Gestion durable des forêts : l’ONF ne peut pas légalement refuser d’adopter un règlement-type de gestion correspondant à une catégorie de bois et forêts communaux

 

Une commune avait engagé un recours contentieux devant le Conseil d’État tendant à obtenir :

  • l’annulation pour excès de pouvoir de deux décisions :
    • la décision par laquelle le directeur général de l’Office national des forêts (ONF) avait rejeté sa demande tendant à ce que l’ONF adopte et propose à l’approbation du ministre chargé des forêts un projet de règlement-type de gestion correspondant à la catégorie de bois et forêts dont relèvent ceux de la commune ;
    • la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre chargé des forêts à ce même sujet ;
  • l’injonction faite à l’ONF de prendre un tel acte.

 

L’argument de la commune n’était pas illogique.

Selon l’article L. 124-1, 4° du code forestier, des bois appartenant à une collectivité publique « sans relever du I de l’article L. 211-1 » sont réputés présenter des garanties de gestion durable s’ils sont gérés conformément à un règlement type de gestion.

La question posée était dès lors délicate à trancher : ces dispositions sont-elles applicables à des bois communaux qui, étant susceptibles d’exploitation régulière, ont vocation à être soumis au régime forestier prévu à l’article L. 211-1 mais auxquels ce régime n’a pas été rendu applicable par une décision de l’autorité compétente de l’État ?

Que disent les textes ?

Aux termes de l’article L. 211-1 du code forestier :

 » I. – Relèvent du régime forestier, constitué des dispositions du présent livre, et sont administrés conformément à celui-ci : / (…) / 2° Les bois et forêts susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution qui appartiennent aux collectivités et personnes morales suivantes, ou sur lesquels elles ont des droits de propriété indivis, et auxquels ce régime a été rendu applicable dans les conditions prévues à l’article L . 214-3 : / a) (…) les communes (…)  » ;

Trois critères cumulatifs donc pour ces bois et forêts :

  • appartenir à une collectivité ou à certaines personnes morales (éventuellement via une indivision)
  • être susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution
  • qu’il y ait eu application du régime dans les conditions prévues par l’article L. 214-3 du code forestier

 

Pour ce dernier critère, voyons cet article L. 214-3

 » Dans les bois et forêts des collectivités territoriales et des autres personnes morales mentionnées au 2° du I de l’article L. 211-1 susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution, l’application du régime forestier est prononcée par l’autorité administrative compétente de l’État, après avis de la collectivité ou de la personne morale intéressée. En cas de désaccord, la décision est prise par arrêté du ministre chargé des forêts «  ;

 

Tout ceci est à combiner avec les textes qui suivent :

3. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes du dernier alinéa de l’article L. 124-1 du code forestier, présentent des garanties de gestion durable, dès lors qu’ils disposent du document de gestion spécifique à leur situation, les bois et forêts :  » 4° Appartenant à des personnes publiques sans relever du I de l’article L. 211-1 et gérés conformément à un règlement type de gestion agréé, que le propriétaire s’est engagé à appliquer pour une durée et selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État  » ; qu’aux termes de l’article R. 124-2 du même code :  » Les bois et forêts appartenant à des personnes publiques et ne relevant pas du régime forestier, mentionnés au dernier alinéa de l’article L. 124-1, présentent une garantie de gestion durable lorsqu’ils sont gérés : / 1° Conformément au règlement-type de gestion agréé mentionné au deuxième alinéa de l’article D. 212-10, correspondant à la catégorie de bois et forêts dont ils relèvent dans le ressort de la directive régionale d’aménagement ou du schéma régional d’aménagement applicable dans la région où ils sont situés ; / 2° Soit par l’Office national des forêts, selon les modalités prévues pour les bois et forêts des particuliers aux articles D. 315-1 à D. 315-7, soit par un organisme de gestion en commun des forêts ou un expert forestier mentionnés à l’article L. 313-2, soit par un gestionnaire forestier professionnel répondant aux conditions mentionnées à l’article L. 315-1 ; dans chaque cas, le contrat doit être d’une durée au moins égale à dix ans  » ; qu’aux termes du second alinéa de l’article D. 212-10 du même code, l’ONF propose à l’approbation du ministre chargé des forêts  » pour chaque catégorie de bois et forêts dans le ressort d’une directive régionale d’aménagement ou d’un schéma régional d’aménagement, un projet de règlement type de gestion conforme à cette directive ou à ce schéma  » ;

Mais relever de ce régime permet un allégement juridique et une optimisation financière :

