Cour des comptes et nouveau régime de responsabilité financière unifiée : nouvelle décision en matière d’inexécution des décisions de Justice ; confirmation de nombreux points dont le fait que l’on peut sanctionner des agents placés assez bas dans la hiérarchie

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Dans le nouveau régime, de responsabilité unifiée des ordonnateurs et des comptables publics, né de la loi de finances (n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022) puis de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022, suivie par le décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022, sont maintenues (y compris pour les élus locaux), non sans quelques évolutions textuelles, les deux infractions financières que sont :

    • la condamnation de l’organisme concerné à des astreintes en raison de l’inexécution d’une décision de justice (1° de l’article L. 131-14)
    • et l’absence ou le retard d’ordonnancement de sommes résultant de décisions juridictionnelles (2° de l’article L. 131-14).

 

J’ai commenté de manière assez détaillée la première décision rendue, en l’espèce contre un ancien maire (condamné à 10 000 € d’amende), dans le cadre du nouveau régime (Cour des comptes, 31 mai 2023, Commune d’Ajaccio, n°S-2023-0667) :

 

Très schématiquement (pour plus de détail voir l’article ci-avant mentionné) on apprenait alors que :

  • Pour ce qui est de l’inexécution des décisions de Justice :
    • il y a interruption de la prescription la date du réquisitoire introductif ;
    • le début de cette prescription étant à la date du prononcé des décisions de justice condamnant à une astreinte ou liquidation d’astreinte.
    • pour cette infraction au moins, on peut aller chercher loin dans la liste des agents potentiellement responsables, même si ce n’était pas le cas en l’espèce.
  •  Pour l’autre infraction, celle relative à l’absence ou au retard d’ordonnancement (mandatement) de sommes résultant de décisions juridictionnelles :
      • « la date d’interruption de la prescription est celle de l’enregistrement au ministère public du déféré susvisé de la créancière ».
      • il s’agit d’une infraction continue : « la date à prendre en compte pour l’examen de la prescription [est, non pas] le fait générateur de l’irrégularité, mais le moment où celle-ci prend fin. »
      • sur le fond, cette infraction est dangereuse car la Cour a opté pour des formulations qui conduisent à une relative automaticité de la constitution de l’infraction financière (sauf impossibilité de mandater) au delà du délai de deux mois (ce qui n’est pas sans conséquences pratiques)
  • dans les deux cas, « l’appréciation des circonstances peut inclure des faits survenus en période prescrite mais qui ont produit un effet continu au cours de la période non prescrite. »

 

 

Or, voici que la Cour des comptes vient de rendre une décision concernant, cette fois, des directeurs successifs ainsi qu’un agent en charge des suivis de contentieux, sur cette même base. Non sans, là encore, quelques leçons à en tirer.

Le 10 juillet 2023, par un arrêt n° S-2023-0858, la chambre du contentieux de la Cour des comptes a en jugé l’ancienne directrice du centre hospitalier Sainte-Marie à Marie Galante, en fonction entre 2012 et 2021, son successeur de 2021 à 2023, ainsi qu’un agent chargé du suivi des contentieux sur l’ensemble de la période, au titre des deux infractions, précitées, prévues à l’article L. 131-14 du code des juridictions financières :

  • la condamnation de l’organisme concerné à des astreintes en raison de l’inexécution d’une décision de justice (1° de l’article L. 131-14)
  • et l’absence ou le retard d’ordonnancement de sommes résultant de décisions juridictionnelles (2° de l’article L. 131-14).

La Cour des comptes a retenu la responsabilité des personnes renvoyées et prononcé des amendes à leur encontre.

Ladite cour commence par traiter :

  • de l’application de la loi dans le temps (application de la rétroactivité in mitius, classique)
  • de sa propre compétence (RAS)

 

Pour ce qui est de la prescription au titre de l’infraction du 1° de l’article L. 131-14 du CJF, on retrouve le mode d’emploi que j’ai résumé ci-avant :

