Transports des malades : est-ce l’hôpital ou le SDIS qui se moque de la charité ? [suite à jour au 3/1/22 ; nouvel arrêt du CE]

Le financement des transports des malades ne cesse de donner lieu à des polémiques et des contentieux.

Voir entre autres :

 

A la base, les règles sont simples :

  • le SDIS doit autofinancer ses actions s’il intervient dans le cadre des missions qui leur ont été confiées par le législateur
  • lorsque le SDIS intervient pour d’autres missions, ce sont les bénéficiaires (établissement de santé, particuliers ou entreprises) qui peuvent ou doivent financer ces activités dans des cadres d’ailleurs un peu complexes.

Sauf que les domaines d’intervention entre SDIS et missions des SAMU/SMUR, entre les « rouges » et les « blancs », les répartitions des tâches ne sont pas claires et des conventions parfois un peu douteuses en termes de légalité administrative ont été conclues. 

Sur une partie de ces questions, un arrêt important avait été rendu par le Conseil d’Etat en 2020 (I). Signalons que le TA d’Amiens avait ensuite rendu, en mai 2021, une série d’intéressants jugements intéressants, dans la même lignée (II).
Dans ces décisions, il a été posé que
les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 1424-42 du CGCT régissent l’ensemble des conditions de prise en charge financière par les établissements de santé d’interventions effectuées par les SDIS à la demande du centre de réception et de régulation des appels lorsque ces interventions ne sont pas au nombre des missions de service public définies à l’article L. 1424-2 de ce code auxquelles ces établissements publics sont tenus de procéder et dont ils supportent la charge. Dans ces cas là, le SDIS ne peut demander aucune autre participation aux frais (au contraire de ce qu’ils peuvent demander, via des conventions, dans d’autres cadres).

Or, voici que le Conseil d’Etat, à ce sujet, a rendu, le 30 décembre 2021, un nouvel arrêt (III).
Au terme de cette nouvelle décision, et dans la même lignée, il y a prise en charge par le SDIS, sans qu’ait d’incidence une éventuelle intervention de la SMUR, en cas d’évacuation (en « départ réflexe ») de la personne secourue (et quelle que soit la gravité de l’état de celle-ci),vers un établissement de santé. 

 

Sources textuelles : articles L. 1424-2 et L. 1424 42 du code général des collectivités territoriales (CGCT) ; article L. 742-11 du code de la sécurité intérieure (CSI) ; articles L. 6311-1, L. 6311-2, R. 6311-1, R. 6311-2, R. 6123-15, R. 6312-15 et D. 6124-12 du code de la santé publique (CSP) ; paragraphe II.B.1 du titre I du référentiel commun du 25 juin 2008 relatif à l’organisation du secours à personne et de l’aide médicale urgente, annexé à l’arrêté de la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales et de la ministre de la santé et des sports du 24 avril 2009 ; circulaire interministérielle du 5 juin 2015 relative à l’application de cet arrêté.

 

 

I. Le mode d’emploi du Conseil d’Etat en 2020, s’agissant des appels au « 15 »

 

S’agissant de l’appel au « 15 », au SAMU, pour les transports ensuite notamment en l’absence de VSL disponible, s’appliquent des financements spécifiques dont les règles ont été précisées par le Conseil d’Etat par un arrêt rendu le 18 mars 2020.

Avec une leçon générale : non le SDIS ne peut facturer plus, ou à côté, de ce qui est prévu par le texte dans le cadre de ses propres missions de service public.

Le Conseil d’Etat commence par retracer le contenu des dispositions ad hoc du Code de la santé publique (art. L. 6311-1 et suiv. de ce code puis art. R. 6311-1, R. 6311-2, D. 6124-12 et R. 6312-15 de ce même code).

Il en déduit que les services départementaux d’incendie et de secours :

« ne doivent supporter la charge que des interventions qui se rattachent directement aux missions de service public définies à l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, au nombre desquelles figurent celles qui relèvent des secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes, y compris l’évacuation de ces personnes. Les interventions ne relevant pas directement de l’exercice de leurs missions de service public effectuées par les services départementaux d’incendie et de secours peuvent donner lieu à une participation aux frais des personnes qui en sont bénéficiaires, dont ces services déterminent eux-mêmes les conditions. »

Ce n’est pas totalement nouveau. Mais, on le voit, cela dépasse la question du financement par les CHU et autres établissements publics de santé…

Dans le cas des appels au centre de réception et de régulation des appels, dit  » centre 15 « , le Conseil d’Etat pose que les :

« les interventions ne relevant pas de l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales qui sont effectuées par les services départementaux d’incendie et de secours à la demande du centre 15, lorsque celui-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés, sont décidées, sous sa responsabilité, par le médecin régulateur du service d’aide médicale urgente, qui les a estimées médicalement justifiées compte tenu des informations dont il disposait sur l’état du patient. Elles font l’objet d’une prise en charge financière par l’établissement de santé siège des services d’aide médicale d’urgence, dans des conditions fixées par une convention – distincte de celle que prévoit l’article D. 6124-12 du code de la santé publique en cas de mise à disposition de certains moyens – conclue entre le service départemental d’incendie et de secours et l’établissement de santé et selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale. »

Sur cette base, la Haute Assemblée valide la position de la CAA qui avait déduit de ces textes que :

BREF PAS DE FACTURATION POUR CES PRESTATIONS au delà de ce qui est prévu en droit :

Source : CE, 18 mars 2020, n° 425990

Nous avions alors commenté ici cet arrêt :

 

II. D’intéressants jugements du TA d’Amiens en mai 2021

 

Les conseils d’administration des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) de l’Aisne, de l’Oise et de la Somme avaient adopté des délibérations visant à facturer aux centres hospitaliers des trois départements les frais de transport des victimes d’accidents vers ces centres hospitaliers, dans le cadre des missions du SDIS d’appui à l’aide médicale d’urgence gérée par les services d’aide médicale urgente (SAMU) relevant de ces centres hospitaliers.

