Superpositions d’affectations : le juge réinvente la primauté du domaine public initial façon « canal historique »

Le Conseil d’Etat confirme, mais encadre, le régime des superpositions d’affectations.

Sur le principe, rien de surprenant : la Haute Assemblée rappelle qu’aucune « règle de la domanialité publique ne s’oppose à ce qu’une dépendance du domaine public fasse l’objet d’une superposition d’affectations lorsqu’une affectation supplémentaire est compatible avec son affectation initiale. »

Il en résulte un rattachements, en cas de superpositions d’occupations domaniales, à l’affectation, sinon principale, à tout le moins initiale, on aurait presque envie de dire « matricielle » (celle dont les autres affectations supplémentaires découlerez). Avec en l’espèce une occupation qui eut pu être considérée comme sous-viaire, mais qui reste bien fluviale, la route et ses fossés résultant bien en l’espèce de la construction et de l’entretien d’un canal…. documents historiques et cartographiques à l’appui. En quelque sorte, le juge réinvente la primauté (voire l’indépendance) du domaine public initial façon canal historique. 

Les superpositions d’affectation au domaine public abondent et donnent lieu souvent à des régimes qui ont leur part de complexité (digues ou barrages surmontés par une voirie ; croisement d’une voie de chemin de fer et d’une route à un passage à niveau ; chemin de fer arrivant sur un domaine public portuaire ; passage piéton sur un cours d’eau busé ; régime des réseaux sous-viaires même si là on s’éloigne un peu du sujet…).

Ceci dit, nombre de pluralité d’affectations se gèrent par des transferts de gestion de domaine public (art. L. 2123-3 à L. 2123-6 du CG3P), des conventions de gestion (art. L. 2123-2 du CG3P) ou autres autorisations d’occupation temporaire du domaine public.

Mais le cadre juridique de ces superpositions reste celui de l’article L. 2123-7 de ce même code :

« Un immeuble dépendant du domaine public en raison de son affectation à un service public ou à l’usage du public peut, quelle que soit la personne publique propriétaire, faire l’objet d’une ou de plusieurs affectations supplémentaires relevant de la domanialité publique dans la mesure où celles-ci sont compatibles avec ladite affectation.
La superposition d’affectations donne lieu à l’établissement d’une convention pour régler les modalités techniques et financières de gestion de cet immeuble, en fonction de la nouvelle affectation.
« Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions d’application du présent article.»

Avec les articles R. 2123-15 à R. 2123-17 du CG3P à appliquer.

D’où le fait que c’est sans surprise que le Conseil d’Etat a énoncé que par principe :

« 7. Aucune règle de la domanialité publique ne s’opposant à ce qu’une dépendance du domaine public fasse l’objet d’une superposition d’affectations lorsqu’une affectation supplémentaire est compatible avec son affectation initiale, […] »

Cet arrêt ayant vocation à entrer aux tables du recueil Lebon, en dépit de ce caractère confirmatif, même s’il serait possible de gloser sur une possible différence entre la formulation du Conseil d’Etat et celle du CG3P (notamment sur la notion « d’affectation initiale » qui n’est pas dans le CG3P… mais aussi sur le fait que cette superposition est donc possible même sans convention).

D’où, en l’espèce la capacité de VNF à conclure des conventions d’occupation sous-viaires (avec perception d’une RODP) dans le sous-sol d’un fossé adjacent à une route départementale, la CAA ayant au fond :

« […] estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu’il résultait d’un rapport de l’inspection générale des ponts et chaussées de 1859, d’une lettre du ministère des travaux publics de 1882 et d’un procès-verbal de récolement de 1912 que le canal de la Colme était bordé, sur tout son cours et ses deux rives, de digues artificielles permettant d’en assurer la sûreté [et ayant également] relevé, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, qu’il résultait de la configuration des lieux, dont témoignaient plusieurs photographies produites par les parties, que le talus sur lequel reposait la route départementale n° 3, d’une largeur au demeurant modeste, formait, en ce compris le fossé situé en contrebas de l’accotement de la route opposé au canal, un tout indissociable constitutif d’un ouvrage de défense des berges du canal. [La CAA a donc pu ] en déduire sans erreur de droit que, contrairement à ce que soutenait la société Lumen Technologies France, le fossé en cause constituait une dépendance du domaine public fluvial et avait pu légalement faire l’objet d’une convention d’occupation à ce titre.»

Source : Wikipedia ; Pont-Levis sur le canal de la Haute Colme au Grand-Millebrugghe(59) – Jiel Beaumadier https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Jiel

 

Il en résulte un rattachements, en cas de superpositions d’occupations domaniales, à l’affectation, sinon principale, à tout le moins initiale, on aurait presque envie de dire « matricielle » (celle dont les autres affectations supplémentaires découlerez). Avec en l’espèce une occupation qui eut pu être considérée comme sous-viaire, mais qui reste bien fluviale, la route et ses fossés résultant bien en l’espèce de la construction et de l’entretien d’un canal…. documents historiques et cartographiques à l’appui. En quelque sorte, le juge réinvente la primauté (voire l’indépendance) du domaine public initial façon canal historique.

Source :

Conseil d’État, 5 juin 2023, n° 466548, aux tables du recueil Lebon