« 15. La communication de copies de jugements de liquidation d’astreintes ne constituant pas un déféré au sens de l’article L. 142-1-1 du CJF, et cette disposition n’habilitant pas le créancier à formuler un déféré pour des faits constitutifs d’une infraction au sens du 1° de l’article L. 131-14 du même code, la date d’interruption de la prescription, pour cette infraction, est celle de la date du réquisitoire introductif du 31 mars 2022. La prescription est donc acquise pour tous les faits antérieurs au 31 mars 2017. »
Avec cette précision sur les astreintes :
« 16. L’infraction prévue à l’article L. 313-7 du CJF dont les dispositions ont été reprises au 1° de l’article L. 131-14 du même code est constituée par « les agissements qui auront entraîné la condamnation d’une personne morale de droit public ou d’un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public à une astreinte en raison de l’inexécution totale ou partielle ou de l’exécution tardive d’une décision de justice ». Alors que les «agissements» peuvent présenter un caractère continu, la condamnation à une astreinte est un événement instantané. Dans le cadre d’un contentieux répressif, il convient de retenir l’interprétation la plus favorable à la personne mise en cause et de prendre en compte pour l’examen de la prescription prévue par les articles, anciennement L. 314-2, désormais L. 142-1-3 du CJF, la date du prononcé des décisions de justice condamnant à une astreinte ou liquidation d’astreinte.
« 17. Les jugements n° 1700789 du 23 octobre 2018 et n° 2100569 du 7 juillet 2022 du tribunal administratif de la Martinique (précédemment tribunal administratif de Fort-de-France) ont prononcé la liquidation d’astreintes ; l’ensemble des faits relatifs à ces jugements ne sont pas frappés de prescription.»
Sur l’absence de mandatement et la prescription, la Cour confirme ensuite le caractère d’infraction continue de l’infraction du 2° de l’article L. 131-14 du CJF.
Comme dans l’affaire d’Ajaccio, il y a eu, en effet, visiblement quelques difficultés à écouter le TA :
« Sur les faits postérieurs au 31 mars 2017 35. Par un jugement n° 1700789 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de la Martinique a considéré que ce défaut d’exécution justifiait la liquidation de l’astreinte prononcée par le jugement n° 1400461 du 21 mars 2016, notifié le 12 mai 2016, pour la période du 12 mai 2016 au 23 octobre 2018, et a condamné le centre hospitalier au paiement des sommes de 14 410 euros à l’État et de 14 410 euros à M.X.36. Par un courrier enregistré le 7 avril 2021, M. X a présenté devant le tribunal administratif de la Martinique une nouvelle demande d’exécution du jugement n° 1200418 du 17 juin 2013. 37. Par un jugement n° 2100569 du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de la Martinique a condamné le centre hospitalier à payer les sommes de 30 420 euros à l’État et de 10 140 euros à M. X en liquidation de l’astreinte prononcée par le jugement n° 1400461 du 21 mars 2016 pour la période du 24 octobre 2018 au 7 juillet 2022. 38. Par ce même jugement, le tribunal a également condamné le centre hospitalier à verser à M. X la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du CJA. »
[…]
« 41. En raison de l’inexécution de décisions de justice antérieures, le centre hospitalier Sainte-Marie a été soumis, depuis la prescription intervenue le 31 mars 2017, à deux décisions de liquidation d’astreintes prononcées les 23 octobre 2018 et 7 juillet 2022 pour un montant total de 69 380 euros (24 550 euros au profit de M. X et 44 830 euros au profit de l’État).»
Avec une confirmation :
« […] la simple condamnation à une astreinte suffit à caractériser l’infraction.»
… même si, et ce point importe :
« 40. Seule l’hypothèse du prononcé d’une injonction sous astreinte concomitante au prononcé de la décision juridictionnelle ne serait pas constitutive d’une infraction au sens du 1° de l’article L. 131-14 du CJF. En effet, à ce stade, aucune inexécution n’est, par définition, intervenue.»
Mais ce n’était pas le cas :
« […] en l’espèce car la première astreinte prononcée le 21 mars 2016 sanctionne l’inexécution du jugement du 17 juin 2013 et les jugements de liquidation d’astreintes prononcés le 23 octobre 2018 et le 7 juillet 2022 sanctionnent respectivement l’inexécution des décisions des jugements des 21 mars 2016 et 23 octobre 2018.»
Avec une confirmation : on peut, au moins pour cette infraction, descendre relativement bas dans la hiérarchie pour ces infractions faites pour les ordonnateurs et les comptables. Ainsi :
