Arrêtés complémentaires : en matière environnementale, nul ne peut s’endormir sur ses droits acquis [VIDEO et article]

Nouvelle diffusion 

Arrêtés complémentaires : en matière environnementale, nul ne peut s’endormir sur ses droits acquis.

Voyons cela via une assez brève vidéo (I) et un article plus détaillé (II), avant que d’accéder à la décision elle–même (III). 


 

 

I. VIDEO (5 mn 46)

 

https://youtu.be/a0HEaDQWqGM

II. ARTICLE (plus détaillé que la vidéo)

 

De la non-rétroactivité de principe (sauf trois exceptions) naquirent les droits acquis. Lesquels, en matière environnementale, restent fort fragiles (A).

Or, les droits acquis en matière environnementale viennent de connaître un nouveau — et très logique — recul en cas d’arrêté complémentaire, avec une appréciation des circonstances à la date de cet arrêté complémentaire, y compris par exemple sur les questions de dérogations espèces protégées, non évoquées initialement et qui peuvent donc apparaître à cette occasion (B)…

Un recul dans la logique même des jurisprudences de ces dernières années. Les droits acquis décidément n’acquièrent plus grand chose, ce qui s’entend s’agissant d’autorisations précaires et révocables… et en l’état des nécessités écologiques et des équilibres de notre droit contemporain.

 

 

 

A. De la non-rétroactivité de principe (sauf trois exceptions) naquirent les droits acquis. Lesquels, en matière environnementale, restent fort fragiles. 

 

Le principe en droit administratif reste celui de la non-rétroactivité des actes (CE, 25 juin 1948, Société du journal l’Aurore, n° 94511, rec. p. 289).

La rétroactivité n’est, cependant, pas totalement bannie en droit français. Ainsi le Conseil d’Etat a-t-il toujours été constant à admettre :

  1. soit tout simplement dans certains cas rares où cela est « nécessaire », « indispensable », ce que le juge apprécie au cas par cas. Une affaire assez célèbre portait d’ailleurs sur un tel cas pour, justement, des rémunérations (CE, 7 février 1979, APADA, n° 08003, rec. p. 41). Pour un cas intéressant et plus récent, voir CAA Nantes, 22 septembre 2020, n° 20NT01144 (voir ici).
  2. soit la rétroactivité des actes nouveaux portant sanction plus douce que précédemment (in mitius, comme en pénal ; mais avec quelques limites toutefois. Voir sur ce point par exemple CAA Lyon, 24 octobre 2019, n° 17LY01678 [voir ici])
    Est bien connu le principe pénal de la rétroactivité « in mitius », conduisant à une application rétroactive de la loi pénale nouvelle si celle-ci est « plus douce », mais aussi à une non-rétroactivité de la loi plus sévère.
    Ce principe s’applique en effet aux sanctions administratives (CE, Ass., 1er mars 1991, n° 112820 ; CE, Ass., 16 février 2009, n° 274000… voir plus récemment CAA Marseille, 25 février 2019, 18MA01094).
  3. soit la rétroactivité d’un acte administratif si une disposition législative expresse le prévoit (et hors les cas où la loi ne peut elle-même rétroagir). Voir : CE, 25 février 1949, Ecole Gerson, rec. p. 426 ;  dérogation rappellée dans CE, Ass., 16 mars 1956, Garrigou, op.cit. ; CAA Paris, 30 mars 1999, Dalloz 99, IR, p. 163… Voir récemment CE, 28 juin 2024, n° 493563, aux tables, voir ici cette décision et notre article)

 

Voici tout ceci au fil de cette vidéo de 4 mn 02 :

https://youtu.be/e2PDaNWkvuo

 

 

De ce principe d’une non-rétroactivité des textes (sauf exception, donc), naquirent les droits acquis.

On ne va pas, par exemple, imposer à une maison de se mettre en conformité à un document d’urbanisme postérieur à sa construction. Mais toute autorisation d’occupation du sol nouvelle (adjonction d’une aile à un bâtiment) devra bien sûr se faire dans le respect des nouvelles normes.

En matière environnementale, on retrouve ces notions de droits acquis. Ainsi l’article 15 de l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 permet-il aux autorisations environnementales antérieures à ce texte de continuer de bénéficier de pans entiers du régime qui leur était applicable précédemment. L’expression d’Installations fonctionnant au bénéfice des droits acquis forme un chapitre entier du code de l’environnement (articles L. 513-1 puis R. 513-1 à R. 513-2)…

Mais dans ce domaine, ces droits acquis se trouvent naturellement à la peine. Si une station d’épuration (régime IOTA voire ICPE) est autorisée avec servitudes, nul doute que de nouvelles règles de rejet des eaux dans le milieu naturel devront, après une phase transitoire, finir par s’appliquer.

NB : sur la notion même de droit d’antériorité en pareil cas (lors de modifications de la nomenclature ICPE), voir CE, 30 janvier 2013, 347177.

