu à l’inéligibilité.
Le conseil Constitutionnel n’est pas très explicite sur les raisons de ce choix…. Il semble avoir voulu agir au nom de la séparation des pouvoirs.
III.i. Donc au total on a un principe simple mais avec des mises en œuvre qui peuvent être complexes ?
Oui… Comme souvent.

III.J. Sont-ce des cas fréquents ?
2024 a été assez riche en illustrations de ces situations. En voici un florilège :
- par un jugement du 29 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Paris a condamné Mme B… à trois ans d’emprisonnement avec sursis, à une amende délictuelle de 10 000 euros et à la peine complémentaire de privation de ses droits électoraux et de son droit d’éligibilité pour une durée de cinq ans avec exécution provisoire.
Par un arrêté du 7 février 2024, le préfet de la Haute-Garonne a, sur le fondement de l’article L. 236 du code électoral, déclaré l’intéressée démissionnaire d’office de son mandat de conseillère municipale de Toulouse ainsi que de tout mandat ou fonction liés au mandat de conseiller municipal.
Le Conseil d’Etat finit par en connaître et il valide la démission d’office en rejetant une QPC à ce sujet
CE, 29 mai 2024, n° 492285, aux tables - Idem pour une démission d’office de ses mandats d’adjoint au maire et conseiller municipal de la commune de Petit-Réderching
TA Strasbourg, 4e ch., 10 juin 2024, n° 2402571. - allons ensuite en Guadeloupe, dont le TA a eu à connaître d’une affaire similaire. Le juge des référés de ce CA, statuant en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative a rejeté la requête présentée par M. Y. tendant à obtenir la suspension de l’arrêté du 5 juillet 2024 par lequel le préfet de la Guadeloupe l’a déclaré démissionnaire d’office de son mandat de conseiller municipal et de maire de la commune de S… ainsi que de tout mandat ou fonction liés au mandat de conseiller municipal au motif que la peine complémentaire à une peine d’inéligibilité de 10 ans prononcée par le Tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre par jugement du 2 juillet 2024 était assortie de l’exécution provisoire.Consulter la décision n° 2400904 en date du 16 juillet 2024
- puis changeons d’océan pour nous rendre à Mayotte :
- Le tribunal administratif de Mayotte a ainsi rejeté les trois requêtes présentées par une personne contre les opérations électorales procédant à son remplacement à la présidence et au conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), ainsi qu’au conseil municipal de Dembéni. Ce tribunal n’a pu, en effet, que constater que l’ex-élu en cause avait été condamné par le tribunal judiciaire à une peine d’inéligibilité pour une durée de quatre ans, avec exécution provisoire, et déclaré démissionnaire d’office par un arrêté du 27 juin 2024 du préfet de Mayotte.
Le tribunal rappelle qu’en raison de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, le préfet était tenu de le déclarer démissionnaire d’office et que son recours introduit contre cette mesure ne présente pas de caractère suspensif de son exécution.
Voir en ce sens, sur le site de ce TA (téléchargement automatique), les décisions 241310, 2401311et 2401312 en date du 13 septembre 2024 - idem pour le même TA concernant un autre ex-élu, départemental cette fois : le juge des référés de ce tribunal a ainsi constaté que, par un jugement du 25 juin 2024, le tribunal judiciaire de Mamoudzou a condamné cet élu à une peine principale d’un an d’emprisonnement délictuel et à une amende délictuelle de 25 000 euros et, à titre de peines complémentaires, à une interdiction d’exercer une fonction publique pendant deux ans avec exécution provisoire et une privation du droit d’éligibilité de deux ans avec exécution provisoire. Voir en ce sens, toujours sur le site de ce TA, les décisions 2401194-2401215, également en date du 13 septembre 2024
- Le tribunal administratif de Mayotte a ainsi rejeté les trois requêtes présentées par une personne contre les opérations électorales procédant à son remplacement à la présidence et au conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), ainsi qu’au conseil municipal de Dembéni. Ce tribunal n’a pu, en effet, que constater que l’ex-élu en cause avait été condamné par le tribunal judiciaire à une peine d’inéligibilité pour une durée de quatre ans, avec exécution provisoire, et déclaré démissionnaire d’office par un arrêté du 27 juin 2024 du préfet de Mayotte.
Voici une intéressante note qui recense un assez grand nombre de cas récents par Denys Pouillard (www.obspolitique.fr ; à jour au 13 janvier 2025) voir ici :
III.K. Oui mais… pour Mme Marine Le Pen ? Quel était l’état du droit avant le jugement pénal la concernant et avant la décision du Conseil constitutionnel rendue juste avant celui-ci ?
