ICPE : lié par le constat des inspecteurs dans le cadre d’une mise en demeure, le Préfet retrouve des marges de manoeuvre ensuite en cas d’inexécution

Article de Laura Lattanzi, ingénieure et consultante juridique au sein du cabinet d’avocats Landot & associés 

 

Le 10 mai 2023, le Conseil d’Etat a rendu une nouvelle décision dans l’affaire Grande-Synthe (cf article https://transitions.landot-avocats.net/2023/05/10/gaz-a-effet-de-serre-nouvelle-nouvelle-injonction-plus-forte-du-conseil-detat-jamais-2-sans-3/).

Toutefois, celle-ci ne doit pas en éclipser une autre, certes moins tape-à-l’œil, mais dotée d’un certain potentiel pour l’environnement puisqu’elle concerne les pouvoirs de police du préfet en matière d’environnement.

Ces derniers ont en effet bénéficié d’une petite mise à jour via la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.

Les articles L.171-7 et L.171-8 du code de l’environnement ont alors été modifiés aux fins de, selon les débats parlementaires, « améliorer l’effectivité d’un dispositif de sanctions administratives, afin de tirer les enseignements de retours d’expérience récents. Plus précisément, il s’agit de renforcer le caractère opérationnel et dissuasif des sanctions administratives, notamment en permettant que des mesures conservatoires et de suspension prises par l’autorité administrative à l’égard d’installations, ouvrages ou travaux non autorisés et pouvant porter gravement atteinte à la biodiversité soient assorties d’une astreinte ou d’une exécution d’office. »

Cet objectif a encore plus de chance d’être atteint avec cette nouvelle décision.

En l’espèce, le CE commence par appliquer sa jurisprudence constante en matière d’ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement) et de compétence liée du préfet lorsque l’inspecteur des installations classées a constaté la violation des conditions légalement imposées à l’exploitant (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 9 juillet 2007, 288367 ; Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 14 novembre 2008, 297275, Publié au recueil Lebon ou encore plus récemment Conseil d’État, 6ème chambre, 19 juillet 2022, 444986, Inédit au recueil Lebon). En effet dans ce cas, et en application des articles L.171-7 et 171-8 du code de l’environnement, le préfet est tenu d’édicter une mise en demeure à la personne à laquelle incombe l’obligation d’y satisfaire dans un délai déterminé.

Toutefois, ses jurisprudences antérieures disposaient que « si le II de l’article L.171-8 du code de l’environnement laisse au préfet un choix entre plusieurs catégories de sanctions en cas de non-exécution de son injonction, la mise en demeure qu’il édicte n’emporte pas par elle-même une de ces sanctions », pour finalement énoncer « que l’option ainsi ouverte en matière de sanctions n’affecte donc pas la compétence liée du préfet pour édicter la mise en demeure »

Le CE les réutilise aujourd’hui pour conclure « en cas de non-exécution de son injonction, le préfet peut ainsi arrêter une ou plusieurs des mesures que cet article prévoit, au regard de la nature des manquements constatés et de la nécessité de rétablir le fonctionnement régulier de l’installation ».

Autrement dit, non seulement le fait que le préfet ait le choix des sanctions n’affecte pas sa compétence liée pour édicter la mise en demeure, mais les mesures prévues dans le cadre de la mise en demeure n’affectent pas non plus son choix de sanctions ultérieures en cas de non-exécution de ladite mise en demeure.

Ainsi, en l’espèce, le préfet, qui avait mis en demeure l’exploitant de fournir une étude et de réaliser les travaux liés, a finalement appliquer comme sanction la suspension de l’activité de l’installation concernée.

D’où le futur résumé des tables du rec., tel que préfiguré ci-dessous par celui de la base Ariane :

« Il résulte de l’article L. 171-8 du code de l’environnement, éclairé par les travaux préparatoires de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976, que lorsque l’inspecteur des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) a constaté, selon la procédure requise par le code de l’environnement, l’inobservation de conditions légalement imposées à l’exploitant d’une installation classée, le préfet, sans procéder à une nouvelle appréciation de la violation constatée, est tenu d’édicter une mise en demeure de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé, qui a pour objet, en tenant compte des intérêts qui s’attachent à la fois à la protection de l’environnement et à la continuité de l’exploitation, de permettre à l’exploitant de régulariser sa situation, en vue d’éviter une sanction, et notamment la suspension du fonctionnement de l’installation. …Si l’article L. 171-8 du code de l’environnement laisse au préfet un choix entre plusieurs catégories de sanctions en cas de non-exécution de son injonction, la mise en demeure qu’il édicte n’emporte pas par elle-même une de ces sanctions. …En cas de non-exécution de son injonction, le préfet peut ainsi arrêter une ou plusieurs des mesures que cet article prévoit, au regard de la nature des manquements constatés et de la nécessité de rétablir le fonctionnement régulier de l’installation.»

Source :

Conseil d’État, 6ème – 5ème chambres réunies, 10 mai 2023, 447189, aux tables