Cours d’eau : resurrection de la rubrique IOTA 3.3.5.0 (déclaration — régime simplifié — pour certains travaux et opérations de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques).

Un décret de 2020 avait, entre autres, soumis à un simple régime de déclaration, et non d’autorisation, l’ensemble des « Travaux, définis par un arrêté du ministre chargé de l’environnement, ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, y compris les ouvrages nécessaires à cet objectif. »

Les fédérations de moulins, entre autres requérants, voyaient dans cette facilité d’un biais pour passer en simple régime de déclaration des suppressions d’ouvrages… 

Fort logiquement, le Conseil d’Etat avait, le 31 octobre 2022, donné raison à ces requérants (avec une censure différée au 1er mars  2023). 

Puis un projet de décret avait en avril 2023 à presque revenir au statu quo ante à quelques détails près, pour ré-installer le régime supprimé en 2022…

Or, voici que le texte a finalement été publié ce week-end Avec tout de même la restauration  de la rubrique IOTA 3.3.5.0.
Mais avec un régime moins dur que celui prévu par le projet.

Ce texte semble pouvoir être (un peu ? beaucoup ? pas du tout ?) plus consensuel que celui mis en consultation.

En tous cas, le débat semble encore vif et si le juge sera conduit, de nouveau, à trancher en ce domaine. 

Passons ceci en revue, avant dans quelques jours ou semaines, d’en faire un petit échange entre diverses parties intéressées, sans doute en vidéo. 

 

 

 

I. Rappel très sommaire des nombreux épisodes précédents, antérieurs au 31 octobre 2022

 

Nous avons souvent traité des questions de continuité écologique des cours d’eau :

 

Les installations, ouvrages, travaux et activités en rivière sont soumis à des contraintes juridiques qui peuvent prendre la forme de :

  • dossier « loi sur l’eau » : nature des travaux (déclaration ou autorisation ? Art. R. 214-1 à 214-56 C. env.)
  • dossier « déclaration d’intérêt général » : habilitation du maitre d’ouvrage et modalités
  • dossier « déclaration d’utilité publique » : maitrise foncière par expropriation ou servitudes.

 

L’art. L. 214-17 du Code de l’environnement (encore modifié par la loi Climat / résilience) prévoit un régime de continuité écologique des cours d’eau… avec des cours d’eau classés en catégorie 1 ou 2 (liste 1 ou 2). Avec :

  • une interdiction de tout nouvel obstacle pour les cours d’eau de catégorie 1 (en très bon état écologique, réservoirs biologiques, dotés d’une riche biodiversité jouant le rôle de pépinière)
  • une obligation de mise en conformité des ouvrages au plus tard dans les 5 ans pour les cours d’eau de catégorie 2 (liste 2) et donc un régime d’autorisation.

 

Ce régime d’autorisation connait, ou plutôt connaissait, une considérable dérogation via L’article L214-18-1 du Code de l’environnement, créé par la loi n°2017-227 du 24 février 2017, lequel a été considéré comme conforme à la Constitution (Décision n° 2022-991 QPC du 13 mai 2022) mais a été déclaré contraire au droit européen et, à ce titre, censuré par le Conseil d’Etat (CE, 28 juillet 2022, sarl les vignes, n°443911).

A ce sujet voir : Moulins et continuité écologique des cours d’eau : la roue tourne ! (arrêt du Conseil d’Etat, rapide explication par mes soins puis article de M. A. Berne) 

 

 

Voir aussi  l’excellente chaine YouTube EAU TV.

II. La portée de la décision du CE en date du 31 octobre 2022

 

Les dispositions combinées des articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l’environnement soumettent donc « à un régime d’autorisation ou de déclaration les installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui entraînent des effets sur les eaux souterraines ou superficielles, par prélèvement, rejets ou modification de leur écoulement » (source voir ici).

Quelle est le frontière entre déclaration et autorisation, en ces domaines IOTA (qui évoquent sur ce point comme sur tant d’autres le régime ICPE) ?

La réponse à cette question se trouve dans les articles L. 214-2 et suivants du code de l’environnement. Mais à chaque fois on revient au même critère : les dangers –pour la ressource en eau, les milieux naturels, la santé et la sécurité publique…

Or, par rapport à cette frontière législative, le pouvoir réglementaire avait en 2020 tenté un peu de « hors-piste ».