« 4. Considérant, en dernier lieu, que, dans les bois et forêts ne présentant pas de garanties de gestion durable, les coupes d’arbres sont soumises à autorisation dans les conditions prévues à l’article L. 124-5 du code forestier ; qu’en vertu de l’article L. 121-6 du même code, seuls les bois et forêts pour lesquels il existe un des documents de gestion mentionnés aux articles L. 124-1 et L. 124-2 du même code peuvent prétendre au bénéfice des aides publiques destinées à la mise en valeur et à la protection des bois et forêts ; que, toutefois, aux termes de l’article D. 156-6 de ce code :  » Les collectivités et personnes morales mentionnées au 2° du I de l’article L. 211-1 ne peuvent bénéficier d’aides publiques attribuées par l’État ou pour son compte que si le régime forestier est appliqué à leurs bois et forêts susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution…  » ; »

Tout d’abord, le Conseil d’Etat commence par hiérarchiser et combiner ces textes en estimant, ce qui est peu contestable, que ces textes conduisent à une vraie alternative :

  1. soit en vertu des trois critères susmentionnés il y a application de ce régime ;
  2. soit ledit régime s’applique si les bois et forêts sont gérés selon un règlement type de l’ONF :

 

Ou comme le pose le Conseil d’Etat :

« 5. Considérant qu’il résulte des termes mêmes de l’article L. 211-1 du code forestier cité au point 2 que les bois et forêts susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution appartenant aux communes doivent, pour relever du régime forestier, au sens de cet article, avoir fait l’objet d’une décision de l’autorité administrative compétente de l’État prononçant l’application de ce régime dans les conditions définies à l’article L. 214-3 du même code ; qu’il résulte des dispositions citées au point 3 que, lorsque, faute d’avoir fait l’objet d’une telle décision, ces bois et forêts ne relèvent pas du régime forestier, ils présentent des garanties de gestion durable s’ils sont gérés conformément à un règlement type de gestion élaboré par l’ONF et approuvé par le ministre chargé des forêts ; que si, selon l’article D. 156-6 cité au point 4, la commune ne peut prétendre aux aides publiques attribuées par l’État ou pour son compte que si le régime forestier a été rendu applicable à ces bois et forêts, le fait que ceux-ci présentent des garanties de gestion durable a notamment pour effet de les dispenser d’obtenir l’autorisation de coupe d’arbres prévue à l’article L. 124-5 du code forestier ;

Faute pour les bois de cette commune qu’une décision administrative ait été prise, la commune se trouvait selon le CE dans la seconde de ces hypothèses. Dès lors elle était fondée à se plaindre qu’aucun règlement de l’ONF n’ait été adopté lui permettait de se prévaloir de ce régime ou de tenter, techniquement, de s’en prévaloir :

6. Considérant qu’il est constant que les bois et forêts de la commune requérante sont susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution mais n’ont pas fait l’objet d’une décision administrative prise sur le fondement de l’article L. 214-3 du code forestier ; qu’en conséquence, ils ne peuvent présenter de garanties de gestion durable que s’ils sont gérés conformément à un règlement type de gestion édicté sur le fondement du neuvième alinéa de l’article L. 124-1 du code forestier ; que, par suite, contrairement à ce que soutient l’ONF, la commune requérante justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation des décisions rejetant sa demande tendant à l’adoption d’un règlement type de gestion ; »

Sur la légalité des décisions attaquées :

7. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 124-1, du 2° de l’article R. 124-2 et de l’article D. 212-10 du code forestier qu’il incombe à l’ONF de proposer à l’approbation du ministre chargé des forêts, dans le ressort de chaque directive régionale ou schéma régional d’aménagement, un projet de règlement type de gestion pour chaque catégorie de bois et forêts appartenant à des personnes publiques et auxquels le régime forestier n’a pas été rendu applicable ; qu’il suit de là qu‘en refusant, respectivement, d’élaborer et d’approuver un règlement type de gestion pour la ou les catégories dont relèvent les bois et forêts de la commune requérante, auxquels, ainsi qu’il a été dit, le régime forestier n’a pas été rendu applicable, l’ONF et le ministre ont méconnu ces dispositions législatives et réglementaires ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de sa requête, la commune requérante est fondée à demander l’annulation des décisions du directeur général de l’ONF du 5 septembre 2016 et du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt du 20 janvier 2017 ;

 

Il était donc illégal pour l’ONF de ne pas prévoir de règlement type propre aux catégories de bois et de forêts de cette commune.

Voir CE, S., 21 décembre 2018, n° 4049112, à publier au rec. 

404912

 

Autrement posé, l’ONF ne peut laisser les communes dans le brouillard, sans texte, et donc sans labellisation possible :

 

 

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