Le décret de 1994 s’applique bien sans doute à la plupart des ralentisseurs au sol, voire à tous. Sauf à aimer combiner les charmes de l’illégalité, de la responsabilité indemnitaire… et du pénal

Voirie : les ralentisseurs au sol doivent tous ou presque tous, contrairement à une croyance répandue mais erronée, respecter le décret n° 94-447 du 27 mai 1994… avec un risque d’illégalité, mais aussi un risque pénal à la clef. 

 


 

Le décret n°94-447 du 27 mai 1994 est « relatif aux caractéristiques et aux conditions de réalisation des ralentisseurs de type dos d’âne ou de type trapézoïdal » Avec en aval une norme (Afnor NF P 98-300 du 16 mai 1994).

Les services de l’Etat estiment d’ailleurs que cette norme Afnor est bien à respecter par renvoi des dispositions de ce décret :

« L’article premier du décret précise que les ralentisseurs de type dos d’âne ou de type trapézoïdal doivent être conformes aux normes en vigueur, dont, en particulier, la norme Afnor NF P 98-300 du 16 mai 1994.»
Source : QO de M. H. de RAINCOURT ; JO Sénat du 06/02/1997 – page 334

Il est difficile  de résister à l’envie de communiquer en entier l’annexe à ce décret tant chaque item de cette liste est méconnu par un nombre ébouriffant d’ouvrages que nous croisons tous fréquemment :

« Article 1er
Les ralentisseurs visés au présent décret ne peuvent être isolés. Ils doivent être soit combinés entre eux, soit avec d’autres aménagements concourant à la réduction de la vitesse.
Ces aménagements doivent être distants entre eux de 150 mètres au maximum.
Article 2
L’implantation des ralentisseurs est limitée aux agglomérations telles que définies à l’article R. 110-2 du code de la route, aux aires de service ou de repos routières ou autoroutières ainsi qu’aux chemins forestiers.
A l’intérieur des zones visées à l’alinéa ci-dessus, ils ne doivent être implantés que :
-sur une section de voie localement limitée à 30 km/ h ;
-dans une zone 30 telle que définie à l’article R. 225 du code de la route.
Article 3
L’implantation des ralentisseurs est interdite sur des voies où le trafic est supérieur à 3 000 véhicules en moyenne journalière annuelle.
Elle est également interdite en agglomération au sens du code de la route :
-sur les voies à grande circulation, sur les voies supportant un trafic poids lourds supérieur à 300 véhicules en moyenne journalière annuelle, sur les voies de desserte de transport public de personnes ainsi que sur celles desservant des centres de secours, sauf accord préalable des services concernés ;
-à moins d’une distance de 200 mètres des limites d’une agglomération ou d’une section de route à 70 km/ h ;
-sur les voies dont la déclivité est supérieure à 4 p. 100 ;
-dans les virages de rayon inférieur à 200 mètres et en sortie de ces derniers à une distance de moins de 40 mètres de ceux-ci ;
-sur ou dans un ouvrage d’art et à moins de 25 mètres de part et d’autre.
Article 4
L’implantation des ralentisseurs ne doit pas nuire à l’écoulement des eaux. A proximité des trottoirs ou accotements, les ralentisseurs doivent être conçus de telle sorte qu’ils ne présentent aucun danger tant pour les piétons que pour les véhicules à deux roues.
Article 5
Les ralentisseurs de type trapézoïdal comportent obligatoirement des passages piétons.
Il est interdit d’implanter des passages piétons sur les ralentisseurs de type dos d’âne.
Article 6
La signalisation de ces aménagements doit être conforme aux dispositions de l’arrêté du 24 novembre 1967 modifié relatif à la signalisation des routes et des autoroutes et de l’instruction interministérielle sur la signalisation routière.
Article 7
Des essais de ralentisseurs non conformes aux dispositions prévues ci-dessus peuvent être conduits, avec l’accord et sous la responsabilité du ministre chargé des transports (direction de la sécurité et de la circulation routières), dans des conditions définies par décision spécifique.»

Il n’est donc vraiment pas rare que les ralentisseurs au sol, ou autres gendarmes couchés, ne soient pas aux normes (37 % d’entre eux selon cette enquête d’Auto Plus).

ATTENTION : il peut en résulter de la casse pour les voitures… mais des morts ou des blessures pour les motards. Or, causer même indirectement un homicide ou des blessures involontaires par la violation d’une norme fixée par la loi ou le règlement… est une situation dangereuse au regard des dispositions du Code pénal

 

L’élu ou l’agent se trouve alors dans le cas qui est en haut et à droite du tableau ci-dessous, c’est-à-dire… dans une situation dangereuse :

 

Voir aussi :

 

Pire : même sans accident la situation de l’élu ou de l’agent qui refuse de mettre aux normes un ralentisseur au sol est une situation dangereuse, car l’article 223-1 du code pénal réprime ainsi la mise en danger délibérée de la vie d’autrui :

« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.»

