Règlements de comptes à BK Corral [the end ?]

Un maire s’oppose à tous prix à un fast food, même par des moyens dilatoires. L’entreprise peut alors riposter en justice, bien sûr. Mais elle peut même le faire par la voie du référé liberté, ce qui est une nouveauté. Puis du référé suspension. Voici le récit d’une histoire juridiquement sanglante. Et ce n’est pas du ketchup. Avec un rebondissement à la fin. Comme dans les meilleurs films. 

 

C’est un maire. Celui d’Aubière (juste à côté d’OK corral).

 

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Face à lui, le terrible Burger King (BK), la terreur de la gastronomie française.

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Le Maire-shérif (sheriff) est fermement campé sur ses boots. Il ne veut pas de l’étranger BK chez lui.

Alors en bon cow-boy, le maire flingue à tout va. Avec toutes les armes de l’édile municipal, son étoile de shérif brillant sous le soleil de la lutte contre la malbouffe.

Il en résulte une série de duels.

Cela commence par Trois échecs. Devant un TA de Clermont-Ferrand qui semble perdre sa patience. Pendant que le Maire-sherrif, lui, en perd son latin juridique… de cuisine.

Mais le maire apprend et… il vient de remporter une spectaculaire victoire devant la CAA (merci à M. Strebler de m’avoir signalé ce rebondissement !). 

 

I. Premier duel : 2015.

 

Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé, par son jugement du 17 novembre 2015, l’arrêté du maire d’Aubière du 28 avril 2015, portant interruption des travaux engagés par la société Quantum Development en vue de la construction d’un restaurant à l’enseigne « Burger King ».

Le maire d’Aubière, intervenant en application des dispositions de l’article L. 480-2 du code de l’urbanisme, a pris cet arrêté, non pas au nom de la commune, mais au nom de l’Etat.

Le tribunal a constaté que le préfet du Puy-de-Dôme, représentant de l’Etat devant le tribunal, n’avait pas défendu et il devait donc être réputé, en application des dispositions de l’article R. 612-6 du code de justice administrative, avoir acquiescé aux faits tels que présentés par la société Quantum Development dans sa requête.

En l’absence de défense du représentant de l’Etat, l’intervention de la commune d’Aubière en défense, n’a pas pu être prise en compte.

Le tribunal, qui doit constater cependant que les faits exposés par la société requérante ne sont pas contredits par les pièces du dossier, n’a pu que retenir son argumentation, non contestée, et annuler l’arrêté attaqué.

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II. Deuxième duel, en septembre 2017. Victoire du référé liberté.

 

 

Le maire-sherrif a donc perdu ce premier duel juridictionnel à Burger King Corral.

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Alors il utilise l’arme administrative ultime, le colt secret, la lenteur administrative. Celle des polices relatives aux établissements recevant du public (ERP), entre autres.

Mais face à cette arme de la lenteur, le burger a répliqué. Il a dégainé au contraire le colt de la rapidité, celui du référé liberté.

Voyez la scène, sergioléonesque. Tarantinesque. D’un côté, le shérif qui en un ralenti digne du western spaghetti tire très très lentement ses cartouches « ERP ».  De l’autre, le yankee BK qui shoote d’un grand coup de référé liberté.

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Et le référé liberté gagna. Alors qu’il n’était pas gagné qu’une telle arme pût être dégainée. Après tout, il faut qu’une liberté soit en cause. La liberté de manger un Burger King ? Vraiment ? La liberté d’échapper à McDo (là déjà cela se défend plus…) ?

La réponse vint du juge, lassé par ce mauvais duel : le comportement dilatoire du maire de la commune d’Aubière, dans l’instruction de la demande d’ouverture au public d’un restaurant « Burger King », porte une atteinte grave et manifeste à la liberté du commerce et de l’industrie, au droit de propriété et à la confiance légitime qui doit régir les rapports entre les citoyens et l’administration.

Après l’avis favorable à l’ouverture de ce restaurant émis le 30 août 2017 par la commission de sécurité, il enjoint à la commune d’instruire sans délai la demande d’ouverture, et ce conformément au bon fonctionnement des services publics, et de prendre une décision.

Bref, L’atteinte à la confiance légitime du citoyen dans l’administration, d’une part, et à la liberté du commerce et de l’industrie, d’autre part, justifie l’intervention du juge du référé-liberté. 

TA Clermont-Ferrand, Ord., 9 septembre 2017, n° 1701643 :

1701643 Quartus

 

NB : ordonnance qui avait été relatée dans le présent blog. Avec recyclage de certains textes dans le présent post. C’est notre côté écolo… 

 

III. Décembre 2017 : nouveau duel. Nouvel échec du maire. Victoire du référé (référé suspension cette fois).

 

Mais le maire persiste. Il dégaine encore. Same player shoot again.

Le maire, cette fois, a mis en demeure cette société de procéder à la suppression de cinq « enseignes » sous un délai de 15 jours et sous astreinte journalière de 200 euros par « dispositif en infraction ».

Et revoici de nouveau la société Athik Aubière, à propos du même restaurant « Burger King », qui ressaisit le tribunal administratif de Clermont Ferrand. Il paraît qu’elle vise à obtenir une carte de fidélité.

Et, bien sûr, le TA suspend (en référé suspension cette fois) la décision du maire d’Aubière.

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Le juge des référés du tribunal estime que les deux conditions de la suspension de cette décision sont remplies : d’une part l’urgence et d’autre part l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision du maire d’Aubière, à savoir une éventuelle erreur de droit dans l’application du code de l’environnement et un éventuel détournement de pouvoir. La décision du juge des référés est une décision provisoire : le fond de ce dossier sera examiné au premier trimestre 2018.

