Covid-19 et achat de vaccins : le juge administratif français est-il compétent ?

Réponse pour le TA, puis la CAA de Paris : NON.
C’est contre-intuitif, mais au regard des règles de formation du contrat au niveau européen, cela se défend… même si cela pique un peu. 

 

Un accord avait été conclu entre la Commission européenne, pour l’UE, et des Etats membres, à l’issue duquel la Commission a conclu un contrat-cadre avec deux sociétés, pour des vaccins en matière de Covid-19. Sur la base de cet accord, l’Etat français a signé un bon de commande de vaccins.

Une association a demandé au TA de Paris d’annuler la clause d’irresponsabilité profit de ces deux sociétés qui ont fourni des vaccins contre la Covid-19… ou, à titre subsidiaire, d’annuler ce bon de commande.

Le TA s’est estimé incompétent et c’est cet aspect du litige qui est, de manière intéressante, remonté à la CAA de Paris.

Or, aux termes de l’article 1er du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale :

« 1. Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii). ».

Et aux termes de son article 25 :

« 1. Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. ».

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que des litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé peuvent relever du champ d’application du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, dès lors que l’autorité publique n’agit pas dans l’exercice de la puissance publique.

Or, la CAA de Paris a estimé qu’en signant un tel bon de commande, qui ne comporte pas de clause exorbitante du droit commun à son profit, l’Etat français n’a pas agi « dans l’exercice de la puissance publique » au sens de la jurisprudence de la Cour de justice. Dès lors, un litige relatif à ce bon de commande relève de la matière civile et commerciale au sens de ce règlement.

Par suite, les parties étant convenues de la compétence des tribunaux situés à Bruxelles pour connaître de tout litige en rapport avec ce bon de commande, le juge administratif français n’est pas compétent, selon le TA puis, maintenant, la CAA de Paris.

Nous sommes donc dans un cadre où ce contrat n’est pas qualifié de marché public en droit français, sinon il eût été considéré comme étant un  contrat administratif (art. L. 6 du code de la commande publique [CCP]). Mais les marchés publics conclus en application de règles internationales dérogent à cette règle (art. L. 6 et L. 2512-1 de ce même code).

NB : pour une analogie avec les cas où l’arbitrage est possible, voir ici et .

Le contrat n’est donc pas un contrat administratif de par la loi, au contraire de la plupart des autres marchés publics. Soit.

Faute d’une telle qualification législative, s’appliquent alors les critères classiques, matériels, du contrat  (clause exorbitante ou non, exécution du service public ou non, occupation du domaine public ou non…).

C’est ainsi que des contrats qui eussent pu sembler administratifs et français ont pu in fine ne pas relever du droit national (CE, S., 19 novembre 1999, n° 183648, rec. p. 356 pour le droit du travail ; voir ensuite dans le même sens TC, 22 oct. 2001, , n° 3236, rec. p. 752 ; voir pour des contrats ne portant pas occupation domaniale et finissant par relever du droit allemand voir CE, 30 mars 2005, n° 262964, rec. p. 128).

Inversement, on a pu voir un contrat à l’étranger, mais portant occupation du domaine public français, relever du  juge administratif français (pour un cas concernant la villa Médicis de Rome, voir CE, 25 juin 2021, n° 438023, à publier au recueil Lebon ; voir notre article : Le juge administratif français peut-il être compétent… en Italie ? ; voir aussi, dans le même sens, pour un bien en Andorre : CE, 13 octobre 1976, , n°s 87155, 2360, rec. p. 408).

D’une manière générale, il peut en résulter de redoutables complexités (sur l’arbitrage international, voir : Droit public national et arbitrage international : illustrations jurisprudentielles ).

Regardons donc ce contrat. Or, la CAA :

  • constate que le contrat, ou au moins le bon de commande, ne comporte pas de clause exorbitante du droit commun à son profit (exit ce critère donc… Soit. Pour rappel sur ce critère, voir ici)
  • estime que l’Etat français n’a pas agi « dans l’exercice de la puissance publique »… au sens de la jurisprudence de la Cour de justice.
    Au sens du droit français, cela ne tiendrait pas, en effet.
    Au sens du droit de l’Union, en effet, c’est possible, mais la jurisprudence sur ce point reste malaisée. Par exemple, la CJUE a estimé que classifier et certifier des navires pour un Etat pouvait ne pas être une activité exercée en vertu de prérogatives de puissance publique, au sens du droit de l’Union (ce qu’il appartenait à la juridiction de renvoi d’apprécier : CJUE, 7 mai 2020, LG e.a. contre Rina SpA et Ente Registro Italiano Navale, aff. C-641/18). Inversement relève de cette catégorie le fait pour un Etat de demander des sanctions pour pratique anticoncurrentielle (CJUE, n° 99/22, 22 décembre 2022 ; voir ici cette décision et là son analyse par la DAJ de Bercy).
    Ce critère reste fort malaisé d’usage : voir par exemple CJUE, 16 juillet 2020, Movic e.a., C‑73/19, EU:C:2020:568, point 36 ; CJUE, 15 février 2007, Lechouritou e.a., C‑292/05, EU:C:2007:102, point 34; CJUE 28 février 2019, Gradbeništvo Korana, C‑579/17, EU:C:2019:162, point 49 ainsi que jurisprudence citée).

 

Par suite, les parties étant convenues de la compétence des tribunaux situés à Bruxelles pour connaître de tout litige en rapport avec ce bon de commande, et faute de clause exorbitante du droit commun au profit de l’Etat français et faute que l’on soit dans l’exercice de la puissance publique au sens, étroit et difficile parfois à délimiter du droit européen, donc, la CAA estime que le juge administratif français n’est pas compétent.

CQFD.

Source :

CAA de Paris, 27 janvier 2023, n° 22PA02057