Le tribunal administratif d’Amiens a constaté l’illégalité de ces délibérations et des titres de perception émis par les SDIS à l’encontre des centres hospitaliers.

Le tribunal a relevé que le SDIS peut être amené à accomplir sa mission de secours d’urgence aux victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes sur demande du médecin régulateur du SAMU avec intervention conjointe de la structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR), relevant comme les SAMU des centres hospitaliers.

Il a également rappelé l’étendue du pouvoir de décision du médecin régulateur en la matière, qui décide du mode de transport d’une victime vers un centre hospitalier qui peut être assuré par le SDIS ou par la SMUR.

Le tribunal a jugé que, lorsque le médecin régulateur du SAMU décide que le transport sera effectué par le SDIS, après médicalisation de la victime par la SMUR, cette décision n’a pas pour effet de retirer à la mission accomplie par le SDIS son caractère de secours d’urgence au sens de l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), du fait que la mission était conjointe avec la SMUR.

Il a ainsi jugé que cette mission de transport des SDIS demeure, dans ce cadre, une prolongation de sa mission de service public telle que définie par le CGCT et que les frais qu’elle génère doivent être pris en charge par les budgets propres des SDIS.

Les centres hospitaliers ont donc demandé à bon droit l’annulation des titres de recettes procédant des délibérations par lesquelles les SDIS leur ont imposé une participation financière à ces dépenses de transports sanitaires.

Voir sur le site de ce tribunal :

 

Voir ces mêmes (et nombreux) jugements en pdf :

 

 

III. Le nouvel arrêt du Conseil d’Etat en date du 30 décembre 2021

 

Dans cette nouvelle affaire, le Conseil d’Etat commence par rappeler les règles de base :

  • les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) ne doivent supporter la charge que des interventions qui se rattachent directement aux missions de service public définies à l’article L. 1424-2 du CGCT Figurent au nombre de ces missions celles qui relèvent des secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes, y compris l’évacuation de ces personnes vers un établissement de santé.
  • il incombe aux services d’aide médicale urgente (SAMU) de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu’ils se trouvent, les soins d’urgence appropriés à leur état et, à cette fin, au centre de réception et de régulation des appels, dit « centre 15 », installé dans ces services, de déterminer et déclencher, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels, le cas échéant en organisant un transport sanitaire d’urgence faisant appel à une entreprise privée de transport sanitaire ou, au besoin, aux SDIS.

Or, en l’espèce une convention avait été conclue entre un hospitalier universitaire et le SDIS du département pour permettre que, dans le cadre prévu par l’article D. 6124-12 du CSP, les moyens du SDIS soient, sur demande du « centre 15 », mis à la disposition de la structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) pour l’exercice par cette dernière de ses missions.

Cette convention précisait à son article 3 qu’elle « trouve sa limite dans les obligations de continuité de service du SDIS et l’exécution de ses missions propres ».

Le Conseil d’Etat pose que cette convention « ne saurait ainsi régir les interventions du SDIS relevant des missions qui sont dévolues à celui-ci par l’article L. 1424-2 du CGCT, qu’il est tenu d’assurer et de prendre en charge et lors desquelles il ne peut être regardé comme mettant ses moyens à la disposition d’une SMUR dans le cadre d’une convention librement conclue en vertu de l’article D. 6124-12 du CSP. »

Par suite, poursuit le Conseil d’Etat, et pour citer le résumé des tables de la base Ariane qui préfigurent celles du rec. :

« lorsque le SDIS, après avoir engagé ses moyens dans une situation de « départ réflexe », laquelle relève de ses missions de service public au titre du 4° de l’article L. 1424-2 du CGCT, procède à l’évacuation de la personne secourue vers un établissement de santé, il lui incombe d’assumer la charge financière de ce transport qui doit être regardé, en vertu des mêmes dispositions, quelle que soit la gravité de l’état de la personne secourue, comme le prolongement des missions de secours d’urgence aux accidentés ou blessés qui lui sont dévolues.
La circonstance que la SMUR soit également intervenue sur décision du médecin coordonnateur du « centre 15 » pour assurer, au titre de ses missions propres, la prise en charge médicale urgente de la personne, est sans incidence sur les obligations légales du SDIS, parmi lesquelles figure celle d’assurer l’évacuation de la personne qu’il a secourue vers un établissement de santé. »

–> Il y a donc prise en charge par le SDIS, sans qu’ait d’incidence une éventuelle intervention de la SMUR, en cas d’évacuation (en « départ réflexe ») de la personne secourue (et quelle que soit la gravité de l’état de celle-ci),vers un établissement de santé 

 

Source : CE, 30 décembre 2021, n° 443335.

Cliquer ici pour accéder à l’arrêt (http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-12-30/443335) 

 

Lire ici les intéressantes conclusions [CONTRAIRES] de M. Vincent VILLETTE, Rapporteur public