Déclasser une voirie départementale vaut-il classement en voirie communale ?

Un président de conseil départemental déclasse une voirie et estime que cela vaut classement en voirie communale avec transfert de responsabilité administrative pour les litiges futurs. Le Conseil d’Etat ne l’a pas entendu ainsi, ce qui vu les textes applicables soulève plus de difficultés et d’interrogations que cela n’en résout.

 

 

Des blocs de béton se détachent d’un pont, lequel supporte une route départementale et enjambe une voie ferrée.

Des meures ont donc été prises pour le compte de Réseau ferré de France (aujourd’hui l’établissement public SNCF Réseau) et se pose la question de savoir qui, de la commune ou du département, doit l’indemniser.

En effet, ce tronçon routier avait été déclassé du domaine public routier départemental pour incorporation dans la voirie communale (et sans doute étions nous en zone agglomérée, ce qui confère au maire certains pouvoirs de police notamment, voir notamment les articles R. 115-1 et suivants du Code de la voirie routière ; voir aussi l’article L122-19 du Code des communes, non re-codifié ailleurs).

Le Conseil d’Etat a cependant estimé, à rebours de la CAA, que c’est au département, et non à la commune, de payer pour ces ouvrages. On croit supposer que le raisonnement est que les dépenses de fonctionnement (articles L. 141-1 et suiv. du code de la voirie routière) relèvent de la commune mais non les dépenses d’investissement. Mais la formulation de l’arrêt du Conseil d’Etat est plus radicale (non effet du déclassement pourtant compétence départementale aux termes du CVR ?) en posant que :

« En faisant ainsi application de dispositions applicables à la voirie communale alors même que le tronçon routier en cause était la propriété du département […] et ne pouvait pas, de ce fait, appartenir au domaine public routier communal, la cour a commis une erreur de droit.»

 

S’il s’agit de poser que le déclassement n’est pas opérant tant qu’il y a affectation au service public, s’il s’agit de poser que même en zone agglomérée les charges d’investissement ressortissent de la collectivité en charge de la compétence, cet arrêt va de soi. S’il impose qu’un déclassement départemental ne vaut transfert dans la voirie communale que s’il y a acte de classement par la commune, alors (presque contra legem) cet arrêt n’est pas anodin (mais voir déjà, par analogie, en ce sens : Conseil d’État, 7 août 2007, n°289860).

Sa formulation sybilline pourrait donner lieu à débats. Ou alors le Conseil d’Etat estime que le classement en voirie communale impose un transfert de propriété, et alors c’est toute la distinction ultra classique entre propriété et affectation qui s’en trouve changée juste via un arrêt qui n’aurait même pas les honneurs des tables du rec. ? On en doute.

Mais cet arrêt, dès lors, peut donner lieu à moult conjectures…

A suivre, donc (peut-être aurons nous un éclairage avec des publications des conclusions du rapporteur public ?).

 

Voici cet arrêt :

Conseil d’État, 8ème chambre, 27/12/2019, 420302, Inédit au recueil Lebon

Conseil d’État

N° 420302   
ECLI:FR:CECHS:2019:420302.20191227
Inédit au recueil Lebon
8ème chambre
M. Vincent Uher, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats

lecture du vendredi 27 décembre 2019

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

L’établissement public national à caractère industriel et commercial (EPIC) SNCF a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de La Rochelle (Charente-Maritime) à lui rembourser la somme de 48 469 euros, assortie des intérêts au taux légal, correspondant aux travaux de mise en sécurité du pont de Tasdon, ouvrage qui surplombe les voies ferrées de la gare de La Rochelle et supporte la route départementale n° 937 incorporée au domaine public communal par un arrêté du président du conseil général de Charente-Maritime du 27 juillet 2003. Par un jugement n° 1202831 du 15 octobre 2015, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15BX03993 du 1er mars 2018, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel de l’EPIC SNCF Réseau, venant aux droits de la SNCF, annulé ce jugement et condamné la commune de La Rochelle au versement à SNCF Réseau de la somme demandée, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2012.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 mai et 2 août 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de La Rochelle demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de SNCF Réseau ;

3°) de mettre à la charge de SNCF Réseau la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de la voirie routière ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la commune de La Rochelle et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de SNCF Réseau ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’après avoir constaté que des blocs de béton se détachaient du pont de Tasdon, lequel supporte la route départementale 937 et enjambe la voie ferrée à proximité de la gare de La Rochelle (Charente-Maritime), les services de l’établissement public SNCF chargés de la gestion du réseau ferré propriété de l’établissement public Réseau ferré de France ont pris des mesures conservatoires afin d’assurer la sécurité de l’ouvrage. Estimant que l’entretien de ce dernier incombait à la commune de La Rochelle, gestionnaire du tronçon routier en cause, la SNCF a demandé à celle-ci le remboursement de la somme de 48 469,15 euros engagée au titre de ces travaux de sécurisation. A la suite du refus opposé à cette demande par la commune de La Rochelle, la SNCF a saisi le tribunal administratif de Poitiers d’une demande tendant à ce que cette commune soit condamnée à lui rembourser la somme de 48 469,15 euros, assortie des intérêts au taux légal. Par un jugement du 15 octobre 2015, ce tribunal a rejeté sa demande. Par un arrêt du 1er mars 2018, la cour administrative d’appel de Bordeaux a fait droit à l’appel formé par l’établissement public SNCF Réseau, qui s’est substitué à Réseau ferré de France et à la branche infrastructures de la SNCF au 1er janvier 2015, et a condamné la commune de La Rochelle au paiement de la somme litigieuse à SNCF Réseau. Cette commune se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Aux termes de l’article L. 141-1 du code de la voirie routière :  » Les voies qui font partie du domaine public routier communal sont dénommées voies communales « . L’article L. 141-8 du même code dispose que  » Les dépenses d’entretien des voies communales font partie des dépenses obligatoires mises à la charge des communes par l’article L. 221-2 du code des communes. « 

3. Il résulte de ces dispositions que constituent des dépenses obligatoires des communes les dépenses d’entretien des voies dont elles sont propriétaires et qui sont classées dans leur domaine public routier.

4. Après avoir relevé que le tronçon routier que supportait le pont de Tasdon avait été déclassé du domaine public routier départemental par un arrêté du 27 juillet 2003 du président du conseil général de Charente-Maritime  » pour incorporation dans la voirie communale de La Rochelle « , la cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé que les dépenses d’entretien litigieuses constituaient des dépenses obligatoires de la commune de La Rochelle en vertu de l’article L. 141-8 du code de la voirie routière, quand bien même celle-ci n’en serait pas propriétaire. En faisant ainsi application de dispositions applicables à la voirie communale alors même que le tronçon routier en cause était la propriété du département de Charente-Maritime et ne pouvait pas, de ce fait, appartenir au domaine public routier communal, la cour a commis une erreur de droit.

5. Par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, l’arrêt attaqué doit être annulé.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de SNCF Réseau la somme de 3 000 euros à verser à la commune de La Rochelle au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de La Rochelle qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 1er mars 2018 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 3 : L’établissement public SNCF Réseau versera une somme de 3 000 euros à la commune de La Rochelle au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l’établissement public SNCF Réseau au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de La Rochelle et à l’établissement public national à caractère industriel et commercial SNCF Réseau.