De fait, les limites apportées à cette garantie sont considérables et ont été augmentées par la loi ASAP (voir notamment sur ce point la nouvelle formulation de l’article L. 512-5 du code de l’environnement) puis par le décret « Lubrizol » n° 2020-1168 du 24 septembre 2020, avant que d’être de nouveau largement rabotées (à la suite de demandes pressantes de la Commission européenne…) par le décret n° 2023-722 du 3 août 2023, entre autres textes

Citons sur ce point l’interprétation de ce régime faite par le Conseil d’Etat :

« Les dispositions des articles L. 513-1 et R. 513-2 du code de l’environnement prévoient que les installations qui, après avoir été régulièrement mises en service, sont soumises à autorisation, enregistrement ou déclaration en vertu de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), peuvent continuer à fonctionner à condition de se faire connaître du préfet, et que ce dernier ne peut prescrire à leur encontre de mesures propres à sauvegarder les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du même code que si elles n’entraînent pas de modifications importantes de l’installation ou des changements considérables dans le mode d’exploitation. Ces dispositions n’ont pas pour effet de faire obstacle à ce que le ministre chargé des ICPE puisse, sur le fondement des pouvoirs de police spéciale qu’il tient de l’article L. 512-5 du code de l’environnement, édicter des prescriptions directement applicables aux installations existantes, y compris celles bénéficiant d’un droit d’antériorité. Symétriquement, les prescriptions générales que le ministre peut ainsi rendre applicables aux installations existantes sur le fondement de l’article L. 512-5 ne privent pas le préfet de son pouvoir propre de police spéciale vis-à-vis de l’exploitant d’une installation existante fonctionnant au bénéfice des droits acquis, qui lui permet de prendre des mesures relatives à une installation donnée.»

Sources : résumé des tables du rec. sur CE, 8 octobre 2021, Coop de France et autres, n° 340486, aux tables du rec..

Voir aussi un article de notre confrère Jean-Nicolas Clément : https://www.gide.com/sites/default/files/2020_12_01_bdei_lubrizol_jnclement.pdf

S’y ajoute désormais, en sus, l’obligation, pour l’autorité administrative, de prendre à tout moment les mesures utiles à la protection de la nature et de l’environnement. En effet, cet été, le Conseil d’Etat jugeait qu’une dérogation espèces protégées impose un contrôle de tous les instants, y compris pour les installations bénéficiant de « droits acquis »… à charge pour le préfet de le prévoir, sans qu’à cette occasion soit à appliquer une distinction entre modifications substantielles ou non substantielles :

« 4. […] il appartient à l’autorité administrative de prendre, à tout moment, à l’égard de l’exploitant, les mesures qui se révèleraient nécessaires à la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts énumérés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, notamment la protection de la nature et de l’environnement. Il lui appartient, à cette fin, de prendre les mesures de nature à préserver les espèces animales non domestiques protégées ainsi que leurs habitats. »

Source : Conseil d’État, 8 juillet 2024, LPO, n° 471174, aux tables du recueil Lebon

Voir notre article alors : Espèces protégées : courant alternatif ? Contrôle continu !

 

 

 

B. Les droits acquis en matière environnementale viennent de connaître un nouveau — et très logique — recul (en cas d’arrêté complémentaire avec une appréciation des circonstances à la date de cet arrêté complémentaire, y compris par exemple sur les questions de dérogations espèces protégées, non évoquées initialement et qui peuvent donc apparaître à cette occasion)… Un recul dans la logique même des jurisprudences de ces dernières années. 

 

En 2008, le préfet de l’Aude avait délivré à la société Saint‑Polycarpe Energies un permis de construire pour la création d’un parc éolien.

Puis des années plus tard, le préfet accordait à cette société le bénéfice des droits acquis pour ce parc éolien, dont la date de mise en service semblait par ailleurs devoir être toujours plus tard différée.

Puis vint l’acte à l’origine du litige, ainsi présenté par le rapporteur public :

« L’autorité préfectorale a enfin édicté, le 9 juin 2020, un arrêté qui se présente comme «complémentaire [et] relatif à la mise en place de garanties financières et à une autorisation de défrichement pour l’exploitation [du parc éolien] », laquelle est motivée par « le déplacement [d’une] éolienne (…) [engendré] par la découverte d’un vestige de moulin dans le cadre des fouilles archéologiques préventives ». »

 

Mais, vient de juger le Conseil d’Etat, même pour un tel parc éolien jouissant de ses droits acquis… si le préfet envis­age de pren­dre, postérieure­ment à la délivrance du per­mis de con­stru­ire, un nou­v­el arrêté com­por­tant des pre­scrip­tions imposées à l’ex­ploitant… alors le préfet doit, quand bien même ces pre­scrip­tions seraient iden­tiques à celles imposées par l’ar­rêté délivrant le per­mis, ap­préci­er celles-ci en fonc­tion des cir­con­stances pré­valant à la date de sa déci­sion, et notam­ment celles rel­a­tives aux espèces pro­tégées.

Citons le Conseil d’Etat :

« Il s’ensuit que le préfet qui envisagerait de prendre, postérieurement à la délivrance du permis de construire, un nouvel arrêté comportant des prescriptions imposées à l’exploitant, est tenu, quand bien même ces prescriptions seraient identiques à celles imposées par l’arrêté délivrant le permis, d’apprécier celles-ci en fonction des circonstances prévalant à la date de sa décision, et notamment celles relatives aux espèces protégées.»

 

Avec des conséquences importantes puisqu’alors l’éventuel moyen d’absence de dérogation « espèces pro­tégées » pourra être soulevé contre l’arrêté complémentaire.

Si comme on l’a vu les dérogations espèces protégées s’apprécient bien à la date de délivrance de l’acte, mais doivent ensuite ( Conseil d’État, 8 juillet 2024, LPO, n° 471174, aux tables du recueil Lebon, op. cit) être ajustées au fil du temps en fonction de l’évolution des circonstances… alors a fortiori le nouvel arrêté complémentaire doit-il être l’occasion d’une mise à jour (au jour de l’adoption de cet acte) sur ce point. 

C’est logique au regard de toutes les décisions précitées.

Et cela érode un peu plus la notion de droits acquis qui décidément n’acquièrent plus grand chose (ce qui s’entend s’agissant d’autorisations précaires et révocables… et en l’état des nécessités écologiques et des équilibres de notre droit contemporain).

 

III. SOURCE

Conseil d’État, 18 octobre 2024, Association Avenir d’Alet, n° 472156

Voir aussi les conclusions de M. Frédéric PUIGSERVER, Rapporteur public :

 


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