Crime ou délit ? En écriture publique, peu importe le flacon. Seule importe l’ivresse du faux. 

La Cour de cassation étend le domaine, criminel (s’il est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée de mission de service public, agissant dans l’exercice de ses missions)… du faux en écriture publique, versus le « simple » faux en écriture privée (qui, lui, même commis dans le monde administratif, reste un délit, lequel relève donc plus modestement du tribunal correctionnel).


 

Il est des crimes qui peuvent être « correctionnalisés », c’est-à-dire transformés plus ou moins artificiellement en délits pour ne relever « que » du tribunal correctionnel.

Il peut s’agir d’aller plus vite, voire de protéger les victimes d’un excès de publicité, comme pour certaines agressions sexuelles (ce qui est un sujet débattu), ou de désengorger les cours d’assises.

Mais, au contraire ce qu’un lieu commun fait accroire assez fréquemment, il n’est pas de correctionnalisation en matière de faux en écriture commis par « une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ».

En effet, lorsqu’un faux est ou semble commis par une telle personne, soit l’écriture est publique.. soit elle est privée. Point.

Si cette « personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission » est poursuivie :

  • devant le Tribunal correctionnel pour une écriture qui en fait est publique…
  • OU aux assises pour faux pour une écriture qui en réalité est privée…

… alors cette personne poursuivie gagnera son procès si elle est raisonnablement défendue, sauf boude ou aléa.

D’où l’importance de cette frontière.

Il faut alors se référer aux articles 441-1 et 441-4 du code pénal .

Le premier de ces articles rappelle notamment que « constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. »

On voit d’ailleurs déjà qu’on a plutôt moins de faux que ce que l’on croit usuellement. Car encore faut-il que ce document ait « pour objet ou [..] pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques ». Point qui donne d’ailleurs lieu à une abondante jurisprudence délicate à synthétiser.

NB 1 : sur ce point renvoyons aux points 17 à 29 du Fasc. 20 du Juris-Classeur Pénal par M. Marc Segonds, mise à jour décembre 2023.

NB 2 : voir ici par exemple en matière de budgets. 

NB 3 : un acte qui sera un faux en écritures, publique ou privée, au pénal, sera en général un acte dit « inexistant » en droit administratif. Voir, à ce sujet, une jurisprudence et un article ici. 

Revenons à notre distinction entre faux en écriture publique et écriture privée.

Cette frontière n’est pas établie selon que c’est, ou non, l’administration qui produit ce document.

D’ailleurs l’article 441-2 du code pénal vise spécifiquement le délit de « faux commis dans un document délivré par une administration publique aux fins de constater un droit, une identité ou une qualité ou d’accorder une autorisation ». De même la détention de ces documents peut elle être là encore un délit (prévu par l’article 441-3 de ce même code ; voir aussi l’article 441-5 dudit code pénal pour ce qui est du délit consistant à fait « procurer frauduleusement à autrui un document délivré par une administration publique aux fins de constater un droit, une identité ou une qualité ou d’accorder une autorisation »).

Pour toucher la sphère du crime, et non plus du délit, pour pouvoir convoquer Christophe Hondelatte, Fabrice Drouelle ou Pierre Bellemare… il faut oser toucher le dernier alinéa de l‘article 441-4 du code pénal, ainsi libellé (la mise en gras, italique et souligné étant bien évidemment de nous) :

« Le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l’autorité publique est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.
« 
L’usage du faux mentionné à l’alinéa qui précède est puni des mêmes peines.
« 
Les peines sont portées à quinze ans de réclusion criminelle et à 225 000 euros d’amende lorsque le faux ou l’usage de faux est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission.»

 

En réalité, cette frontière n’est pas claire. Ont pu être de telles écritures publiques :

 

Or, voici que la Cour de cassation vient de définir de manière plus claire cette frontière entre écriture publique et privée, et ce d’une manière qui étend considérablement le champ de l’écriture publique qui, donc, sera un crime lorsque cette infraction est commise par « une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ».

Selon la Cour de cassation, en effet :

« Tout écrit qui atteste un droit ou un fait rédigé dans l’exercice de ses attributions par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, constitue une écriture publique au sens de l’article 441-4 du code pénal.»

Présenté ainsi, cela pourrait n’être qu’une compilation de ce qu’est le faux (avec une combinaison des articles 441-2 et -4 du code pénal).

Mais la cour de cassation étend très loin cette notion (ainsi que l’acception de document ayant « pour objet ou [..] pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques ») quand il continue en posant que :

« Tel est le cas notamment d’un courrier, argué de faux, adressé par le maire d’une commune, personne exerçant une fonction publique, à la commission d’accès aux documents administratifs.»

Attention tout courrier douteux envoyé à la CADA n’entraînera pas un embastillement criminel des élus et/ou agents concernés. En l’espèce, c’est de manière apparemment mensongère que le maire aurait écrit à la CADA que que la commune n’aurait réalisé aucun travaux pour le compte de l’un de ses administrés.

Un juge d’instruction avait déclaré :

« irrecevable la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. [S] à l’encontre du maire d’une commune ayant adressé à la CADA un courrier argué de faux, l’arrêt attaqué énonce que la spécificité du faux ou de l’usage de faux en écriture publique ou authentique est de porter sur un tel support rédigé par un représentant de l’autorité publique qui agit dans l’exercice de ses fonctions et qu’un simple courrier d’un maire sur papier à en tête ne peut revêtir la qualification d’écriture publique. »

Et les juges avaient donné raison au juge d’instruction qui estimait qu’en effet ne pouvait être une écriture publique un simple courrier à en-tête :

« 10. Il retient que l’acte argué de faux, en l’espèce une lettre sur papier à en tête du maire adressée le 23 mai 2008 à la CADA, ne peut revêtir la qualification d’écriture publique ou authentique, nonobstant la qualification criminelle invoquée dans la plainte avec constitution de partie civile.
« 
11. Les juges en déduisent que le doyen des juges d’instruction pouvait déclarer ladite plainte irrecevable pour défaut de plainte simple préalable, de classement sans suite ou de l’expiration du délai de trois mois suivant la plainte simple, cette dernière n’étant pas exigée lorsque les faits dénoncés sont de nature criminelle.»

C’est ce raisonnement qui est vertement tancé par la Cour de cassation :

« 12. En statuant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
« 
13. En effet, tout écrit qui atteste un droit ou un fait rédigé dans l’exercice de ses attributions par un maire, personne exerçant une fonction publique, constitue une écriture publique.
« 
14. En conséquence, la falsification frauduleuse d’un tel document, dans les conditions de l’article 441-1 du code pénal, si elle est établie, est susceptible de constituer le crime de faux en écriture publique commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public.
« 
15. La cassation est par conséquent encourue.»

Delenda est instructio. Et… maior iudicandus est.

Donc, en écritures publiques, désormais, peu importe le flacon. Seule importe l’ivresse du faux. Le droit pénal des personnes publiques n’a pas fini de prospérer. Et les acteurs du monde public de désespérer.

 

Source :

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 10 janvier 2024, 22-87.605, Publié au bulletin

 

Photo : coll. pers. (image de la partie pénale de notre bibliothèque)