Le juge administratif est compétent pour connaître des règles édictées par les statuts des fédérations sportives, si ces règles manifestent l’usage de prérogatives de puissance publique dans l’exercice de la mission de service public confiée à cette fédération.
Cette règle qui se retrouve usuellement pour les actes pris par les fédérations sportives se retrouve là à s’appliquer même aux décisions statutaires de ces fédérations (ce qui est un revirement de jurisprudence).
Il va donc falloir opérer un tri, selon le droit applicable et les juges compétents, au sein des statuts des fédérations sportives. Va y avoir du sport…
Les amateurs de droit du sport savent que quand une fédération sportive prend une décision, celle-ci :
- relève du droit privé et du juge judiciaire
- SAUF si a été confié à cette fédération, à titre exclusif, délégation d’une des missions prévues aux articles L. 131-15 et L. 131-16 du code des sports… auquel cas il y a compétence du juge administratif pour celles des décisions de la fédération usant de prérogatives de puissance publique pour l’accomplissement de cette mission de service public (auquel cas les actes ainsi adoptés présentent le caractère d’actes administratifs et relèvent du juge administratif).
NB : l’arrêt de référence est, par analogie avec le droit des caisses de crédit mutuel , CE, 9 mars 2018, Crédit mutuel Arkéa et autres, n° 399413, rec. T. pp. 513-530-611-618-895-897.
Il est des domaines où il en résulte (parfois avec application de textes complémentaires) un vrai imbroglio. Par exemple, si une fédération sportive prend une sanction disciplinaire, l’affaire relèvera :
- du juge administratif pour les fédérations délégataires
- du juge judiciaire pour les fédérations simplement agrées, faute pour ces dernières de disposer de pouvoirs (sauf dans certains cas, dont le cas du droit néo-calédonien :
Conseil d’État, 2ème – 7ème chambres réunies, 09/10/2019, 421367)
Voir sur ce point l’arrêt de référence : CE, 19 décembre 1988, n° 79962, rec. p. 459. Voir aussi CE, 28 février 2020, n° 424347, aux tables du recueil Lebon.
Notons que le pouvoir ministériel en matière de réglementation desdites fédérations sportives varie selon la même summa divisio. Voir :
-
deux arrêts du même jour rendus en février 2018 et que voici :
- et que nous avions alors commenté ainsi sur notre blog :
NB : pour la commande publique, voir notamment
CJUE, 3 février 2021, Federazione Italiana Giuoco Calcio (FIGC) et Consorzio Ge.Se.Av. S.c.arl/De Vellis Servizi Globali Srl, C-155/19 et C-156/19 . Pour un cas intéressant, voir TA de Versailles, 2ème chambre, Communauté d’agglomération Grand Paris Sud Seine Essonne Sénart, communes de Ris-Orangis et Bondoufle c/ Fédération française de rugby, n°s1801011, 1801012 et 1801052, C+
Dans une affaire qui porte sur la très sportive Fédération française de billard, se posait la question de savoir si les modifications des statuts de ladite Fédération relevaient du juge administratif ou du juge judiciaire.
Le Conseil d’Etat commence par rappeler la règle selon laquelle :
« 3. Les décisions prises par les fédérations sportives, personnes morales de droit privé, sont, en principe, des actes de droit privé. Toutefois, en confiant, à titre exclusif, aux fédérations sportives ayant reçu délégation, les missions prévues aux articles L. 131-15 et L. 131-16 du code des sports, le législateur a chargé ces fédérations de l’exécution d’une mission de service public à caractère administratif. Les décisions procédant de l’usage par ces fédérations des prérogatives de puissance publique qui leur ont été conférées pour l’accomplissement de cette mission présentent le caractère d’actes administratifs. Il en va ainsi alors même que ces décisions seraient édictées par leurs statuts. »
Sauf que s’agissant des actes statutaires, la Fédération défenderesse pouvait assez légitimement pouvoir s’opposer à la compétence du juge administratif, puisque dans l’affaire Syndicat national des enseignants professionnels de judo, jujitsu, n° 219113, aux tables, le Conseil d’Etat, le 12 décembre 2003, avait posés que :
« Le litige portant sur les clauses des statuts d’une fédération – qui sont des actes de droit privé – imposant à tout adhérent d’un club affilié à la fédération d’être titulaire d’une licence délivrée par celle-ci et sur les dispositions du règlement intérieur de la fédération qui se bornent à reprendre ces clauses statutaires ressortissent à la compétence de l’autorité judiciaire.»
Cette solution avait trop d’inconvénients. Il va de soi qu’un tel acte comporte nécessairement de-ci, de-là, des clauses administratives. Et que laisser le juge judiciaire en connaître ne serait pas adapté, pas plus que d’opérer des découpages complexes au cas par cas ne serait aisé ?
Alors le Conseil d’Etat a préféré s’attribuer compétence pour celles de ces clauses qui manifestent la mission de service public et la prérogative de puissance publique :
« 1) Les décisions prises par les fédérations sportives, personnes morales de droit privé, sont, en principe, des actes de droit privé. 2) a) Toutefois, en confiant, à titre exclusif, aux fédérations sportives ayant reçu délégation, les missions prévues aux articles L. 131-15 et L. 131-16 du code des sports, le législateur a chargé ces fédérations de l’exécution d’une mission de service public à caractère administratif. Les décisions procédant de l’usage par ces fédérations des prérogatives de puissance publique qui leur ont été conférées pour l’accomplissement de cette mission présentent le caractère d’actes administratifs. b) i) Il en va ainsi alors même que ces décisions seraient édictées par leurs statuts. ii) La Fédération française de billard ayant reçu délégation du ministre chargé des sports, la juridiction administrative est compétente pour connaître des règles édictées par ses statuts si elles manifestent l’usage de prérogatives de puissance publique dans l’exercice de sa mission de service public. »
Cette évolution, logique, conduira à opérer dans un même acte un tri entre droit applicable ou non, juge compétent ou non (un peu comme pour les clauses réglementaires dans les contrats : clauses règlementaires détachables d’un contrat, CE, Assemblée, 10 juillet 1996, Cayzeele, n° 138536, rec. p. 274). Cette logique ne sera pas sans complexité pour les juristes à venir pour qui ça va être du sport….
Source :
Conseil d’État, 15 mars 2023, n° 466632, aux tables du recueil Lebon
Conclusions de M. Clément MALVERTI, Rapporteur public :
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