 

OUI mais… mais il y a une astuce croyaient de nombreuses mairies. Car de multiples communes, ainsi que, parfois, leurs bureaux d’études… avaient une interprétation étroite du décret de 1994.

La rapporteure publique devant le Conseil d’Etat relève d’ailleurs ce passage de Wikipedia qui affirme que « contrairement à une croyance populaire cette norme ne régit pas les coussins et les plateaux surélevés ».

[…]

 

 

Or, si la norme a son propre champ d’application, nul doute qu’en tous cas le décret de 1994, lui, s’applique à tous ces ralentisseurs au sol, gendarmes couchés et autres trucs sur le sol visant à nous ralentir, à nous faire freiner.

Il est vrai que le décret pourrait sembler avoir une portée limitée à deux types d’ouvrages :

«Les ralentisseurs de type dos d’âne ou de type trapézoïdal sont conformes aux normes en vigueur.
« 
Les modalités techniques d’implantation et de signalisation des ralentisseurs de type dos d’âne ou de type trapézoïdal doivent être conformes aux règles édictées en annexe du présent décret.»

 

Mais outre que les coussins berlinois et autres plateaux traversants sont rarement d’autres formes que trapézoïdales, de toute manière ce lieu commun tout à fait erroné selon lequel les ralentisseurs au sol peuvent prendre d’autres formes que celles de ce décret de 1994… ce lieu commun, donc, vient de se faire tordre de cou par le Conseil d’Etat :

« 3. Pour écarter le moyen tiré de ce que la qualification par le département du Var comme des  » plateaux traversants  » de la plupart des ouvrages visés par la demande de l’association requérante ne permettait pas de les exclure du champ d’application du décret du 27 mars 1994, dès lors que, quelle que soit la longueur du plateau du ralentisseur, leur profil présente la forme d’un trapèze, la cour administrative d’appel de Marseille s’est bornée à énoncer qu’il résultait de ce décret pris dans son ensemble que ses auteurs n’avaient pas entendu désigner tous les ouvrages présentant cette forme comme étant de  » type trapézoïdal « , mais uniquement ceux caractérisés comme tels dans  » la typologie technique propre à ces aménagements routiers « , et en a déduit que les ouvrages caractérisés comme  » plateaux traversants  » selon la  » typologie technique usuelle  » ne pouvaient par définition être qualifiés de ralentisseurs de type trapézoïdal pour l’application de ce décret. En statuant ainsi, sans se référer ni aux dispositions du décret ni à la typologie dont elle déduisait une telle exclusion, la cour administrative d’appel n’a pas mis le juge de cassation en mesure d’exercer son contrôle et a, ainsi, insuffisamment motivé son arrêt. »

 

Attention : cela ne veut pas dire que le Conseil d’Etat tranche définitivement le litige. Il casse l’arrêt de la CAA parce que celle-ci n’a pas été techniquement précise et n’a pas permis au juge de cassation de trancher, et le Conseil d’Etat ne tranche pas l’affaire au fond : il casse la décision de la CAA et renvoie vers elle pour que celle-ci rejuge l’affaire.

Mais il désormais encore plus clair que ce décret de 1994 s’applique à tous les ralentisseurs :

  • de type dos d’âne
  • ou de type trapézoïdal.

 

… ça, c’est le décret qui déjà le disait.

Après la décision du Conseil d’Etat, il n’est pas impossible, mais à tout le moins improbable, que la CAA à qui la Haute Assemblée vient de renvoyer l’affaire, estime que les plateaux traversants ne sont pas régis par le décret de 1994.

Quant aux coussins berlinois, ils sont en général trapézoïdaux et là encore, sans que ce soit définitif, il semble bien qu’il faille leur appliquer le décret de 1994…. qu’ils ne respectent en général pas du tout, ne serait-ce que pour les matériaux utilisés (voir une réponse des services de l’Etat à ce sujet, ici).

Et si d’autres systèmes au sol (je ne parle pas des chicanes par exemple, bien sur) visent à ralentir les véhicules, il sera difficile de les faire sortir de cette nomenclature, sauf à avoir un argumentaire en béton.

 

Source :

Conseil d’État, 24 octobre 2023, n° 464946

Voir aussi ici les conclusions de Mme Dorothée PRADINES, Rapporteure publique :