Un recours Tarn-et-Garonne… ça se dépose dans un délai de 2 mois ou, en cas de mesures de publicité insuffisantes, dans un délai indicatif d’un an… MAIS AVEC UN GROS BÉMOL

Un recours Tarn-et-Garonne, par un tiers contre un contrat  public, ne pourra être engagé que dans un délai de deux mois. Ce délai court à compter de mesures de publicité qui varient selon les cas (I)

Appliquant la jurisprudence Czabaj, le Conseil d’Etat avait le 19 juillet 2023 estimé que faute pour ces mesures de publicité d’être correctement accomplies… à défaut s’appliquait un délai indicatif d’un an pour attaquer le contrat via un tel recours Tarn-et-Garonne (II).

Sauf que, pour la CAA de Paris, et ce à l’aune de la jurisprudence Legros de la CEDH, cette révolution opérée par la jurisprudence Seateam aviation en 2023 était trop brutale. Cette cour prévoit donc (III) des assouplissements transitoires de cette jurisprudence Seateam aviation. 

 


 

I. Un recours Tarn-et-Garonne, par un tiers contre un contrat  public, ne pourra être engagé que dans un délai de deux mois. Ce délai court à compter de mesures de publicité qui varient selon les cas

 

Le recours en contestation de la validité du contrat ouvert aux tiers au contrat, est enfermé dans un délai de deux mois.

Ce délai court, pour :

 

Reste à savoir ce que sont les mesures de publicité suffisantes à ce stade. Avec une jurisprudence assez souple à ce stade (voir par exemple CE, 3 juin 2020, Centre hospitalier d’Avignon et Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), n°s 428845 428847, T. p. 842).

A tout le moins le juge pose-t-il que ce délai de « deux mois ne peut commencer à courir que si ces mesures indiquent au moins l’objet du contrat et l’identité des parties contractantes ainsi que les coordonnées, postales ou électroniques, du service auprès duquel le contrat peut être consulté » (CE, 19 juill. 2023, Société Seateam aviation, req. n° 465308, Mentionné aux Tables).

 

II. Appliquant la jurisprudence Czabaj, le Conseil d’Etat avait le 19 juillet 2023 estimé que faute pour ces mesures de publicité d’être correctement accomplies… à défaut s’appliquait un délai indicatif d’un an pour attaquer le contrat via un tel recours Tarn-et-Garonne.

 

Oui mais… que se passe-t-il si cette publicité n’a pas eu lieu ?

A cette question, le Conseil d’Etat n’a pas eu à chercher bien loin une solution : il a étendu à ces types de contentieux sa jurisprudence Czabaj.

Rappelons qu’en vertu de cette jurisprudence :

« Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance. »

Bref, si un acte individuel a été mal notifié, ou non notifié en termes de voies et délais de recours (au sens de l’article R. 421-5 du CJA, mais aussi pour ce qui est des accusés de réception des articles L. 112-3 et R. 112-5 du CRPA), le requérant aura un délai raisonnable (un an en général, modulable au cas par cas par le juge) pour attaquer cet acte à compter du moment où il en a connaissance… Et ce depuis une jurisprudence qui va fêter ses 7 ans dans quelques jours, à savoir la célébrissime décision M. Czabaj  du Conseil d’Etat (13 juillet 2016, n°387763).

Par l’arrêt précité CE, 19 juill. 2023, Société Seateam aviation, req. n° 465308, Mentionné aux Tables… le Conseil d’Etat a appliqué la jurisprudence Czabaj (CE, Ass., 13 juillet 2016, Czabaj, req. n°387763, Publié au recueil Lebon) au recours en contestation de la validité du contrat par les tiers, et a précisé que le délai raisonnable d’un an commence à courir « à compter de la date à laquelle il est établi que le requérant a eu connaissance, par une publicité incomplète ou par tout autre moyen, de la conclusion du contrat, c’est-à-dire de son objet et des parties contractantes ».