Pour son mandat de parlementaire, oui. Les choses sont claires. Elle le conserve.
Pour son éligibilité à l’élection présidentielle, il y a sans doute inéligibilité dès le jugement de première instance en cas d’inéligibilité prononcée comme peine accessoire avec exécution provisoire MAIS :
- certaines formulations du Conseil constitutionnel pourraient donner lieu à des lignes de défense pour Mme Le Pen en pareil cas
- et tout dépend aussi du point de savoir, en cas d’appel, si celui-ci serait ou non jugé avant la date de dépôt de candidatures à ladite élection présidentielle
Pour son mandat local… pas de débat elle le perd. C’est ce qui vient d’être confirmé comme nous le verrons plus loin.
Voir :
C’est déjà ce que je décrivais en novembre 2024 et que je résumais ainsi :

III.L. Et qu’a dit (sur une autre affaire) le Conseil constitutionnel juste avant la date de lecture du jugement concernant Mme M. Le Pen ?
Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) avait été soumise à la Cour de cassation par une personne condamnée, à l’occasion du pourvoi formé par celle-ci contre l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui, pour recel, l’avait condamné à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis, 30 000 euros d’amende, cinq ans d’inéligibilité, et a prononcé sur intérêts civils.
La Cour de cassation avait rejeté cette demande en ces termes :
«5. En premier lieu, d’une part, la faculté pour la juridiction d’ordonner l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser, en cas de recours, l’exécution de la peine et à prévenir la récidive.
« 6. D’autre part, une telle condamnation peut faire l’objet, selon le cas, d’un recours devant la cour d’appel ou la Cour de cassation.
« 7. Enfin, l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité ne peut être ordonnée par le juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation.
« 8. Les dispositions contestées ne méconnaissent donc pas la présomption d’innocence, le droit à un recours juridictionnel effectif ou le droit d’éligibilité.
« 9. En second lieu, à supposer que les dispositions contestées portent atteinte à la séparation des pouvoirs, il ne saurait résulter de ce que le juge judiciaire peut condamner pénalement un élu local à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, ce qui peut le cas échéant entraîner la démission d’office de cet élu de son mandat local en cours, une atteinte disproportionnée à la libre administration des collectivités territoriales.
« 10. En conséquence, il n’y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.»
Source : Cass. crim., 18 décembre 2024, n° 24-83.556
Mais en parallèle, une autre affaire avançait, devant le juge administratif cette fois. Il s’agit du même ensemble, précité, d’affaires mahoraises ayant donné lieu aux jugements 241310, 2401311et 2401312, précités, en date du 13 septembre 2024.
A côté de ces jugements, se trouvait une QPC laissée en jachère et qui a ainsi remonté jusqu’au Conseil d’Etat, puis au Conseil constitutionnel.
La QPC était formulée de manière assez habile.
Le Conseil constitutionnel avait dans le passé permis une inéligibilité par défaut, mais pas automatique. Le juge doit se prononcer au cas par cas :
« 5. Considérant que le principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789, implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ; qu’il ne saurait toutefois faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions ;»
Source (entre autres décisions dans le même sens) : décision n° 2015-493 QPC du 16 octobre 2015
L’affaire avait donc été transmise au Conseil constitutionnel par l’autre aile du Palais Royal… sans doute trop contente de pouvoir demander aux sages de la rue Montpensier de clarifier le droit avant la décision concernant Mme Le Pen même si ce n’est pas réellement la même question qui est posée puisque :
- dans un cas il y a une application sur les mandats en cours — pour laquelle le Conseil constitutionnel a depuis longtemps donné son mode d’emploi estimant qu’il n’y a pas perte des mandats parlementaires en cours tant que la cour d’appel n’a pas statué au contraire de ce qui se passe pour les mandats locaux
- et que dans le cas de Mme Le Pen se pose la question de son éligibilité pour un AUTRE MANDAT national à venir… ce qui n’est pas la question posée donc par cette QPC
Etait en cause l’article L. 236 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2001 mentionnée ci-dessus. Cet texte prévoit que :
« Tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d’inéligibilité prévus par les articles L. 230, L. 231 et L. 232 est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d’État, conformément aux articles L. 249 et L. 250. Lorsqu’un conseiller municipal est déclaré démissionnaire d’office à la suite d’une condamnation pénale définitive prononcée à son encontre et entraînant de ce fait la perte de ses droits civiques et électoraux, le recours éventuel contre l’acte de notification du préfet n’est pas suspensif ».
