Droit public national et arbitrage international : illustrations jurisprudentielles

Voir aussi un article plus à jour (au 27/7/2021) sur certains points, mais moins détaillé sur l’affaire Ryanair :

Droit public national et arbitrage international : le droit est enfin (presque entièrement) clair 

 

Dans les rares cas où un arbitrage international est possible en droit public, quand le juge administratif en aval peut-il refuser l’exéquatur (refuser l’application de l’arbitrage) ?

Les personnes morales de droit public peuvent, dans d’assez rares cas, conclure des conventions renvoyant à des règlements de leurs litiges à arbitrages internationaux, via des clauses compromissoires dans leurs contrats (voir notamment la convention européenne sur l’arbitrage commercial international du 21 avril 1961, en cas de mouvements internationaux de biens ou de personnes).

Les relations houleuses entre la structure publique de gestion des aéroports de Charente, d’une part, et Ryanair, d’autre part, a donné lieu à une série de décisions qui, pour partie, éclairent la matière et, qui pour partie, l’obscurcissent.

On retiendra que la compétence est judiciaire ou administrative selon les cas. Mais que le TA de Poitiers, au contraire de la CAA de Bordeaux, a estimé qu’une clause compromissoire (renvoyant à un tel arbitrage international) est inapplicable si au moins un Etat d’une des parties n’a pas la convention précitée de 1961 en vigueur dans son droit national, d’une part, ET/OU si les contreparties publiques constituent des aides d’Etat illégales, d’autre part. 

 

I. Une compétence judiciaire ou administrative, selon les cas

 

Il en résulte des sentences arbitrales internationales qui relèvent, ensuite, du juge judiciaire… ou du juge administratif si le droit public s’en mêle, s’il est question plus ou moins incidemment du domaine public ou encore des marchés publics. Le tribunal des conflits (TC) est très clair à ce sujet :

« lorsqu’une sentence arbitrale a été rendue sur le fondement d’une convention d’arbitrage, dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français, mettant en jeu les intérêts du commerce international, il appartient en principe à la juridiction judiciaire, statuant dans les conditions prévues au titre II du livre IV du code de procédure civile, d’une part, de connaître d’un recours formé contre la sentence si elle a été rendue en France et, d’autre part, de se prononcer sur une demande tendant à ce que la sentence, rendue en France ou à l’étranger, soit revêtue de l’exequatur ; que, toutefois, dans le cas où le contrat à l’origine du litige sur lequel l’arbitre s’est prononcé est soumis aux règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique, le recours contre la sentence rendue en France et la demande d’exequatur relèvent de la compétence de la juridiction administrative ; »

Ce point a d’ailleurs été tranché dans une affaire concernant les aéroports de Charente.

Voir la décision TC (tribunal des conflits), 24 avril 2017, Syndicat mixte des aéroports de Charente c/ sociétés Ryanair Limited et Airport Marketing Services Limited, n° 4075 :

Voir auparavant TC, 17 mai 2010, INSERM c/ Fondation Letten F. Sausgstad, n° 3754 ; TC, 11 avril 2016, société Fosmax LNG, n° 4043. 

II. Mais si celui-ci est saisi, quelle est la compétence du juge administratif à la suite d’un arbitrage international ?

 

 

Ces mêmes relations entre le syndicat mixte des aéroports de Charente, d’une part, et Rynair, d’autre part, ont donné lieu, en 2016 et en 2020, à deux jurisprudences tout à fait contradictoires sur la compétence administrative et la manière de juger.

 

II.A. La position de la CAA de Bordeaux en 2016

La CAA de Bordeaux avait ainsi estimé qu’elle était incompétente pour connaître d’une convention entre le syndicat mixte des aéroports de Charente et la société Ryanair Limited.

Ce clauses étaient assorties de clauses imposant le recours à l’arbitrage auprès du tribunal d’arbitrage international de Londres pour le règlement de tout différend non résolu à l’amiable, alors même qu’il s’agissait de marchés publics de services. Comme celles-ci génèrent des mouvements transfrontaliers, elles doivent être regardées comme portant sur des opérations relevant du commerce international, pouvant donner légalement lieu à renvoi à arbitrage de par la convention, même dans certains cas pour les personnes morales de droit public (convention européenne sur l’arbitrage commercial international du 21 avril 1961). En vertu de ces clauses compromissoires, la CAA s’était jugée incompétente pour se prononcer au fond sur le litige.

