Un avocat, désigné au titre de la protection fonctionnelle d’un agent ou d’un élu, peut-il fixer ses honoraires à sa guise ? [VIDEO et article]

Nouvelle diffusion 

 

Un avocat est désigné dans le cadre du droit à la protection fonctionnelle d’un agent ou d’un élu. L’avocat est-il, alors, libre de fixer ses honoraires à sa guise ?

Réponse : NON mais l’administration ne peut pas non plus en profiter pour brider lesdits honoraires au-delà du raisonnable : au besoin c’est le juge (souvent administratif sans même passer par l’arbitrage du Bâtonnier) qui aura à connaître du caractère raisonnable ou non de ces honoraires.

Voyons tout ceci au fil d’une vidéo et d’un article. 

 

I. VIDEO

Voici d’abord une vidéo de 5 mn 18 à ce sujet :

https://youtu.be/5IXhXr1gbm4

II. ARTICLE (plutôt moins détaillé que la vidéo)

 

Un avocat est désigné dans le cadre du droit à la protection fonctionnelle d’un agent ou d’un élu. L’avocat est-il, alors, libre de fixer ses honoraires à sa guise ?

Réponse : NON mais l’administration ne peut pas non plus en profiter pour brider lesdits honoraires à sa guise, et au besoin c’est le juge qui aura à connaître du caractère raisonnable ou non de ces honoraires.

NB : par une décision Maître Philippe Stepniewski (lequel en l’espèce disposait d’une convention d’honoraires signée avec l’administration en question) en date du 13 septembre 2021 (n° C4226 ; voir ici), le Tribunal des conflits a jugé que dans le cadre du bénéfice de la protection fonctionnelle, c’est le juge administratif qui est compétent et qu’en cas de montants d’honoraires excessifs, réduits par le juge, le solde des honoraires reste à la charge du bénéficiaire de la protection fonctionnelle (somme pour laquelle l’arbitrage du bâtonnier, lui, sera opérationnel). Voir déjà Source : Conseil d’État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 9 juillet 2007, 297711, Publié au recueil Lebon (à lire ici avec notre article). A noter nombre de décisions du juge judiciaire en ce domaine, dont certaines citées ci-dessous, pourraient ne pas être entérinées et perpétuées telles quelles par le juge administratif, souvent moins compréhensif en matière d’honoraires d’avocats et surtout moins au fait du temps que prend une procédure pénale. 

Les garanties données aux agents ou aux élus via la protection fonctionnelle (dite parfois aussi garantie fonctionnelle) ne peuvent souffrir une limitation par l’employeur en termes de volume comme de prix que dans des cas exceptionnels, sous le contrôle du juge.

Le décret n°2017-97 du 26 janvier 2017 (applicable aux agents !) précise les conditions et les limites de la prise en charge, par la personne publique, des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par l’agent public ou ses ayants droit. La prise en charge des honoraires d’avocats peut intervenir:

  • soit en application d’une convention d’honoraire (art. 5)
  • soit, à défaut, directement sur présentation des factures d’avocat par l’agent dans la limite d’un plafond fixé par arrêté ministériel (art. 6), dont on attend la promulgation un de ces jours…

Voir :

Lorsque la convention le prévoit ou à défaut de convention, le montant des honoraires pris en charge peut être plafonné « lorsque le nombre d’heures facturées ou déjà réglées apparaît manifestement excessif » (art. 7).

Ainsi, à défaut d’accord entre l’autorité publique et l’avocat de l’agent, ce dernier peut demander à la personne publique le remboursement des honoraires au fur et à mesure de la procédure.

L’autorité publique ne pourra alors s’opposer au remboursement des honoraires de l’avocat que lorsqu’ils seront manifestement excessifs au regard, notamment, des pratiques tarifaires généralement observées dans la profession ou des prestations effectivement accomplies pour le compte de son client (CE, 2 avril 2003, Chantalou, req. n° 249805, Rec. 909 ; CAA Douai, 29 décembre 2010, Ministre de la Justice, req. n° 09DA01585 ; CAA Paris 19 juin 2012, Granomort, req. n° 10PA05964).