Le décret n°2020-828 du 30 juin 2020 portait sur de nombreux points en matière de nomenclature eau, de procédures et de prescriptions techniques, notamment en matière d’assainissement. Voir notre survol ici :

 

 

Or, entre autres donc, ce décret avait soumis à un simple régime de déclaration (nouvelle rubrique « 3.3.5.0 ») l’ensemble des :

« Travaux, définis par un arrêté du ministre chargé de l’environnement, ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, y compris les ouvrages nécessaires à cet objectif. »

Plus précisément, l’article 3 de ce décret du 30 juin 2020 a, d’une part, remplacé, dans le tableau annexé à l’article R. 214-1 du code de l’environnement, à son f), les rubriques 3.2.3.0 et 3.2.4.0 relatives aux différents types de plans d’eau par une rubrique 3.2.3.0 consacrée aux plans d’eau, permanents ou non, et a supprimé à cette occasion les dispositions du 2° de la rubrique 3.2.4.0 qui dispensaient de toute formalité les vidanges des piscicultures mentionnées à l’article L. 431-6 du code l’environnement, et a, d’autre part, à son h), créé une nouvelle rubrique 3.3.5.0, exclusive des autres rubriques de cette nomenclature, soumettant à déclaration les travaux ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, y compris les ouvrages nécessaires à cet objectif. Un arrêté du même jour fixait ladite liste de travaux. 

L’esprit du pouvoir réglementaire était sans doute de poser qu’il ne pouvait en ce domaine y avoir de régime d’autorisation, puisque restaurer les fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques ne peut être « que vertueux ». Une position logique si l’on parle de Ripisylve ou autre.

Mais une position que ne pouvaient partager les fédérations de moulins qui voyaient qu’il s’agissait là d’un biais pour faciliter des suppressions d’ouvrages…

Fort logiquement, le Conseil d’Etat a donné raison à ces requérants, trouvant là un peu de baume au coeur après l’échec pour eux de la décision précitée « sarl les vignes » de juillet dernier (voir ci-avant en fin de « I. » du présent article).

Les requérants demandaient l’annulation de l’article 3 de ce décret du 30 juin 2020 et de l’arrêté correspondant, du même jour.

Une argumentation purement piscicole a été rejetée. Il était donc légal que le pouvoir réglementaire appliquât sur ce point les mêmes règles aux étangs piscicoles et aux autres :

« 9. En premier lieu, si l’Union des étangs de France soutient que les étangs piscicoles devraient être exclus de la réglementation applicable aux plans d’eau, résultant de la nouvelle rubrique 3.2.3.0 de la nomenclature, qui soumet à autorisation les plans d’eau dont la superficie est supérieure ou égale à 3 hectares et à déclaration ceux dont la superficie est supérieure à 0,1 hectare mais inférieure à 3 hectares et qui inclut les vidanges des piscicultures auparavant dispensées de toute formalité, car ils n’auraient aucun impact négatif sur l’environnement et les milieux aquatiques et contribueraient à l’inverse au maintien de la biodiversité et à la lutte contre le réchauffement climatique et à la souveraineté alimentaire de la France, il ressort des pièces des dossiers que si ces étangs sont susceptibles d’avoir certains des effets bénéfiques invoqués, ils présentent également des risques d’altération de la quantité et de la qualité des eaux qui justifient qu’ils soient intégrés à la nomenclature relative aux plans d’eau.»
Echec aussi pour les requérants pour ce qui est de la vidange des plans d’eau :
« 10. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l’article L. 214-2 du code l’environnement, citées au point 2 ci-dessus, que la nomenclature que le législateur a chargé le pouvoir réglementaire d’établir par décret en Conseil d’Etat concerne toutes les installations, ouvrages, travaux et activités ayant une incidence sur l’eau, qu’ils soient exploités par des personnes publiques ou privées, et quel que soit leur propriétaire. Les dispositions du f) de l’article 3 du décret attaqué qui modifient la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités relevant de la police de l’eau se fondent sur les risques pouvant résulter pour l’environnement de la vidange des plans d’eau, et n’ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte aux droits reconnus par les articles 641 et 642 du code civil, qui disposent respectivement que tout propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds et qu’il dispose librement des sources existant dans ce fonds. L’Union des étangs de France n’est par suite, et en tout état de cause, pas fondée à soutenir que les dispositions du décret du 30 juin 2020 ayant modifié sur ce point la nomenclature seraient contraires au droit de propriété. »
Photo : coll. pers. (Coh Castel)

