Cannabis : le Conseil d’Etat autorise le flacon (CBD) tant qu’on n’a pas l’ivresse (THC)

Le Conseil d’Etat a décidé de prendre le contre-pied d’Alfred de Musset, pour qui « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ».
Pour la Haute Assemblée, en effet, en matière d’ivresse tirée du cannabis, le flacon peut être licite (CBD), tant que l’on n’a pas l’ivresse procurée par le THC.
Ce n’est pas nouveau en réalité.
Pour le Conseil d’Etat, une drogue qui ne conduit à aucun paradis artificiel, ne mérite pas d’être mise aux enfers juridiques. Autrement posé, une drogue très très douce… n’est plus une drogue.

 

Déjà les sages de la rue Montpensier avaient décidé qu’il n’était pas inconstitutionnel qu’en ce domaine le cadre législatif soit minimal, laissant une grande marge de manoeuvre au pouvoir réglementaire :

Puis, en référé, en janvier 2022, on apprenait que ledit pouvoir réglementaire devait quant à lui réglementer les stupéfiants, ce qui veut dire que si un produit n’a vraiment pas ou plus de produits qualifiables comme tels… il n’avait plus vocation à encourir la censure.

C’est ainsi que l’interdiction de vendre à l’état brut des fleurs et feuilles provenant de variétés de cannabis sans propriétés stupéfiantes avait été suspendue par le Conseil d’Etat.

Source : CE, ord., 24 janvier 2022, Union des professionnels du CBD et autres, n° 460055, 460290, 460300, 460326, 460334, 460370, 460375

Voir notre article : Drogues : pas de paradis artificiel ? alors pas d’enfer juridique… 

Avec le même raisonnement, mais au fond cette fois et non plus en référé, le Conseil d’Etat, ce jour, a censuré l’arrêté du 30 décembre 2021 interdisant de vendre des fleurs et feuilles de cannabis ayant un taux de THC (tétrahydrocannabinol) inférieur à 0,3 %.

Le Conseil d’état en effet relève que le CBD (cannabidiol), qui n’a pas d’effet psychotrope et ne provoque pas de dépendance, ne peut être considéré comme un produit stupéfiant. 

Il retient qu’il n’est pas établi que la consommation des fleurs et feuilles de ces variétés de cannabis avec un faible taux de THC comporterait des risques pour la santé publique. Il juge illégale en conséquence l’interdiction générale et absolue de leur commercialisation, telle que posée par cet arrêté interministériel du 30 décembre 2021.

Cet arrêté avait certes autorisé l’utilisation des fleurs et des feuilles des seules variétés de cannabis présentant une teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) inférieure ou égale à 0,3 %, pour produire des extraits respectant eux-mêmes ce taux. Mais, dans le même temps, cet arrêté avait interdit la vente aux consommateurs des fleurs et feuilles « à l’état brut » des mêmes variétés, quelle que soit la forme prise dans le produit fini (tisanes, huiles, cosmétiques au CBD…). 

Le Conseil d’État juge donc disproportionnée l’interdiction générale et absolue de commercialisation à l’état brut des feuilles et fleurs de cannabis à faible teneur de THC, c’est-à-dire sans propriétés stupéfiantes. Il annule en conséquence cette interdiction fixée par l’arrêté du 30 décembre 2021.

L’instruction menée au fond par le Conseil d’État a établi que la teneur en CBD et en THC varie très fortement entre les différentes variétés de cannabis. Ces deux substances, le CBD et le THC, sont les principaux cannabinoïdes végétaux essentiellement concentrés dans les fleurs et les feuilles de cannabis, mais leurs effets sont très différents. Les données scientifiques avancées par les parties ont montré que le CBD a des propriétés décontractantes et relaxantes et des effets anticonvulsivants, mais n’a pas d’effet psychotrope et ne provoque pas de dépendance, à la différence du THC. Il existe ainsi des variétés de cannabis, celles qui ont un faible taux de THC, qui ne peuvent pas être considérés comme des produits stupéfiants.

Le CBD ne crée pas de risque pour la santé publique justifiant une interdiction générale et absolue, pose le Conseil d’Etat par cette nouvelle décision. 

Jugeant de la légalité de l’arrêté d’interdiction, le Conseil d’État rappelle tout d’abord qu’une telle mesure d’interdiction doit être justifiée au regard de l’objectif de santé publique poursuivi et proportionnée aux risques pour la santé que présentent les substances ainsi réglementées.
Il retient que les risques pour la santé dépendent des quantités de THC effectivement ingérées en fonction des produits consommés et des modes de consommation. Il juge, en l’état des données scientifiques, que la nocivité des autres molécules présentes dans les fleurs et feuilles de cannabis, notamment le CBD, n’est pas établie.
Il conclut des éléments scientifiques produits dans le cadre de l’instruction que la consommation des feuilles et fleurs de variétés de cannabis présentant un taux de THC inférieur à 0,3 % ne crée pas de risques pour la santé publique justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue de leur commercialisation.

Des tests permettent de différencier les variétés de cannabis

Par ailleurs, pour justifier l’interdiction de leur commercialisation, le ministre des solidarités et de la santé faisait valoir devant le Conseil d’État que la circulation des fleurs et feuilles de variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes, par leur ressemblance avec les fleurs et feuilles issues de variétés de cette plante présentant des propriétés stupéfiantes, compromettrait l’efficacité de la politique de lutte contre les stupéfiants.

Cependant, le Conseil d’État a relevé que le taux de THC des fleurs et de feuilles pouvait être contrôlé au moyen de tests rapides et peu coûteux permettant d’identifier les variétés présentant des propriétés stupéfiantes. Le Conseil d’État estime donc que l’efficacité de la politique de lutte contre les stupéfiants ne peut justifier l’interdiction de commercialisation, à l’état brut, de fleurs et feuilles de cannabis avec un taux de THC inférieur à 0,3 %.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour un arrêté qui opérerait de nouvelles distinctions, sur la base desdits tests. Mais à lire au plus près la nouvelle décision du Conseil d’Etat, l’absence d’interdiction serait sans doute la solution la plus sûre, désormais, pour le Gouvernement. Ce qui resterait très, très en deçà d’une légalisation ou d’une dépénalisation du cannabis comme en Espagne, au Pays Bas ou encore dans de nombreux états américains. Puisqu’encore une fois, c’est faute d’ivresse que le flacon est légalisé. 

CE, 29 décembre 2022, n°444887