Autrement dit, lorsque les honoraires de l’avocat ne sont pas excessifs, l’autorité publique ne peut pas légalement plafonner leur remboursement, sauf si la convention d’honoraire le prévoit.

Par exemple, il a pu être jugé qu’un taux horaire de 180 euros HT n’était pas excessif (CA Aix-en-Provence, 8 avril 2014, n° 13/19471).

Voir :

 

En outre, on peut noter qu’il n’est pas rare que les honoraires d’un avocat s’élèvent, pour un seul dossier, à plus de 100 000 euros par an (voir par exemple : CA Paris, 8 juin 2018, n° 17/00787). Voir :

 

Autre élément : par un arrêt M. C… c/ communauté de communes de l’ouest guyanais (CCOG)en date du 5 juillet 2019 (req. n° 17PA24117), la cour administrative d’appel de Paris a jugé que lorsqu’une collectivité publique a accordé la protection fonctionnelle à l’un de ses agents, cela implique seulement, en cas d’absence de convention entre elle et l’avocat dudit agent, qu’elle rembourse les frais d’avocat exposés à ce dernier et non à son avocat. De plus, le remboursement est subordonné, nonobstant le tarif horaire et le plafond sur lesquels la collectivité publique s’est engagée, à la production de tous les justificatifs permettant d’attester la réalité des prestations effectuées. Voir ici cet arrêt et notre article à ce sujet. Concrètement, il faut produire les justificatifs des prestations d’avocat pour qu’un remboursement soit dû.

Les grandes administrations sont maintenant rodées à ces questions et savent gérer intelligemment les choses avec les avocats. Les plus professionnels et habitués du monde public de ces avocats de leur côté ont appris en général à ne pas abuser d’une situation qui de prime abord les met un peu (un peu trop parfois) en position de force en ce domaine.

Mais tant du côté des administrations que des avocats, on ne peut que déplorer, parfois, de moins en moins souvent semble-t-il, la persistance de pratiques déplorables (sur-facturation à des tarifs élevés par  certains avocats ; pression pour choisir tel ou tel avocat ou tentative de museler la défense des agents par des conventions artificiellement basses pour certaines administrations, heureusement devenues fort peu nombreuses à pratiquer ce qui est en réalité un total amateurisme de long terme en termes de GRH…).

 


Attention :

Il est à rappeler que la jurisprudence est devenue assez complexe, voire parfois difficile à prédire, sur le point de savoir si la protection fonctionnelle est, ou non, à accorder… et si elle l’a été, si les frais ainsi exposés sont, ou non, à récupérer (par une action récursoire) par la collectivité.

Sources choisies sur ce point  : CE, 30 décembre 2015, Commune de Roquebrune-sur-Argens, n° 391798 et n° 391800 ; application au délit de favoritisme : TA Melun, 4 juillet 2013, n° 1204155 ; mais la protection reste due si la collectivité s’est engagée même en cas de favoritisme (CAA de PARIS, 6ème chambre, 5 juillet 2019, 18PA20740 pour un cas particulier certes). Une infraction peut être volontaire et être commise en campagne électorale (et donc relever d’une faute assez « personnelle ») et pourtant donner lieu à protection fonctionnelle (CE, 25 juin 2020 , n° 421643 ; à comparer en sens contraire TC, 26 octobre 1981, rec., p. 657). Mais la Cour de cassation (mais qui ne serait pas le juge compétent) a estimé que le favoritisme était toujours une faute personnelle excluant la protection fonctionnelle (Cass., Crim., 22 février 2012, n° 11-81476). L’arrêt du Conseil d’Etat n° 308160 du 23 décembre 2009 va dans le même sens, mais le recours sur la protection fonctionnelle est arrivé au Conseil d’Etat après condamnation pénale. Pour un cas récent où le juge valide le refus d’une protection fonctionnelle même pour un accident de la route en raison de l’imprudence de la personne poursuivie (constitutive d’une faute personnelle), voir CAA Paris, 14 février 2020, 18PA00465. En sens inverse, il y a octroi obligatoire de la protection fonctionnelle pour les imprudences du maire ayant pourtant conduit à des homicides ou blessures involontaires (voir TA Nantes, 9 octobre 2019, n°1710480)…