Selon le requérant, en imposant que soit immédiatement déclaré démissionnaire d’office le conseiller municipal condamné à une peine d’inéligibilité, y compris lorsque le juge pénal en ordonne l’exécution provisoire, ces dispositions, telles qu’interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d’État, porteraient une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité.
Ce grief étant dirigé contre la procédure de démission d’office applicable à un conseiller municipal privé de son droit électoral, la QPC a été jugée comme portant sur le renvoi opéré, au sein de l’article L. 236 du code électoral, au 1 ° de l’article L. 230 du même code.
Ce régime conduisant à la perte du mandat en cours et de l’éligibilité, même en cas de condamnation avec exécution provisoire à l’inéligibilité, par le juge de 1e instance, dans le cas des élus locaux, est validé par le Conseil constitutionnel :
« 13. En premier lieu, les dispositions contestées visent à garantir l’effectivité de la décision du juge ordonnant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité afin d’assurer, en cas de recours, l’efficacité de la peine et de prévenir la récidive.
« 14. Ce faisant, d’une part, elles mettent en œuvre l’exigence constitutionnelle qui s’attache à l’exécution des décisions de justice en matière pénale. D’autre part, elles contribuent à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Ainsi, elles mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
« 15. En second lieu, d’une part, la démission d’office ne peut intervenir qu’en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité expressément prononcée par le juge pénal, à qui il revient d’en moduler la durée. Celui-ci peut, en considération des circonstances propres à chaque espèce, décider de ne pas la prononcer.
« 16. D’autre part, le juge décide si la peine doit être assortie de l’exécution provisoire à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne peut présenter ses moyens de défense, notamment par le dépôt de conclusions, et faire valoir sa situation.»
Le régime actuel est donc validé mais sous une réserve d’interprétation ainsi formulée au début du point 17 qui a vocation à entrer dans l’histoire de nos institutions :
« 17. Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur.
« 18. Il résulte de ce qui précède que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence constitutionnelle doit donc être écarté.»
Passons ensuite sur le fait que le Conseil constitutionnel a ensuite balayé, aisément, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif (qui n’avait aucune chance de prospérer d’autant qu’on avait déjà des décisions sur ce point).
Sources à ce dernier sujet, voir (y compris a contrario) : C. const. n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 ; décision 2017-752 DC du 8 septembre 2017) ; cf. aussi CEDH, 17 juin 2021, n° 63772/16, Giancarlo GALAN contre l’Italie ; CEDH, 17 juin 2021, AFFAIRE MINISCALCO c. ITALIE, n° 55093/13).
Accessoirement on notera que le Conseil constitutionnel a validé au passage la différence de traitement sur ce point entre élus locaux et nationaux.
Donc in fine le Conseil constitutionnel a décidé de :
- valider la constitutionnalité du renvoi opéré, au sein de l’article L. 236 du code électoral au 1 ° de l’article L. 230 du même code
- MAIS avec la réserve d’interprétation énoncée au point 17 de la décision :
- « 17. Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur.»
Il en résulte :
- que le juge pénal doit faire une appréciation au cas par cas, ce qui n’est pas nouveau (voir les décisions 2010-6/7 QPC et 2017-752 DC précitées)
- que cette appréciation au cas par cas doit se faire en fonction du « caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur »… ce qui est plus nouveau (le principe n’est pas réellement nouveau mais les critères à prendre en compte sont formulés de manière plus précise et partiellement renouvelée)…
Source :
III.M. Et qu’à décidé le juge pénal ensuite s’agissant, notamment, de Mme Le Pen ?
Puis vint la condamnation de Mme Le Pen avec inéligibilité et exécution provisoire sans usage de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel… laquelle de toute manière porte sur les mandats en cours et non les éligibilités aux mandats à venir.
Dans cette affaire des jugements concernant Mme Le Pen, M. L. Alliot et quelques autres voici trois sources utiles :
- • le délibéré mis en ligne (voir surtout les pages 76 à 80) :
- • une analyse du professeur R. Rambaud qui remarque que le tribunal correctionnel de Paris applique la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel concernant Louis Aliot :
- • communiqué du Conseil supérieur de la magistrature :
III. N. Et c’est dans ce cadre que le juge administratif a statué, pour divers élus locaux ?
Oui… Voir ci-avant.

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