La France, pays de suffrage majoritaire pour les législatives, a désormais une chambre morcelée telle celle d’un Etat où l’on appliquerait un mode de scrutin proportionnel.
Cela suscite des inquiétudes au regard de nos habitudes partisanes et des possibles réactions des électeurs si par hasard des majorités composites se formaient, ou plus simplement sur notre capacité dans cette configuration à adopter des lois dont notre Nation aurait besoin…
Mais cela nourrit aussi des commentaires sur notre besoin de réapprendre l’art parlementaire du compromis afin de faire, ensemble, émerger un sens commun.
Or, pour dépasser ce jeu entre optimistes et pessimistes, voici que revient à la mode depuis trois ou quatre jours dans les médias l’idée de recourir au référendum sur nombre de sujets.
Soit, pourquoi pas.
Et voici qu’on l’évoque aussi pour l’IVG.
Et là, en droit, force est de signaler que cela ne va pas de soi… et sauf à négliger la jurisprudence Hauchemaille.
Rappelons donc quelques données juridiques de base :
- notre Constitution prévoit le recours possible au référendum soit par son article 11 soit par son article 89
- l’article 89 (révision de la Constitution) passe par un accord des deux chambres du Parlement (Sénat et A.N.) alors que l’article 11, bien plus léger sur ce point, se contente d’imposer un simple débat au sein desdites chambres
- mais l’article 11 de la Constitution a un champ d’application bien plus limité. Son domaine est limité aux projets de loi « portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.»
- Donc une vraie modification de la Constitution passe par l’article 89, et donc par l’approbation des deux chambres.
- certes dans le passé (réforme de 1962 sur l’élection Présidentielle au suffrage universel direct, lequel fut mis en oeuvre la première fois en décembre 1965) il fut possible à l’exécutif de contourner le législatif par recours direct à l’article 11…
- MAIS c’était avant la décision la jurisprudence Hauchemaille… qui était devenue entre les deux tours de l’élection présidentielle une véritable star des médias après presque 22 ans de vie plutôt discrète. … avant que de devoir, au lendemain des législatives donc, devoir être de nouveau rappelée.
Cette décision « Hauchemaille » (attention il y en a plusieurs du même requérant avec des dates et des objets différents) admet ainsi pour la première fois la compétence juridictionnelle du Conseil constitutionnel pour connaître d’un acte préparatoire au référendum lorsque l’irrecevabilité qui serait opposée au recours risquerait de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle des opérations référendaires, vicierait le déroulement général de vote à intervenir ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics.
Cette audace du Conseil constitutionnel était importante pour assurer une réalité de la séparation des pouvoirs, même si cette décision, qui conduit à l’impossibilité de contourner la Constitution pour réviser celle-ci, ne manquera pas, de-ci, de-là, d’être contestée par les tenants du gouvernement plébiscitaire.
Voici cette décision :
Décision n° 2000-21 REF du 25 juillet 2000
NB lire par exemple : https://www.conseil-constitutionnel.fr/referendum-sur-le-quinquennat/le-contentieux-des-actes-preparatoires-a-un-referendum
Voir aussi Cons. const. 14 mars 2001, Hauchemaille, CE, Sect. 14 septembre 2001, Marini et 20 septembre 2001, Hauchemaille et Marini, par M. Richard Ghevontian, in Revue française de droit constitutionnel 2001/4 (n° 48), pages 775 à 778. Voir aussi H. Savoie, Conclusions sur CE, Ass., 1er sept. 2000, Larrouturou, Meyet et autres, RFD Adm. n° 16, sept-oct. 2000, p. 989. Etc.
Citons le considérant de principe de cette décision :
« 5. Considérant, cependant, qu’en vertu de la mission générale de contrôle de la régularité des opérations référendaires qui lui est conférée par l’article 60 de la Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel de statuer sur les requêtes mettant en cause la régularité d’opérations à venir dans les cas où l’irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle des opérations référendaires, vicierait le déroulement général du vote ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics ;»
Voir aussi à ce même sujet cette vidéo du Professeur Maus faite entre les deux tours :