Mais sur la rubrique 3.3.5.0 de la nomenclature, bâtie selon une grille qui n’était donc pas strictement fondée sur la frontière entre déclaration et autorisation telle qu’esquissée par les articles L. 214-2 et suivants du code de l’environnement, et donc pas fondée sur les dangers pour la ressource en eau, les milieux naturels, la santé et la sécurité publique… la censure, logique, est tombée (la mise en gras et souligné étant de nous, bien sûr) :

« 13. Il résulte des dispositions de l’article L. 214-3 du code de l’environnement, citées au point 2 ci-dessus, que les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles notamment de présenter des risques pour la santé et la sécurité publiques, ou d’accroître notablement le risque d’inondation, doivent être soumis à autorisation. Si, ainsi que le soutient le ministre de la transition écologique, la création, dans la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités ayant une incidence sur l’eau ou le fonctionnement des écosystèmes aquatiques, de la rubrique 3.3.5.0 regroupant les travaux ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques et la soumission de ces travaux à un régime de déclaration a été prévue pour répondre à l’objectif de simplifier la procédure pour des projets favorables à la protection de ces milieux, au renouvellement de la biodiversité et au rétablissement de la continuité écologique dans les bassins hydrographiques, il ressort des pièces du dossier que certains de ces travaux, notamment quand ils ont pour objet l’arasement des digues et des barrages, mentionné au 1° de l’article 1er de l’arrêté du 30 juin 2020, auquel renvoient les dispositions litigieuses du décret attaqué, sont susceptibles, par nature, de présenter des dangers pour la sécurité publique ou d’accroître le risque d’inondation. Par suite, en soumettant à déclaration tous les travaux ayant pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, indépendamment des risques et dangers qu’ils sont susceptibles de présenter, les dispositions du h) de l’article 3 du décret attaqué méconnaissent l’article L. 214-3 du code de l’environnement. »

… avec un différé de l’effet de l’annulation au 1er mars 2023 (au sens de CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC! , n° 255886, rec. p. 197, GAJA 23e éd. 101). Le juge a décidé que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la sa décision contre les actes pris sur son fondement, les effets des dispositions litigieuses doivent être regardés comme définitifs.

Il y avait, selon moi, une nette parenté entre cette annulation et celle (CE, 15 février 2021, n°435026 ) par laquelle la Haute Assemblée avait imposé l’obligation pour les services de l’Etat d’instruire les demandes au cas par cas, même pour en cours d’eau de liste 1 pour des ouvrages touchés par l’ancien seuil de 50 cm (en termes de différence de niveau)… ouvrages qui pouvaient, dans le décret, donner lieu à un refus en bloc par principe.

Dans tous les cas, il n’est pas possible de faire des catégories imposant un traitement uniforme si les situations peuvent ne pas l’être au regard des critères posés par la loi.

 

Source :

CE, 31 octobre 2022, n° 443683

 

 

III. Le projet de décret mis en consultation en avril 2023

 

Un projet de décret a été mis en consultation en avril 2023. Voici le texte de sa notice d’alors :

« Le présent décret modifie l’article R. 214-1 du code de l’environnement de manière à réintroduire la rubrique 3.3.5.0 dans la nomenclature IOTA (installations, ouvrages, travaux et activités ayant une incidence sur l’eau et les milieux aquatiques) qui a fait l’objet d’une annulation par le juge au 1er mars 2023.
« 
La rubrique regroupe les travaux ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, y compris les ouvrages nécessaires à cet objectif. Les opérations qui relèvent de cette rubrique sont soumises à déclaration, ceci dans un but de simplification des projets de renaturation.
« 
La rubrique est reprise à l’identique à l’exception des éléments ayant conduit à son annulation par le juge. Par conséquent, seuls les travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques qui ne présentent pas de danger pour la sécurité publique et qui n’accroissent pas notablement le risque d’inondation, sont maintenus dans le champ d’application de la déclaration globale et exclusive au titre de la nouvelle rubrique 3.3.5.0. Ces travaux sont cités directement dans le corps de la rubrique.»

 

Voir ces projets et les réactions (contrastées) du public :

 

Pour une réaction de la fédération HYDRAUXOIS, voir :

 

 

 

IV. Le décret finalement publié samedi 30 septembre 2023

 

A été ce samedi 30 septembre 2023 publié au JO le :

Dans la nomenclature IOTA, est restaurée la rubrique 3.3.5.0. relative à la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques en, pour citer la notice officielle de ce texte « modifiant la rédaction précédemment en vigueur afin de prendre en compte les motifs ayant conduits à son annulation par le Conseil d’Etat. »

Reste que le texte est un peu plus souple que celui mis en consultation.