Ordonnance TA Clermont Ferrand, n°1702148 du 8 décembre 2017

1702148

 

IV. Eté torride 2021. Cette fois, c’est BK corral qui mord la poussière…

 

Le duel se déplace ensuite au fond, puis en CAA… et ce toujours avec ce même duel au soleil du droit des enseignes et pré-enseignes (article L. 581-3 du code de l’environnement).

Difficile de ne pas appliquer ce droit à ces éléments de communication du restaurant :

« les  » menu boards  » en cause constituent des dispositifs d’affichage scellés sur le terrain même où est implanté l’établissement et où s’exerce la vente à emporter, notamment par les automobilistes qui recourent au service de distribution au volant ou  » drive « . Ainsi qu’il a été dit, ces dispositifs ont pour objet d’afficher, en images, les menus et produits vendus par l’établissement et sont donc relatifs à une activité qui s’y exerce. S’agissant de l' » auvent borne de commande « , il ressort de ces mêmes pièces que ce dispositif, constitutif d’une installation commerciale nécessaire au fonctionnement du service de distribution au volant, comporte en caractères très visibles l’inscription  » commandez ici  » qui renseigne sur l’activité de vente à emporter exercée par l’établissement. »

Or, tout signe est enseigne : c’est insigne (à lire ici).

Sources : CE, 1er avril 2019, n° 416919 ; voir cependant antérieurement CE, 4 mars 2013, Société Pharmacie Matignon, n° 353423, rec. T. pp. 428-808 ; lire à ce sujet un article dont on aurait aimé inventer le titre, in JCP ACT, n° 12-13, 18 mars 2013, act. 249, Enseignes ou pré-enseignes, une distinction lumineuse ?, par M. Charles-André Dubreuil) ; Cass. com., 13 janvier 2009, n° 07-19056 et 07-19571 ; TA Marseille, 30 mars 2006, n° 0203801 (lire in Environnement, n° 5, par M. Février, mai 2007, comm. 106 ; CE, 28 février 2020, n° 419302)…

 

Et la CAA de poser que :

« Contrairement à ce qui est soutenu par la société Athik Aubière, la circonstance que ces dispositifs ne sont pas apposés sur le bâtiment de l’établissement est sans influence sur leur qualification d’enseigne. La commune d’Aubière est par suite fondée à soutenir que les cinq dispositifs litigieux doivent, contrairement à ce qui a été jugé par les premiers juges, être qualifiés d’enseigne au sens des dispositions précitées de l’article L. 581-3 du code de l’environnement. »

Avec in fine une censure de BK :

4. En premier lieu, le code de l’environnement dispose à son article L. 581-2 que :  » Afin d’assurer la protection du cadre de vie, le présent chapitre fixe les règles applicables à la publicité, aux enseignes et aux préenseignes, visibles de toute voie ouverte à la circulation publique, au sens précisé par décret en Conseil d’Etat. Ses dispositions ne s’appliquent pas à la publicité, aux enseignes et aux préenseignes situées à l’intérieur d’un local, sauf si l’utilisation de celui-ci est principalement celle d’un support de publicité « , à son article R. 581-1 que :  » Par voies ouvertes à la circulation publique au sens de l’article L. 581-2, il faut entendre les voies publiques ou privées qui peuvent être librement empruntées, à titre gratuit ou non, par toute personne circulant à pied ou par un moyen de transport individuel ou collectif « . Il ressort de ces dispositions que la réglementation relative aux enseignes découlant des dispositions du code de l’environnement s’applique aux dispositifs ainsi qualifiés lorsque ceux-ci sont visibles depuis au moins une voie publique ou privée pouvant être librement empruntée.
5. Il est constant que les cinq dispositifs litigieux sont visibles et sont d’ailleurs ainsi placés pour l’être parfaitement, depuis la voie circulation qui permet aux automobilistes de passer, puis de retirer, leur commande depuis leur véhicule. Il ressort également des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de la police municipale produit par la commune, que ces dispositifs sont également visibles depuis plusieurs voies de circulation publique situées à proximité immédiate de l’établissement. Les dispositions du code de l’environnement relatives aux enseignes au sens de l’article L. 581-2 du code de l’environnement étaient dès lors applicables aux dispositifs litigieux.
6. En deuxième lieu, il n’est pas contesté que ces cinq dispositifs contreviennent aux dispositions de l’article R. 581-64 du code de l’environnement et du règlement local de publicité.
7. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 581-27 du code de l’environnement :  » Dès la constatation d’une publicité, d’une enseigne ou d’une préenseigne irrégulière au regard des dispositions du présent chapitre ou des textes réglementaires pris pour son application, et nonobstant la prescription de l’infraction ou son amnistie, l’autorité compétente en matière de police prend un arrêté ordonnant, dans les quinze jours, soit la suppression, soit la mise en conformité avec ces dispositions, des publicités, enseignes ou préenseignes en cause, ainsi que, le cas échéant, la remise en état des lieux. / Cet arrêté est notifié à la personne qui a apposé, fait apposer ou maintenu après mise en demeure la publicité, l’enseigne ou la préenseigne irrégulière (…) « . En application de ces dispositions, le maire de la commune d’Aubière était tenu, ayant constaté que les dispositifs litigieux contreviennent aux dispositions l’article R. 581-64 du code de l’environnement et du règlement local de publicité, de mettre en demeure la société Athik Aubière de se conformer à cette réglementation.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d’Aubière est fondée à soutenir que c’est à tort que, par son jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a fait droit à la demande d’annulation de la société Athik Aubière et à en demander l’annulation.

Source : CAA de LYON, 3ème chambre, 30/06/2021, 19LY01618, Inédit au recueil Lebon

 


 

The End ?

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