Faut pas prendre les enfants de l’Etat de droit pour des canards sauvages [chronique du flinguage annoncé d’une réglementation illégale ; SUITE]

Voici, encore une fois, qu’une chasse « traditionnelle » aux oiseaux se fait voler dans les plumes par un Conseil d’Etat visiblement irrité d’avoir à flinguer à répétition des arrêtés que chacun sait, ab initio, plombés en droit. Mais nul ne semble vouloir mettre fin à de tels arrêtés.. 

 

Après avoir, en 2018, validé une chasse d’oiseaux à la glu… une chasse qui pourtant semblait déjà bien difficile désormais à défendre en droit européen… le Conseil d’Etat avait fini par s’y coller en posant, enfin, au juge européen, en 2019, une question préjudicielle relative à la compatibilité de cette chasse (par contraste avec des rebellions antérieures du Palais Royal en ces domaines ; voir ici).

La directive européenne « Oiseaux » du 30 novembre 2009 interdit en effet les techniques de chasse qui capturent des oiseaux massivement et sans distinction d’espèce, notamment les filets, pièges-trappes et autres pièges. Elle prévoit toutefois qu’une dérogation peut être accordée à ces techniques de chasse, notamment aux deux conditions suivantes :

  • 1) qu’il n’existe pas d’autre façon de capturer l’espèce recherchée,
  • 2) que cette technique ne permette de capturer que cette espèce-là, ou d’autres espèces mais en très faible quantité et sans dommage pour elles.

La CJUE a ensuite (sur les conclusions contraires de l’avocate générale Kokott), en mars 2021, rendu une décision qui devait logiquement conduire à une censure du droit français, en tant qu’il ne colle pas au droit européen tant que la glu colle aux plumes de l’animal.

Dès lors c’est sans surprise qu’en juin 2021, le Conseil d’Etat a fini par censurer cette chasse, à rebours de son arrêt de 2018 qui, déjà, était contraire au droit européen.

Voir pour ces épisodes précédents :

 

 

Les oiseaux purent, provisoirement, cesser d’y laisser des plumes.

Aussi la Haute Assemblée était-elle sur cette envolée prête à appliquer ce même raisonnement, cette même jurisprudence européenne, à d’autres bêtes à plumes.

Ce qu’elle fit le 6 août 2021.

Voir :

 

 

… sauf que contre toute atteinte, le pouvoir réglementaire national actuel, très pro-chasse, pour des raisons que la raison ignore, même celles des chasses au vote selon nous, a décidé de flinguer de nouveau le droit… sans être le moins du monde armé en défense. Avec évidemment une censure en retour. A ce niveau là, ce n’est plus de l’incident de chasse, c’est de l’auto-flinguage.

Source : CE, ord., 25 octobre 2021, 457535 et suivants

Cette ordonnance du 25 octobre 2021 vient d’être confirmée par le Conseil d’Etat, par une décision au fond, lue ce jour et que voici :

CE, 23 novembre 2022, n°457516, 457579

Voir aussi, du même jour et dans le même sens, pour l’alouette des champs, le merle noir, les décisions n° 457526, 457517 et 457518 :

 

Après les avoir suspendues en urgence il y a presque 13 mois, donc, le Conseil d’État juge aujourd’hui que les autorisations de chasses traditionnelles de plusieurs oiseaux (vanneaux huppés, pluviers dorés, grives, merles noirs, alouettes des champs) pour 2021-2022 sont illégales.

Saisi par la Ligue pour la protection des oiseaux et l’association One Voice, le Conseil d’État annule ainsi les autorisations ministérielles de chasse des vanneaux huppés, pluviers dorés, grives et merles noirs à l’aide de tenderies (filets fixés à terre ou nœuds coulants selon l’espèce chassée) dans le département des Ardennes, et des alouettes des champs à l’aide de pantes (filets horizontaux) et de matoles (cages) dans plusieurs départements d’Aquitaine et d’Occitanie pour la campagne 2021-2022.

Le Conseil d’État observe que le ministère ne démontre pas que ces méthodes de chasse traditionnelles :

  • seraient les seules permettant de capturer ces espèces d’oiseaux sur les territoires concernés,
  • ne capturaient d’autres oiseaux qu’en faible quantité.
  • seraient des solutions plus satisfaisantes que les solutions alternatives qui existent : la chasse à tir ou l’élevage.

Pour ces raisons, le Conseil d’État annule les arrêtés d’autorisation pris le 12 octobre 2021 par le ministre de la transition écologique comme entachés d’excès de pouvoir.

Concernant les nouvelles autorisations de chasse traditionnelles prises par le Gouvernement pour 2022-2023 et suspendues en urgence le mois dernier (voir CE, ord., 21 octobre 2022, n°468151 468151, 468152, 468153, 468154, 468170, 468172 ;  voir à ce sujet notre article : Alouette, gentille alouette… Alouette, ton chasseur est plumé ) : le communiqué de presse du Conseil d’Etat, diffusé ce jour, nous apprend que la Haute Assemblée se prononcera définitivement « au fond » sur leur légalité dans les prochains mois (ce qui serait un délai plutôt rapide). 

 

Crédits : photographie d’une alouette par Kanenori (sur Pixabay)

 

Revoici donc, sur nos écrans d’Ariane, une rediffusion ad nauseam de « Faut pas prendre les enfants de l’Etat de droit pour des canards sauvages »… ou la chronique du flinguage annoncé d’une réglementation illégale… suite. Encore et encore.

A l’image d’une arme automatique, entraînant des canardages jurisprudentiels également à répétition. Comme le comique du même nom.