NB : Lire à ce sujet : Tarn-et-Garonne se Czabajise (ce qui met fin à de redoutables divergences entre juridictions) et voir la vidéo réalisée par mes soins.

Bref le Conseil d’Etat avait le 19 juillet 2023 estimé que faute pour ces mesures de publicité d’être correctement accomplies… à défaut s’appliquait un délai indicatif d’un an pour attaquer le contrat via un tel recours Tarn-et-Garonne.

 

 

III. Sauf que, pour la CAA de Paris, à l’aune de la jurisprudence Legros, cette révolution opérée par la jurisprudence Seateam aviation en 2023 était trop brutale. Donc cette cour prévoit des assouplissements transitoires de cette jurisprudence (prévoyant, en cas d’insuffisances quant aux mesures de publicité sur le contrat, un délai indicatif d’un an en lieu et place du délai de recours de deux mois)

 

Donc, cette jurisprudence Seateam aviation en 2023 prévoyait, en cas d’insuffisances quant aux mesures de publicité sur le contrat, un délai indicatif d’un an en lieu et place du délai de recours de deux mois, délai indicatif d’un an correspondant à une extension du champ d’application de la jurisprudence Czabaj précitée.

Oui sauf que cette jurisprudence Czabaj… la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ne l’a validée qu’avec un gros bémol : cette cour a en effet estimé que l’immédiateté est contraire à l’article 6 § 1 de la CEDH… et donc au droit un procès équitable….

En effet, par son arrêt Legros et autres c/ France en date du 9 novembre 2023 (req n° 72173/17), la CEDH a jugé que l’application immédiate de la jurisprudence Czabaj aux affaires en cours était contraire au droit à un procès équitable garanti par l’article 6 §1 de la convention européenne des droits de l’homme (voir ici). DONC ce délai d’un an pourra ne pas s’appliquer si le délai de recours était, schématiquement, perturbé par la lecture de l’arrêt Czabaj, peu avant ou peu après 2016 donc.

Bref, Czabaj pour l’avenir, oui. Application immédiate NON, entraînant une fragilité pour les affaires donnant lieu à expiration des délais de recours en 2016 ou, parfois, 2017.

SI l’on combinait tout ceci avec une autre décision, judiciaire cette fois (Cass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12.560 et n° 21-21.230 [2 esp.], au Bull.), on arrivait à la situation suivante

ou :

 

La CAA de Paris est allée au bout de cette logique. Si en 2016 l’arrêt Czabaj était inconventionnel par son immédiateté… changeant les anticipations des potentiels justiciables en termes de délais de recours… alors il en allait de même en juillet 2023 avec l’arrêt Seateam Aviation précité… et donc le délai indicatif d’un an pour agir via un recours Tarn-et-Garonne doit être modulé, atténué, pour ceux qui ont découvert en 2023 cet arrêt Seateam Aviation. Bref, s’imposent des délais plus souples pour les affaires dont le délai de recours expirait en 2022 et, pour partie, en 2023.

Autrement formulé, pour la CAA de Paris, à l’aune de la jurisprudence Legros, cette révolution opérée par la jurisprudence Seateam aviation en 2023 était trop brutale.

Ou, mieux dit encore :

« Si la jurisprudence issue de la décision du 13 juillet 2016 dite  » Czabaj  » du Conseil d’Etat, applicable initialement aux seules décisions individuelles expresses, a été progressivement étendue à d’autres catégories d’actes administratifs et à d’autres contentieux que le recours pour excès de pouvoir, son application aux recours en contestation de validité des contrats, caractérisés par un régime de délai de recours purement prétorien, ne peut être regardée comme une simple extension prévisible d’une jurisprudence constante. »…

…conduisant en l’espèce à ce que la requête n’était pas tardive quoique déposée plus d’un an après la signature du contrat, en l’état d’une absence de publicité … mais le requérant a été débouté pour d’autres motifs.

Source :

CAA Paris, 27 janvier 2025, Société Pacific Mobile Telecom, n° 23PA04683, C+

 

Voir aussi un commentaire sur la lettre de cette CAA :

 

 


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