Un recours de type « Béziers I » en matière de contrats publics serait, selon la CAA de Versailles, soumis à une — délicate — prescription quinquennale

Pour pouvoir engager un recours de type « Béziers I », la CAA de Versailles, en formation plénière, estime qu’un encadrement quinquennal s’impose à dater du « terme du contrat » ou de la date où l’on a découvert l’illécéité de l’objet de ce contrat ou bien le vice d’une particulière gravité l’affectant.

Et ce par importation à peine indirecte d’une règle de droit civil (application d’un principe que l’on retrouve à l’article 2224 du code civil ; puis application semble-t-il directe de règles d’interruption de ladite prescription).

Sur deux points, cette intéressante décision de la CAA de Versailles, rendue en l’espèce en matière de contrats avec un agent d’une chambre consulaire, interroge en droit. 

 


 

I. Rappels très sommaires en matière de recours Béziers I

 

Le fameux arrêt « Béziers I » est souvent cité pour son application du principe de « l’exigence de loyauté des relations contractuelles ».

Mais n’oublions pas son apport principal, au titre duquel pendant toute la durée du contrat, « une partie à [ce] contrat administratif peut saisir le juge du contrat d’un recours de plein contentieux pour en contester la validité. »

A charge pour le juge de « vérifier que les irrégularités dont se prévaut cette partie sont de celles qu’elle peut, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui », puis d’« apprécier l’importance et les conséquences » de telles irrégularités (poursuite ou non de l’exécution du contrat avec possibles régularisations ; résiliation parfois avec ou sans effet différé… règlement ou non du litige sur le terrain contractuel selon la gravité des fautes… pour schématiser).

Ces irrégularités sont celles :

« tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement »

Source : CE, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802, rec. p. 509. Voir les très nombreuses décisions de Justice à ce sujet commentées au fil des articles du présent blog… 

 

 

II. Position de la CAA de Versailles en formation plénière 

 

Or, voici que la CAA de Versailles vient d’appliquer cela aux agents de droit public des chambres consulaires. 

Elle le fait pour partie avec une rédaction qui ne surprendra personne puisque cela reprend les formulations usuelles :

« 3. Les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d’un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie. Il appartient alors au juge, lorsqu’il constate l’existence d’irrégularités, d’en apprécier l’importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu’elles peuvent, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise et en tenant compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d’une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation. Cette action est ouverte aux parties au contrat pendant toute la durée d’exécution de celui-ci.»

Mais ce qui est intéressant, c’est que faute d’autre texte, elle applique un principe général que l’on retrouve aussi au Code civil,  pour encadrer le délai (de 5 ans donc), pour ce qui est de l’exception de prescription de l’action en nullité dudit contrat.

La CAA rappelle qu’aux termes de l’article 2224 du code civil :  » Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer « .

Cet article, la CAA ne l’applique pas directement. Elle dit qu’elle applique « les principes dont s’inspire » ledit article du code civil.

NB : sur cette méthode j’aurai la cuistrerie de me citer moi-même. Voici trois pages de ma thèse de doctorat consacrées incidemment à cette question :

Avec donc cette source d’inspiration qu’est le code civil via un principe qui serait en amont même dudit code au point d’être repris par le juge administratif, voici donc que, pour pouvoir engager un recours de type « Béziers I », y compris donc pour les agents des chambres consulaires, mais pas seulement, la CAA de Versailles estime qu’un encadrement quinquennal s’impose à dater de la fin du contrat ou de la date où l’on a découvert l’illicéité de l’objet de ce contrat ou bien le vice d’une particulière gravité l’affectant.

Citons la CAA :

« 4. En outre, il résulte des principes dont s’inspire l’article 2224 précité du code civil, qu’à compter du terme du contrat ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle les parties ont connu ou auraient dû connaître les faits leur permettant d’exercer cette action, celles-ci disposent d’un délai de cinq ans pour en demander l’annulation, si elles se prévalent de l’illicéité de son objet ou d’un vice d’une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles elles ont donné leur consentement. »

Avec en l’espèce interruption de la prescription avec application, directe cette fois, des règles de droit civil :

« 5. D’autre part, aux termes de l’article 2241 du code civil :  » La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (…) « , l’article 2242 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, prévoyant que  » l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance « . Toutefois, aux termes de l’article 2243 du code civil :  » L’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée « .
« 6. M. D… soutient que c’est à tort que le tribunal administratif a écarté l’exception de prescription soulevée en première instance dès lors que la demande de la chambre de métiers et de l’artisanat du Val-d’Oise tendant à l’annulation de la transaction du 25 août 2011 n’a été présentée que le 26 octobre 2017, postérieurement à l’expiration du délai de prescription.»