Source : CAA Bordeaux, 12 juillet 2016, 13BX02331

 

II.B. La position du TA de Poitiers en 2020 : incompétence de la structure d’arbitrage en raison du fait que l’Irlande (pays siège de Ryanair) n’était pas alors partie à la convention de 1961)… et en raison du fait qu’il y avait en l’espèce aides d’Etat illégales

 

Par un jugement rendu le 15 décembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la requête déposée par la société Ryanair et l’une de ses filiales concernant le litige qui les oppose au syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC). Ce différend est né à la suite de la résiliation des deux conventions signées le 8 février 2008 prévoyant la mise en place d’une liaison aérienne régulière entre les aéroports de Londres-Stansted et d’Angoulême à compter du printemps 2008.

Arguant de difficultés économiques et commerciales (24 494 passagers ayant fréquenté la ligne en 2008 et 27 490 en 2009 pour un potentiel estimé à 200 000), la société Ryanair a décidé, dès le 17 février 2010, de supprimer la liaison. Se fondant sur une clause prévue par les conventions de 2008, elle a introduit une demande d’arbitrage auprès de la Cour d’arbitrage international de Londres pour faire valider la résiliation du contrat.

Par deux sentences des 22 juillet 2011 et 18 juin 2012, la Cour d’arbitrage international de Londres s’est estimée compétente pour connaître du litige et a estimé que le contrat avait été valablement résilié, déboutant le SMAC de sa demande de dommages et intérêts. Après avoir demandé en vain au juge judiciaire de prononcer l’exequatur de ces sentences, c’est-à-dire d’en permettre l’exécution en France, le Tribunal des conflits ayant considéré, dans la décision précitée (voir I) du 24 avril 2017, que le litige relevait de la compétence de la juridiction administrative, la société Ryanair et sa filiale ont saisi le tribunal administratif de Poitiers en février 2019.

Pour refuser d’accorder l’exequatur, le tribunal a exercé un contrôle sur la licéité du recours à l’arbitrage et du contenu de la sentence comme l’y a invité le Conseil d’Etat dans une décision rendue à propos de cette même affaire, le 19 avril 2013. Il a estimé qu’en l’espèce, aucune dérogation à l’interdiction faite aux personnes morales de droit public de recourir à l’arbitrage, découlant de dispositions législatives expresses ou de stipulations d’une convention internationale régulièrement incorporée dans l’ordre juridique interne, n’autorisait les parties à se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la solution des différends nés de l’application des deux conventions du 8 février 2008. En effet, si la convention européenne sur l’arbitrage commercial international du 21 avril 1961 a été rendue applicable en France par la loi du 6 juillet 1966, l’Irlande, pays dans lequel la société Ryanair et sa filiale ont leur siège, n’était pas partie à cette convention, ce qui la rendait inapplicable au litige.

En outre, selon une décision du 23 juillet 2014 devenue définitive à la suite du rejet le 13 décembre 2018 par le Tribunal de l’Union européenne du recours déposé par les sociétés Ryanair Limited et Airport Marketing Services Limited, la Commission européenne a estimé que les versements effectués en 2008 et 2009 par le syndicat mixte, en application du contrat de services aéroportuaires et du contrat de services marketing conclus le 8 février 2008, constituaient des aides d’Etat incompatibles avec le marché intérieur. La Commission en a conclu que ces aides avaient été octroyées illégalement et que la France était tenue de se faire rembourser ces aides illégales par les bénéficiaires. Le tribunal administratif en a déduit que les deux sentences dont l’exequatur lui était demandé résultaient de l’application d’un contrat contraire à la loi et dont l’objet présentait un caractère illicite et, par suite, que ces sentences devaient être regardées comme contraires à l’ordre public.

Cette solution va à l’encontre de celle retenue par la cour administrative d’appel de Bordeaux (voir ci-avant II.A.).

TA Poitiers, 15 décembre 2020, n° 1900269 :