Arrêt FGDR : intéressante application des critères de ce qu’est une « personne privée chargée d’une mission de service public » 

En 2007, le Conseil d’Etat affinait sa jurisprudence sur ce qu’est une « personne privée chargée d’une mission de service public », en posant qu’ :

« indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public, une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public. »

« Même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission. »

(formulation des tables du rec., issues de la décision du CE bien évidemment, sur : CE, Section, 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, n° 264541, rec. p. 92.)

 

Les trois conditions alternatives sont :

 

Il est à rappeler au passage que les litiges portent souvent sur les questions de communication, ou non, des documents détenus par un organisme privé chargé d’une mission de service public. A ce sujet, voir :

 

Voir aussi un autre sujet très proche : Quand une « entité investie de missions à caractère public » (telle par exemple qu’une fédération sportive) peut-elle être soumise au droit de la commande publique ? 

 

 

Avant-hier, le Conseil d’Etat a fait une intéressante application de ce régime.

Il a rappelé ces trois critères alternatifs, en des termes exactement repris de l’arrêt de 2007.

Et il en a fait application au fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR). En l’espèce, la Haute Assemblée a relevé que :

  • le fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR), personne morale de droit privé,qui a pour mission, en vertu de l’article L. 312-4 du code monétaire et financier (CMF), de gérer et de mettre en oeuvre le mécanisme de garantie des dépôts et le dispositif de financement de la résolution, ce qui revient à constater que ce fonds assure une mission d’intérêt général.
  • les autres indices susmentionnés conduisent à cette qualification :
    • son règlement intérieur et les règles d’emplois de ses fonds sont homologués par arrêté du ministre chargé de l’économie,
    • il est soumis au contrôle de l’inspection générale des finances,
    • les délibérations par lesquelles son conseil de surveillance arrête le taux ou le montant des contributions appelées auprès de ses adhérents ainsi que la répartition des contributions selon leur nature sont prises sur avis conforme de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)
    • un censeur d’Etat, désigné par le ministre chargé de l’économie, participe, sans voix délibérative, aux travaux du conseil de surveillance, l’article L. 312-13 du CMF prévoyant, en outre, la possibilité pour le ministre, le gouverneur de la Banque de France, le président de l’ACPR, ainsi que pour le président de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ou leurs représentants d’être entendus, à leur demande, par le conseil de surveillance et le directoire.
    • il appartient au ministre chargé de l’économie de préciser par arrêtés, entre autres, les conditions, délais et modalités de mise en oeuvre de la garantie des dépôts, le plafond d’indemnisation par adhérent et par déposant ou encore les modalités de désignation des membres du conseil de surveillance ainsi que la durée de leur mandat. Il s’ensuit que le FGDR doit être regardé comme placé sous le contrôle de l’Etat.
  • De plus, le FGDR est doté, pour l’exercice de sa mission d’intérêt général, « de prérogatives de puissance publique dès lors que les établissements de crédit, les entreprises d’investissement et les sociétés de financement mentionnées au II de l’article L. 511-1 du CMF, agréés en France, ainsi que les compagnies financières holding mixtes ayant leur siège en France, les entreprises de marché autorisées à fournir les services d’investissement mentionnées aux 8 et 9 de l’article L. 321-1 de ce code sont tenus d’adhérer au fonds, qu’il peut, en application de l’article L. 312-7 du même code, lever des contributions exceptionnelles et que, pour l’exercice de sa mission d’indemnisation, le fonds a, sur le fondement de l’article L. 312-15 de ce code, accès aux informations nécessaires détenues par ses adhérents, l’ACPR et son collège de supervision ou son collège de résolution, y compris celles couvertes par le secret professionnel. »

Compte tenu de tout ce qui précède, le FGDR, qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration en étant doté, à cette fin, de prérogatives de puissance publique, exerce une mission de service public.

Au delà de l’intérêt de l’arrêt en lui-même pour ledit fonds, on notera :

  • une illustration du raisonnement du juge, utile pour toute transposition au cas par cas pour des dossiers futurs
  • le fait que le Conseil d’Etat reprend des critères sur le fonctionnement et sur le contrôle par l’Etat… comme s’il traitait des indices du critères n° 3 ci-avant (mission de service public ressortant de divers indice)… pour rebondir avec l’existence de prérogatives de puissance publique sur le critère n° 1 ci-avant (exécution d’un service public avec prérogatives de puissance publique). Ce n’est pas surprenant car à chaque fois il s’agit de dégager le service public, mais l’usage d’indices relatifs au fonctionnement du service pour le qualifier illustre bien la méthode du juge, laquelle ne s’embarrasse pour le coup pas trop de distinguer entre causes et conséquences, entre la poule et l’oeuf. Le légendaire pragmatisme du juge administratif…

 

 

CE, 28 septembre 2021, n° 447625, à mentionner aux tables du recueil Lebon