D’où une tardiveté de l’action de la chambre consulaire :

« 7. Il résulte de l’instruction que la chambre de métiers et de l’artisanat du Val-d’Oise a sollicité l’annulation de ce contrat par des conclusions reconventionnelles présentées le 20 août 2012, dans l’instance n° 1110422 introduite par M. D…, et auxquelles le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit par un jugement du 8 décembre 2014. Ce jugement a été partiellement réformé par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles n° 15VE00452 du 29 décembre 2016 rejetant ces conclusions pour irrecevabilité. Le pourvoi en cassation introduit par la chambre de métiers et de l’artisanat du Val-d’Oise contre cet arrêt a ensuite fait l’objet d’une décision de non admission du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 19 juillet 2017. Ainsi, si le délai de prescription, fixé à cinq ans ainsi qu’il résulte de ce qui a été exposé au point 4, a été interrompu par l’introduction de ces conclusions reconventionnelles, cette interruption est réputée non avenue, en application de l’article 2243 du code civil, dès lors que ces conclusions reconventionnelles ont été définitivement rejetées par l’arrêt de la cour du 29 décembre 2016 mentionné ci-dessus. Il en résulte que le délai de l’action en contestation de validité du contrat, qui a couru à compter du 6 septembre 2011 soit le lendemain de la date d’exécution de la transaction, était, en tout état de cause, expiré le 26 octobre 2017, date à laquelle la chambre de métiers et de l’artisanat du Val-d’Oise a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’une nouvelle demande tendant à l’annulation de cette transaction.»

 

III. Cette intéressante décision soulève au moins deux débats en droit  

 

Cette solution, rendue en plénière, par la CAA, pourrait susciter le débat, et ce à deux titres.

En premier lieu, se pose une question sur la formulation « à compter du terme du contrat ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle les parties ont connu ou auraient dû connaître les faits leur permettant d’exercer cette action ».
En effet, le Conseil d’Etat, dans les affaires de ce type, et la CAA de Versailles elle-même dans cette affaire, prend soin de signaler à chaque fois que cette « action est ouverte aux parties au contrat pendant toute la durée d’exécution de celui-ci.» Or, le mode d’emploi de la CAA de Versailles semble pouvoir conduire à un recours pour apprécier la légalité d’un contrat mort et enterré. Béziers I peut-il faire office de déterrement de cadavres contractuels ? Le débat nous semble pouvoir être ouvert. A moins que l’expression « du terme du contrat » signifie ici sa conclusion, ou son entrée en vigueur, et non sa fin, ce qui ne correspondrait guère aux formulations usuelles.
En même temps, il s’agissait en l’espèce d’une contestation sur une transaction. La voie pour la chambre consulaire de l’émission d’un titre pour se faire rembourser en raison de l’illégalité de la transaction (comme on le ferait s’agissant d’un acte inexistant) aurait été sans doute trop audacieuse. Donc en l’espèce la formulation de la CAA ne choque pas mais il est surprenant que le juge ne l’aie pas limitée aux cas de transaction ou qu’il n’aie pas remplacé « terme » par « entrée en vigueur » (car 5 ans après la signature de la transaction cela a en effet du sens)…
En tous cas il nous semble raisonnable de poser (comme le font les civilistes [article 2242 du code civil] et un peu comme on le fait en quadriennale ou même pour le point de départ du délai indicatif d’un an quand on Czabajise ou non…) que même pour la CAA de Versailles, la formulation « à compter du terme du contrat ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle les parties ont connu ou auraient dû connaître les faits leur permettant d’exercer cette action » est à prendre, sinon avec prudence, du moins à supposer qu’elle s’entend avec souplesse au cas par cas. A supposer que cette formulation soit, le cas échéant, confirmée par le Conseil d’Etat. 

 

En second lieu, en 2019, le Conseil d’Etat avait posé qu’une action Béziers I  « est ouverte aux parties au contrat pendant toute la durée d’exécution de celui-ci » et que « commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui rejette la demande, formée par une partie à un contrat administratif, contestant la validité de celui-ci au motif que cette action, présentée pendant la durée d’exécution du contrat, était prescrite par application de la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du code civil, alors que cette prescription n’était pas applicable à l’action en contestation de validité du contrat introduite par cette partie. »
NB reprise du résumé du rec. pour Conseil d’Etat, 1erjuillet 2019, Association pour le musée des Iles Saint-Pierre et Miquelon, n°412243. Voir ici un article.
La CAA a pris grand soin, non pas d’appliquer directement la prescription quinquennale, mais de s’en inspirer, d’une part, et de prévoir que le délai peut aussi courir à compter de la découverte des vices, d’autre part. Mais tout de même la position de la CAA n’est pas sans audace.

A suivre…

Source :

CAA de VERSAILLES, Formation plénière, 29/02/2024, 21VE00016