Reconnaître (ou non) des associations cultuelles : est-ce reconnaître un culte ? est-ce entraver la liberté de religion ?

Crédits photographiques : Conseil constitutionnel

La loi de 1905 revient-elle à encadrer la liberté de culte… par un (liberticide ?) régime d’autorisation préalable ?

A cette question, le Conseil constitutionnel vient de répondre par la négative, non sans réserves et, surtout, non sans de subtiles vaticinations.

De l’intérêt de l’infaillibilité reconnues aux bulles émises rue Montpensier… 

 


 

La loi de 1905 revient-elle à encadrer la liberté de culte… par un (liberticide ?) régime d’autorisation préalable ?

A cette question, la première réaction de tout lecteur sera de se dire que non, puisque nous vivons dans un régime de réelle liberté des cultes (moindre que chez nombre des autres démocraties occidentales cela dit…).

Mais réfléchissons-y bien. L‘article 19-1 de la loi du 9 décembre 1905 oblige les associations à déclarer leur caractère cultuel pour bénéficier des avantages propres à la catégorie des associations cultuelles, d’instituer un régime d’autorisation préalable conduisant l’État à reconnaître certains cultes. Ceci a encore été alourdi par la loi séparatisme (voir ici), avec désormais des possibilités plus grandes pour les préfets de refuser ou de retirer cette qualité cultuelle dans de nombreux cas.

Dans ce cadre, ne sommes nous pas passés en droit public à un régime d’autorisation préalable qui serait, du point de vue la liberté des cultes, contraire à nos règles constitutionnelles ? D’autant que la notion d’activités « en lien avec l’exercice d’un culte » reste assez souple pour qu’on puisse y voir une incompétence négative…

A ces questions, le Conseil constitutionnel vient de répondre par la négative, au prix de subtiles vaticinations…

Première subtilité, les sages de la rue Montpensier, qui rappellent logiquement l’existence aussi du principe de laïcité, estiment que ce régime propre aux associations cultuelles ne reviendrait pas selon eux à reconnaître un culte. C’est éminemment contestable, bien sûr, car le Conseil constitutionnel confond sciemment la formulation de reconnaissance des cultes qui n’est pas faite par la République… mais quand l’administration reconnait qu’existe ou pas une association cultuelle, c’est bien qu’on en reconnait la caractéristique religieuse ou non. Le régime bâti rejette (hors Alsace-Moselle et hors quelques singularités guyanaises) tout culte reconnu au niveau national. Certes. Mais dire que reconnaître à une association un caractère cultuel ou non … n’est pas reconnaître un culte est à tout le moins contestable.

Ensuite le juge constitutionnel pose que les arguments évoqués sont à rejeter puisque le préfet est tenu par :

  • une forte procédure contradictoire préalable (heu… quel est le rapport avec la question posée ?)
  • le fait que ce n’est que pour des motifs d’ordre public ou dans le cas où il constate que l’association n’a pas pour objet exclusif l’exercice d’un culte ou que sa constitution, sa composition et son organisation ne remplissent pas les conditions limitativement énumérées aux articles 18 et 19 de la loi du 9 décembre 1905…. que le préfet peut s’opposer à cette reconnaissance. Là encore, difficile pour le Conseil constitutionnel de se révéler très convainquant puisque cela revient à dire que NON ce n’est pas reconnaitre et autoriser au préalable un culte… puisque le préfet peut revenir sur cette autorisation notamment si l’association n’est pas cultuelle.

On peut donc contester qu’il s’agisse d’une autorisation préalable; Mais pas qu’il revienne à l’Etat en ce régime, au cas par cas, de décerner ou non des brevets de religiosité et, si l’on ose dire, de reconnaître au cas par cas aux associations un caractère cultuel ou non.

Puis le Conseil constitutionnel estime que le principe de liberté d’association n’est pas atteint en l’espèce (certes).

S’agissant ensuite des dispositions des articles 4, 4-1 et 4-2 de la loi du 2 janvier 1907, citons le communiqué du Conseil car celui-ci s’avère intéressant pour comprendre les réserves d’interprétation ainsi émises :

« Examinant les critiques adressées à ces dispositions au regard du principe de la liberté d’association et du libre exercice des cultes, le Conseil constitutionnel relève que les diverses obligations administratives et financières qu’elles imposent aux associations ayant des activités en relation avec l’exercice public d’un culte sont de nature à porter atteinte à ces exigences.

« Toutefois, il juge que, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu renforcer la transparence de l’activité et du financement des associations assurant l’exercice public d’un culte. Ce faisant, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.

« En deuxième lieu, en application des dispositions contestées des articles 4 et 4-1 de la loi du 2 janvier 1907, les associations sont soumises à des obligations consistant, en particulier, à établir une liste des lieux dans lesquels elles organisent habituellement le culte, à présenter les documents comptables et le budget prévisionnel de l’exercice en cours sur demande du représentant de l’État, à établir une comptabilité faisant apparaître séparément les opérations relatives à leurs activités cultuelles, et à certifier leurs comptes lorsqu’elles ont bénéficié de financements étrangers pour des montants dépassant un seuil fixé par décret, qu’elles ont émis des reçus fiscaux, qu’elles ont perçu un montant minimal de subventions publiques ou que leur budget annuel dépasse un seuil minimal également fixé par le pouvoir réglementaire.»

« Par une seconde réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel précise que, si de telles obligations sont nécessaires et adaptées à l’objectif poursuivi par le législateur, il appartiendra toutefois au pouvoir réglementaire de veiller, en fixant les modalités spécifiques de mise en œuvre de ces obligations, à respecter les principes constitutionnels de la liberté d’association et du libre exercice des cultes.»

En dernier lieu, le Conseil écarte les griefs dirigés contre l’article 4-2 de la loi du 2 janvier 1907. Il juge que, en prévoyant que le représentant de l’État peut mettre en demeure une association de rendre son objet social conforme à ses activités lorsqu’elle exerce des « activités en lien avec l’exercice d’un culte », le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant les exigences constitutionnelles précitées.

Soit. Les cultes restent donc en réalité reconnus ou non au cas par cas par l’Etat, lequel n’en reconnait aucun mais opère un tri entre ceux qu’il reconnait comme tel ou pas… et il ne faut y voir aucune contradiction ni atteinte à la liberté de culte.

C’est commode Sans doute est-il utile que l’Etat garde la main sur ces questions. Mais il n’est pas certain que le droit y gagne à ce que ces considérations d’opportunité l’emportent contre les formulations textuelles elles-mêmes.

Ceci dit, l’exégèse religieuse et juridique ont ceci de commun qu’elles finissent toujours par conduire à faire dire à peu près ce que l’on veut aux textes, du moins tant que l’on est en position d’affirmer des doctrines réputées infaillibles.

 

Décision n° 2022-1004 QPC du 22 juillet 2022, Union des associations diocésaines de France et autres [Régime des associations exerçant des activités cultuelles], Conformité – réserve