Urbanisme : rallonger un délai d’instruction n’est plus, en soi, une décision attaquable… et, surtout, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité d’une décision refusant une autorisation

Par une décision importante, qui est un revirement de jurisprudence mais qui s’inscrit à la suite de l’importante décision Saint-Herblain de décembre 2022, le Conseil d’Etat vient de juger qu’est :

  • privée de tout effet juridique une lettre de modification du délai d’instruction intervenue, soit sans raison valable, soit hors délai. Elle n’est plus un acte attaquable séparément mais il importera que les services instructeurs ne se leurrent pas sur les effets de telles lettres… 
  • le bien-fondé de cette prolongation étant sans incidence sur la légalité d’une décision refusant une autorisation d’urbanisme.

 

 

Le Conseil d’Etat vient :

  • de juger qu’une lettre majorant le délai d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme n’est pas une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir
    Il s’agit d’un revirement de jurisprudence par rapport à la jurisprudence CE, 22 octobre 1982, Société Sobeprim, n°12522.
    Mais le mouvement consistant, domaine par domaine, à ce que de tels actes soient considérés comme non attaquables (le recours étant à faire sur l’acte adopté in fine) était déjà engagé.
  • et, surtout, de régler le sort à faire à de telles lettres en termes de délivrance de décisions implicites… ce qui devra conduire les services en charge de l’instruction à une grande prudence opérationnelle.

 

En 2015, le Conseil d’Etat avait précisé que si les services instructeurs d’une demande d’autorisation d’urbanisme avaient sollicité la transmission de pièces qui n’étaient pas prévues par le Code de l’urbanisme, cette circonstance ne pouvait être utilisée par le pétitionnaire pour revendiquer la naissance d’une autorisation tacite en raison de l’absence de majoration des délais d’instruction de son dossier (v. ainsi : CE, 9 décembre 2015, Commune d’Asnières-sur-Nouère, req., n° 390723 ; v. également pour la confirmation de cette jurisprudence en 2019 : https://blog.landot-avocats.net/2019/11/26/autorisations-durbanisme-quelles-consequences-faut-il-tirer-dune-demande-de-pieces-complementaires-abusive-par-les-services-instructeurs/).

Cette jurisprudence avait ensuite en décembre 2022 d’être abandonnée par la Section du contentieux du Conseil d’Etat par l’arrêt Commune de Saint-Herblain  : désormais, si au cours de l’instruction, il est demandé au pétitionnaire de transmettre une pièce dont la fourniture n’est pas obligatoire, cette démarche des services instructeurs doit être considérée comme privée de tout effet juridique.

Elle ne pourra donc, ni interrompre, ni majorer le délai d’instruction du dossier de sorte que, si aucune décision expresse n’a été notifiée dans ce délai, le pétitionnaire pourra considérer qu’il est devenu titulaire d’une autorisation tacite.

Source : CE, Section, 9 décembre 2022, Commune de Saint-Herblain, req., n° 454521. Pour lire l’arrêt, cliquer ici

Mais restaient en suspens diverses questions, dont celle de savoir si une décision implicite favorable naît à l’expiration du délai d’instruction lorsqu’il y a eu demande de délai.

L’article L. 423-1 du code de l’urbanisme dispose notamment que :

« Les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont présentées et instruites dans les conditions et délais fixés par décret en Conseil d’Etat.

[…]
Aucune prolongation du délai d’instruction n’est possible en dehors des cas et conditions prévus par ce décret.»

Et, comme le rappelle le Conseil d’Etat, il résulte des articles R*423-4, R*423-5, R*423-18, R*423-42, R*423-43 et R*424-1 du code de l’urbanisme qu’à l’expiration du délai d’instruction tel qu’il résulte de l’application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l’urbanisme relatives à l’instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite.

Dès lors, désormais :

  • est privée de tout effet juridique une lettre de modification du délai d’instruction intervenue, soit sans raison valable, soit hors délai.
    Citons sur ce point un extrait des futures tables du rec. :

    • « Une modification du délai d’instruction notifiée après l’expiration du délai d’un mois prévu à l’article R*423-18 de ce code ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l’une des hypothèses de majoration prévues aux articles R*423-24 à R*423-33 du même code, n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun à l’issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable
  • avec une charge de la preuve sur les épaules de l’administration.
    Citons là encore les futures tables du rec. :

    • « S’il appartient à l’autorité compétente, le cas échéant, d’établir qu’elle a procédé à la consultation ou mis en oeuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d’instruction. »
  • le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité d’une décision refusant une autorisation d’urbanisme.
  • et, donc, une lettre majorant le délai d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme n’est pas une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir,
    ce qui, donc, est un revirement de jurisprudence, mais est une extension de la jurisprudence Sait-Herblain de décembre 2022.

 

En l’espèce, M. B… avait déposé une demande de permis de construire en vue de régulariser la construction d’une serre agricole sur le territoire de la commune d’Aix-en-Provence.

Par un courrier du 23 janvier 2018, le maire de cette commune avait informé ce pétitionnaire « de ce que le délai d’instruction de sa demande était majoré d’un mois et qu’en l’absence de réponse avant le 29 avril 2018, il bénéficierait d’une autorisation tacite. »

Par un arrêté du 19 avril 2018, le maire a refusé d’accorder le permis sollicité.

Le Conseil d’Etat fournit alors son nouveau mode d’emploi :

« 4. Il résulte de ces dispositions qu’à l’expiration du délai d’instruction tel qu’il résulte de l’application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l’urbanisme relatives à l’instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. Une modification du délai d’instruction notifiée après l’expiration du délai d’un mois prévu à l’article R*423-18 de ce code ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l’une des hypothèses de majoration prévues aux articles R*423-24 à R*423-33 du même code, n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun à l’issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable. S’il appartient à l’autorité compétente, le cas échéant, d’établir qu’elle a procédé à la consultation ou mis en œuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d’instruction, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. »

D’où d’une part le rejet au fond :

« Sur le pourvoi :
« 5. En premier lieu, la décision de refus de permis de construire ne trouve pas sa base légale dans la lettre du 23 janvier 2018 majorant le délai d’instruction de la demande de M. B…, laquelle n’est pas une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, et n’est pas prise pour son application. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour a commis une erreur de droit en écartant comme inopérant le moyen invoquant, par voie d’exception, l’illégalité de la lettre du 23 janvier 2018 informant M. B… de la majoration du délai d’instruction de sa demande doit être écarté.
« 6. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le bien-fondé de la prolongation du délai d’instruction était par lui-même sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.
« 7. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de M. B… doit être rejeté. »

Source :

Conseil d’État, 24 octobre 2023, n° 462511, publié au recueil Lebon

Voir aussi les conclusions de Mme Dorothée PRADINES, Rapporteure publique :