Il exclut du champ de la rubrique les travaux sur des ouvrages dont la modification ou la suppression pourrait être susceptible de présenter des dangers pour la sécurité publique.

Citons ce texte :

    • Le tableau annexé à l’article R. 214-1 du code de l’environnement est ainsi modifié :
      Après la rubrique 3.3.4.0. est insérée une rubrique 3.3.5.0. ainsi rédigée :

      « 3.3.5.0. Travaux mentionnés ci-après ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, y compris les ouvrages nécessaires à la réalisation de cet objectif (D) :
      « 1° Arasement ou dérasement d’ouvrages relevant de la présente nomenclature, notamment de son titre III, lorsque :
      « a) Ils sont implantés dans le lit mineur des cours d’eau, sauf s’il s’agit de barrages classés en application de l’article R. 214-112 ;
      « b) Il s’agit d’ouvrages latéraux aux cours d’eau, sauf s’ils sont intégrés à un système d’endiguement, au sens de l’article R. 562-13, destiné à la protection d’une zone exposée au risque d’inondation et de submersion marine ;
      « c) Il s’agit d’ouvrages ayant un impact sur l’écoulement de l’eau ou les milieux aquatiques autres que ceux mentionnés aux a et b, sauf s’ils sont intégrés à des aménagements hydrauliques, au sens de l’article R. 562-18, ayant pour vocation la diminution de l’exposition aux risques d’inondation et de submersion marine ;
      « 2° Autres travaux :
      « a) Déplacement du lit mineur pour améliorer la fonctionnalité du cours d’eau ou rétablissement de celui-ci dans son talweg ;
      « b) Restauration de zones humides ou de marais ;
      « c) Mise en dérivation ou suppression d’étangs ;
      « d) Revégétalisation des berges ou reprofilage améliorant leurs fonctionnalités naturelles ;
      « e) Reméandrage ou restauration d’une géométrie plus fonctionnelle du lit du cours d’eau ;
      « f) Reconstitution du matelas alluvial du lit mineur du cours d’eau ;
      « g) Remise à ciel ouvert de cours d’eau artificiellement couverts ;
      « h) Restauration de zones naturelles d’expansion des crues.
      « La présente rubrique est exclusive des autres rubriques de la nomenclature. Elle s’applique sans préjudice des obligations relatives à la remise en état du site et, s’il s’agit d’ouvrages de prévention des inondations et des submersions marines, à leur neutralisation, qui sont prévues par les articles L. 181-23, L. 214-3-1 et L. 562-8-1, ainsi que des prescriptions susceptibles d’être édictées pour leur application par l’autorité compétente.
      « Ne sont pas soumis à la présente rubrique les travaux mentionnés ci-dessus n’atteignant pas les seuils rendant applicables les autres rubriques de la nomenclature. »

    • Les dispositions du présent décret sont applicables aux déclarations déposées à compter de son entrée en vigueur.

      […] »

 

Le site OCE n’a pas encore réagi (https://continuite-ecologique.fr/).

La fédération Hydrauxois a réagi, ce matin, virement. Voir :

On y notera, notamment, ce propos final :

« Notre association demandera l’annulation partielle de ce décret, non pour tout ce qui concerne la continuité latérale (zones humides, expansion de crue etc.) mais pour les dispositions relatives à la destruction des ouvrages hydrauliques accompagnée de l’assèchement de leurs milieux et de la disparition de leurs usages, soit le 1°, le 2° alinéa a) et c). »

Inversement, notre confrère André Berne (voir ici) soulignait que :

«  […]
L’attente entre la publication du projet sur internet, pour consultation électronique a été longue. On se demandait pourquoi : c’est que le décret publié est singulièrement modifié par rapport au projet. Plus ramassé que celui-ci, certaines dispositions intéressantes ont disparu.
»

 

M. Claude Miqueu (Président de la commission règlementation du Comité National de l’Eau, Membre du Comité de Bassin Adour Garonne, Docteur en droit public, ancien député…) y voit, pour sa part, un texte équilibré qui a, après prise en compte des réactions en ligne, donné lieu à un accord unanime au sein du groupe de travail réglementation du comité national de l’eau (CNE), accord confirmé en CNE.

A suivre car je pense mettre en ligne des avis, divers, en vidéo, à ce sujet.