Un chemin rural est une voirie qui relève du domaine privé de la commune mais dont le régime est marqué par de nombreux éléments du droit public (obligation de l’entretenir si on a commencé de le faire ; pas d’aliénation de ce domaine sans désaffectation préalable…).
Il en résulte par exemple qu’il peut y avoir cession d’un chemin rural désaffecté, mais pas d’échanges de parcelles à ce sujet (CE, 23 mai 1986, 48303, publié au rec. ; CE, 17 novembre 2010,SCI Domaine de La Rivoire, n° 338338), pour citer une illégalité que nous constatons souvent au fil de nos dossiers…
A noter : le conseil municipal peut décider d’affecter de nouveau à la circulation un chemin rural désaffecté en fait (CE 10 février 1982, Cne de Cerdon, Rec. p. 67).
Un arrêt de la CAA de Nantes vient d’apporter quelques lumières et quelques souplesses à ce régime. La Cour commence par rappeler :
- qu’il résulte des dispositions des articles L. 161-1, L. 161-2 et L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime que la désaffectation d’un chemin rural résulte, en principe, d’un état de fait, caractérisé notamment par la circonstance qu’il n’est plus utilisé comme voie de passage et qu’il ne fait plus l’objet de la part de l’autorité communale d’actes réitérés de surveillance ou de voirie (sur le contrôle de l’usage réel d’un chemin rural, la jurisprudence abonde. Voir par exemple CAA Bordeaux, 14 décembre 2017, 15BX01876).
- que cependant ces dispositions ne font pas obstacle au droit du conseil municipal de décider l’aliénation d’un chemin rural, alors même que ce chemin n’aurait pas cessé d’être utilisé par le public, sous réserve que soit adoptée par ce conseil municipal une délibération décidant expressément de cesser l’affectation du chemin à l’usage du public.
Mais c’est surtout sur un autre point que la CAA a rendu un arrêt notable : sur celui des conséquences à tirer par l’administration de l’annulation, par le juge de l’excès de pouvoir, de l’acte autorisant la vente d’un chemin rural… en admettant des possibilités de régularisation.
La Cour rappelle que l’annulation d’un acte détachable d’un contrat de droit privé n’impose pas nécessairement à la personne publique partie au contrat de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de cette annulation. Il appartient au juge de l’exécution de rechercher si l’illégalité commise peut être régularisée et, dans l’affirmative, d’enjoindre à la personne publique de procéder à cette régularisation.
Lorsque l’illégalité commise ne peut être régularisée, il lui appartient d’apprécier si, eu égard à la nature de cette illégalité et à l’atteinte que l’annulation ou la résolution du contrat est susceptible de porter à l’intérêt général, il y a lieu d’enjoindre à la personne publique de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de l’annulation de l’acte détachable.
En l’espèce, les délibérations d’un conseil municipal autorisant l’aliénation d’un chemin rural et autorisant le maire à procéder aux actes de vente correspondants avaient été annulées au motif que ces délibérations n’indiquaient pas que ce chemin ne serait plus affecté à l’usage du public et que ce chemin n’avait pas cessé, de fait, d’être affecté à l’usage du public.
Des vices qui, pris comme tels, semblent tout de même assez dirimants…
Une nouvelle délibération est prise par laquelle le conseil municipal décide, avec effet rétroactif, de cesser l’affectation au public du chemin rural et d’autoriser son aliénation à la date à laquelle la vente a été conclue, en autorisant son maire à signer les actes correspondants.
Cette nouvelle délibération, selon la Cour, a régularisé l’illégalité entachant les actes administratifs préalables à la vente de ce chemin rural. Ce qui est une souplesse notable pour les communes.
Source : CAA Nantes, 22 septembre 2020, n° 20NT01144
http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CAA/decision/2020-09-22/20NT01144