» 45. Mme A, attachée d’administration hospitalière, était chargée jusqu’au 15 mai 2022, date à partir de laquelle elle a été placée en congé de maladie puis en congé de longue maladie, des affaires générales et de la qualité, fonctions comportant notamment le suivi des dossiers contentieux ; dès lors les infractions prévues au 1° de l’article L. 131-14 du CJF qui se sont produites durant la période où elle exerçait ses fonctions peuvent également lui être imputées.»
… en sus de pouvoir l’être aux deux directeurs successives.
Sur le défaut de mandatement, là encore, la liste des manquements est longue :
« Sur les faits antérieurs au 12 avril 2016 46. Par un premier jugement du 17 juin 2013, le tribunal administratif de Fort-de-France a condamné le centre hospitalier Sainte-Marie au paiement d’une somme de 100 euros, à verser à M. X au titre de l’article L. 761-1 du CJA. 47. Par un deuxième jugement du 21 mars 2016, le tribunal administratif de la Martinique a prononcé une astreinte à l’encontre du centre hospitalier et a également condamné l’établissement à verser à M. X une somme de 100 euros au titre de l’article L. 761-1 du CJA.
« Sur les faits postérieurs au 12 avril 2016
« 48. Par un jugement n° 1700789 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de la Martinique a condamné le centre hospitalier Sainte-Marie à payer les sommes de 14 410 euros à l’État, et de 14 410 euros à M.X, en liquidation de l’astreinte prononcée par le jugement n° 1400461 du 21 mars 2016.49. Par un jugement n° 2100569 du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de la Martinique a condamné le centre hospitalier Sainte-Marie à payer les sommes de 30 420 euros à l’État et de 10 140 euros à M. X, en liquidation de l’astreinte prononcée par le jugement n° 1400461 du 21 mars 2016 ; ce même jugement a également condamné le centre hospitalier à verser la somme de 1 500 euros à M. X au titre de l’article L. 761-1 du CJA. 50. Les condamnations pécuniaires, liquidation d’astreinte et frais irrépétibles, prononcées par le jugement n° 2100569 du 7 juillet 2022, ont été mandatées, en ce qui concerne M. X, le 2 août 2022, moins d’un mois après la notification du jugement. 51. La part de la liquidation d’astreinte prononcée par le jugement n° 1700789 du 23 octobre 2018 revenant à M. X n’a, elle, été mandatée que le 2 août 2022, soit plus de 3 ans et 9 mois après la notification du jugement. 52. Aucun élément au dossier ne permet de déterminer si les parts des liquidations d’astreintes dues à l’État ont été mandatées au jour de l’audience publique, dès lors que les seuls dires de M. Z du 20 septembre 2022, selon lesquels la procédure de mandatement était « en cours », n’ont été assortis de la production d’aucune pièce justificative.»
Sur cette seconde infraction, les excuses des personnes mises en cause sont balayées et, là encore, on s’arrêtera sur la situation de l’agent, qui a tenté de s’abriter derrière la modestie de ses fonctions (elle ne semble pas avoir pu se justifier par des ordres écris reçus, lesquels ont un régime particulier dans ce nouveau cadre de responsabilité). Mais là encore, et c’est tout à fait significatif, sans succès :
« Dans son mémoire adressé le 19 juin 2023, Mme A indique que la mission qui lui était confiée par la direction « était de faire la synthèse des éléments de litiges administratifs des dossiers en cours », qu’elle n’était pas responsable des affaires juridiques et qu’elle assumait « une mission transversale de suivi des dossiers contentieux en lien avec l’avocat et sous couvert des lignes directrices fixées par le ou les directeur(s)». 75. Mme A ajoute qu’elle appliquait et traitait les décisions administratives « comme [sa]direction [le lui]demandait». Elle souligne que, compte tenu de la position administrative de M. X, ancien directeur alors rattaché au centre national de gestion, la direction de l’établissement avait « fait le choix de ne pas traiter directement le dossier». Cependant, en raison des responsabilités inhérentes à son grade et aux fonctions qu’elle exerçait dans l’établissement, Mme A aurait dû, à la réception des jugements du tribunal administratif de 2016 puis de 2018, alerter la direction sur les conséquences prévisibles de l’inaction de l’établissement. »
Cette personne n’est certes condamnée qu’à 1000 euros (pour 7000 et 2000 s’agissant de l’ancienne directrice puis de son successeur). Mais tout de même…
Source :

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