Observations au procès-verbal des opérations électorales : malheur aux imprécis (sauf à se rattraper au stade du recours)

En contentieux électoral, des « protestataires » (i.e. les requérants) peuvent bien sûr se référer aux observations faites, au procès-verbal des opérations électorales, signalant des irrégularités.

Mais si tant la « protestation électorale » (i.e. la requête) que ces observations s’avèrent trop imprécises, le moyen ne pourra pas, au contentieux, prospérer.

Et, en ce domaine, les exigences du juge quant à la précision relatives à ces irrégularités et à leur impact ne sont pas à prendre à la légère.

Une décision vient d’en attester, de nouveau, s’agissant des tailles des bulletins de vote en l’espèce. En ce domaine, malheur aux imprécis. Ils seront vaincus au contentieux après l’avoir été aux élections.

Vae victis.
(sauf qu’en l’espèce, le protestataire a fini par vaincre, car il avait — et cette fois-ci de manière assez complète — développé ce moyen dans sa requête).

 

Vae victis. Le chef gaulois Brennus (Brennos) jetant son épée sur la balance, pour obtenir une plus lourde rançon. Gravure pour l’Histoire de France en cent tableaux de Paul Lehugeur (1886).

 

Un grief, en droit électoral, doit être formulé précisément dans la protestation électorale (nom des requêtes en cette matière), laquelle se trouve elle-même enserrée dans un délai très bref (5 jours par défaut et 15 jours pour les préfets, s’agissant des élections locales par exemple).

Mais le requérant peut aussi s’appuyer sur les « observations consignées au procès-verbal des opérations électorales ».

OUI mais celles-ci « ne peuvent valablement saisir le juge de l’élection que si elles contiennent une demande d’annulation de ces opérations ou sont formulées dans des termes qui, au moyen de griefs précis, mettent expressément en cause leur validité et invitent ainsi le juge à en tirer les conséquences » (CE, 14 novembre 2014, Elections municipales de Pineuilh (Gironde), n° 382218, rec. T. p. 685).

Le Conseil d’Etat vient d’en apporter une nouvelle et éclairante illustration s’agissant des dimensions des bulletins de vote : en se bornant à indiquer dans le procès-verbal des élections qu’un bulletin de vote n’était pas conforme aux dimensions réglementaires, un candidat ne peut être regardé comme ayant entendu contester la validité des opérations électorales et inviter le juge à en tirer les conséquences :

« 3. D’une part, des observations consignées au procès-verbal des opérations électorales ne peuvent valablement saisir le juge de l’élection que si elles contiennent une demande d’annulation de ces opérations ou sont formulées dans des termes qui, au moyen de griefs précis, mettent expressément en cause leur validité et invitent ainsi le juge à en tirer les conséquences. En se bornant à indiquer dans le procès-verbal des élections du 13 novembre 2022 qu’un bulletin de vote n’était pas conforme aux dimensions réglementaires, M. I… ne peut être regardé comme ayant entendu contester la validité des opérations électorales et inviter le juge à en tirer les conséquences.»

Sauf que le protestataire a ensuite développé son moyen contentieux en ce sens, et ce avant l’expiration du délai de recours…  ce qu’il a fait ensuite par une confirmation dans les délais sur Télérecours citoyen (car le requérant n’avait pas d’avocat), système de recours par courriel confirmé sur telerecours qui a été validé par le juge. C’est d’ailleurs l’autre apport de cet arrêt :

 

Et le même moyen cette fois-ci, a pu prospérer :

« 7. Aux termes de l’article R. 30 du code électoral :  » Les bulletins doivent (…) avoir les formats suivants : – 105 x 148 mm au format paysage pour les bulletins comportant de un à quatre noms (…) « .

« 8. Il résulte de l’instruction que les bulletins de vote de la liste  » Unissons nos liens  » étaient imprimés sur des feuilles de papier dont les côtés mesuraient 148 mm et 210 mm, soit au format A5, et non, comme l’exigent les dispositions de l’article R. 30 du code électoral, sur des feuilles de 105 mm par 148 mm, soit de format A6. L’emploi irrégulier du format A5, provoquant un gonflement des enveloppes électorales de nature à permettre l’identification du sens du vote des électeurs au moment où ils introduisaient leur enveloppe dans l’urne, a constitué une manoeuvre ayant eu pour effet de porter atteinte au secret du vote et à la sincérité du scrutin. Il en résulte que les opérations électorales qui se sont déroulées le 13 novembre 2022 dans la commune d’Ercourt doivent, pour ce motif et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs soulevés par la protestation, être annulées.»

 

Source :

Conseil d’État, 4 mai 2023, n° 469492, aux tables du recueil Lebon