Pour apprécier la légalité d’une transaction, le CE exige que l’on apprécie les concessions réciproques « de manière globale » et que l’on ne prenne pas en compte la perte de bénéfice sur une promesse de contrat (en l’espèce une vente immobilière)

Le Conseil d’Etat, en matière de transaction, vient de rendre un arrêt mi-chèvre mi-chou, entre continuité et recadrage (CE, 9 décembre 2016, Sté Foncière Europe, n° 391840, à publier aux tables du rec., en PJ au présent article ci-dessous).
Continuité car le juge confirme (plus ou moins explicitement) :

  • Que naturellement il n’est pas question de payer une somme indue lors d’une transaction (CE, Sect., 19 mars 1971, Sieur Mergui, 235 ; CE, 11 juillet 1980, Compagnie d’assurance La Concorde et M. Guy Fourrel de Frettes, RDP, 1981, p. 1088 ; CE, 23 novembre 1984, Société anonyme d’habitations à loyer modéré « Travail et Propriété », RDP, 1985, p. 1406 ; CE, 29 décembre 2000, Comparat). Cette règle ne doit pas être sous-estimée, puisque le juge peut la soulever d’office (moyen d’ordre public ; par transposition : CE, Sect., 14 avril 1961, Dame Rastouil, rec. 233 ; CE, 10 avril 1970 ; Société médicale d’assurances « Le sou médical », rec. 245). On rappellera au passage qu’il est des domaines où l’on ne peut même pas transiger (comme l’excès de pouvoir CE, 21 février 1996, Société Etablissement Crocquet, n° 152406 ou la délimitation du domaine public CE, 20 juin 1975, Ferrand).
  • Qu’en matière de contrats de toutes natures (en l’espèce, dans cette affaire Société foncière Europe, il s’agissait d’un contrat immobilier et non d’un marché), il importe, de  déterminer le préjudice indemnisable à prendre en compte dans la transaction. S’agissant d’un marché, le CE avait par exemple préciser qu’il fallait partir « du montant des dépenses utiles exposées par le cocontractant […], éventuellement augmenté, dans la limite du prix du marché, d’une somme correspondant à la réparation du préjudice subi par le cocontractant du fait de la faute constituée par l’illégalité entachant le marché, y compris, le cas échéant, la privation du bénéfice que le cocontractant escomptait de l’exécution du marché » (CE, 8 décembre 1995, Commune de St Tropez, rec., p. 431)… sans prise en compte des clauses, nulles, dudit contrat (CAA Bordeaux, 28 avril 1997, Communes d’Alès, rec. T. p. 934). Et en intégrant qu’il n’est pas rare que le juge considère que le partenaire privé a commis une faute en acceptant d’exécuter un contrat dont « il ne pouvait ignorer l’illégalité » (CE, 13 juillet 1968, Stoskop, rec. p. 460), au regard notamment de ses connaissances et capacités juridiques (CE, 29 octobre 1986, Ville de Beauchamp, n°55.067 ; CE, 9 décembre 1988, Centre hosp. de Lons-le-Saunier, RDP 1989, p. 1797).

 

MAIS cet arrêt vaut aussi « recadrage » de la jurisprudence en ce domaine, non sans nouveauté ni étrangeté. En effet :

 

  • 1/ le Conseil d’Etat a censuré le fait que la CAA avait

« examiné séparément le contenu de chacun des chefs de préjudice pris en compte dans l’accord transactionnel et [avait] apprécié pour chacun d’eux, pris isolément , si les indemnités négociées n’étaient pas manifestement disproportionnées »

A la place, le Conseil d’Etat impose un principe, celui de l’analyse globale des concessions réciproques, car selon les magistrats du Palais Royal :

« les concessions réciproques consenties par les parties dans le cadre d’une transaction doivent être appréciées de manière globale ».

 

Nous avouons peiner à tout comprendre. En quoi une vision globale diffèrerait d’une analyse préjudice par préjudice ? Une transaction qui ne dissèquerait pas chaque préjudice serait-elle légale ? On se doute que non.

 

  • 2/ réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat pose que :
    • « la rupture unilatérale, par la personne publique, pour un motif d’intérêt général, des négociations préalables à la passation d’un contrat n’est pas de nature à engager la responsabilité pour faute ». C’est une confirmation.
    • « cette responsabilité peut toutefois, être mise en cause lorsque la personne publique, au cours des négociations, a incité son partenaire à engager des dépenses en lui donnant à tort, l’assurance qu’un tel contrat serait signé, sous réserve que ce dernier n’ait pu légitimement ignorer le risque auquel il s’exposait ; qu’en revanche, alors même qu’une telle assurance aurait été donnée, elle ne peut créer aucun droit à la conclusion du contrat ; ». Il s’agit là encore d’une confirmation, logique mais bienvenue (voir par exemple CAA Paris 13/6/89 Association Pro Arte, n° 89PA00086).
    • «  que la perte du bénéfice que le partenaire pressenti escomptait de l’opération ne saurait, dans cette hypothèse, constituer un préjudice indemnisable» (et sur ce point se confirme une distinction : il y a indemnisation pour la perte de bénéfice en cas d’annulation ou de résiliation d’un contrat mais pas en cas de perte de chance pour la signature, non intervenue, d’un contrat même s’il nous semble que sur ce dernier point la jurisprudence n’est pas encore stabilisée. Cet arrêt — et d’autres antérieurs — va dans ce sens mais un texte plus clair aurait été le bienvenu).

 

 

N.B. : il est à rappeler qu’il est parfois utile de prévoir l’homologation de la transaction par le juge administratif pour avoir, entre les parties, « l’autorité de la chose jugée » (arrêt Mergui précité) et pour éviter toute difficulté (avec le comptable public, la presse…). Mais, l’homologation de la transaction n’est pas une condition de sa validité (CE, 30 octobre 1974, Cne de Saint-Pierre les Bois, RDP 1975 p. 309). Les conditions de cette homologation sont souples (CE, Avis contentieux, Ass., 6/12/02, Synd. interc. des éts du 2nd degré du district de l’Hay-les-Roses, n° 249153). Il faut donc décider à chaque fois de savoir si on en passe par l’homologation ou non, mais aussi définir si la transaction entre en vigueur à compter de sa signature ou de son homologation (à apprécier au cas par cas). 

 

 

N.B. 2 : arrêt signalé et diffusé avant que de l’être par le CE, par FilDroitPublic

 

Voici cet arrêt  (CE, 9 décembre 2016, Sté Foncière Europe, n° 391840, à publier aux tables du rec.) :

 

ce-9-dcembre-2016-socit-foncire-europe-n-391840