Les Don Quichotte luttant, même indirectement, contre l’éolien en mer, ont bien tous RDV au Palais Royal

Le Conseil d’Etat vient de confirmer la grande extension de sa compétence, en 1er et dernier ressort, s’agissant de l’éolien en mer (et autres productions d’énergie renouvelable en mer — avec usage des marées ou courants marins).

La Haute Assemblée est ainsi compétente en cas de contestation par un tiers du refus d’enjoindre à un exploitant de parc éolien en mer de solliciter une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées.


 

 

Il s’agissait d’une demande globale d’accélération émise fin 2019 par le Président de la République en faveur de l’éolien en mer (et autres productions d’énergie renouvelable en mer — avec usage des marées ou courants marins), et cela en passant par un raccourcissement des délais contentieux :

… ce qui a été prévu ensuite par la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), qui a créé l’article L. 311-13 du CJA en ce sens :

«Le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours juridictionnels formés contre les décisions relatives aux installations de production d’énergie renouvelable en mer ainsi qu’à leurs ouvrages connexes, aux ouvrages des réseaux publics d’électricité afférents et aux infrastructures portuaires rendues nécessaires pour la construction, le stockage, le pré-assemblage, l’exploitation et la maintenance de ces installations et ouvrages. La liste de ces décisions est fixée par décret en Conseil d’Etat. »

Cela fut suivi par la promulgation du décret n° 2021-282 du 12 mars 2021 portant application de l’article L. 311-13 du code de justice administrative (NOR : JUSC2101201D). Voir notre article :

Cela n’était qu’une accélération supplémentaire, après le regroupement dans un premier temps de ces contentieux devant la CAA de Nantes (avec quelques « queues de contentieux » qui continuèrent d’en relever) :

 

Cette compétence dévolue au Conseil d’Etat s’apprécie excessivement.

A l’été 2023, le Conseil d’Etat posait déjà l’équation suivante

  • Projet privé
  • + débat public
  • = contentieux administratif (avec même une compétence directe du CE s’il s’agit d’éolien en mer)

Il précisait notamment que :

  • « le juge administratif est  bien compétent pour connaître du recours formé contre l’acte par lequel un maître d’ouvrage privé décide, en application de l’article L. 121-13 du code de l’environnement, du principe et des conditions de la poursuite d’un projet ayant été soumis à débat public.»(solution implicite qui n’allait pas de soi)
  • « le Conseil d’Etat est bien compétent pour connaître en premier et dernier ressort du recours pour excès de pouvoir (REP) formé contre l’acte par lequel un maître d’ouvrage décide, en application de l’article L. 121-13 du code de l’environnement, du principe et des conditions de la poursuite du projet d’implantation d’un parc éolien en mer ayant fait l’objet d’un débat public, alors même qu’une telle décision ne figure pas parmi la liste des décisions relatives aux ouvrages de production et de transport d’énergie renouvelable en mer dressée à l’article R. 311-1-1 du code de justice administrative (CJA). »(ce qui fait donc un vrai bloc de compétence au profit du CE, quitte à interpréter largement les formulations textuelles, ce qui est assez conforme aux habitudes du Conseil en de tels domaines).

 

Source : Conseil d’État, 10 juillet 2023, n° 457659, aux tables du recueil Lebon

 

Cette interprétation extensive de la compétence du Conseil d’Etat vient d’être confirmée par une autre décision.

La Haute Assemblée vient ainsi de s’estimer compétente en cas de contestation par un tiers du refus d’enjoindre à un exploitant de parc éolien en mer de solliciter une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées.

Avec le futur résumé des tables ainsi, en partie, formulé :

« Le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort d’un litige relatif au refus du préfet de mettre en oeuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, en mettant en demeure l’exploitant d’un parc éolien en mer de régulariser sa situation par le dépôt de la demande de dérogation requise au titre de l’article L. 411-2 du code de l’environnement dans un délai déterminé et, le cas échéant, en édictant des mesures conservatoires jusqu’à ce qu’il ait été statué sur cette demande.»

En l’espèce, nous avions affaire à une association ayant demandé au préfet de mettre en oeuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, pour mettre en demeure un exploitant d’un parc éolien en mer de régulariser sa situation par le dépôt de la demande de dérogation requise au titre de l’article L. 411-2 du code de l’environnement dans un délai déterminé et, le cas échéant, pour édicter des mesures conservatoires jusqu’à ce qu’il ait été statué sur cette demande.

Puis cette association a contesté la implicite par laquelle le préfet avait rejeté sa demande.

Le Préfet avait délivré une dérogation à l’interdiction stricte de perturbation, destruction et altération d’aires de repos d’espèces animales, sollicitée par l’exploitant en cours d’instance.

Le Conseil d’Etat a :

  • donc implicitement estimé qu’il était compétent
  • sur le fond, il a jugé que :
    • les conclusions dirigées contre le refus du préfet d’enjoindre à l’exploitant de déposer une demande de dérogation au titre de l’article L. 411-2 du code de l’environnement étaient devenues sans objet.
    • l’article L. 171 7 du code de l’environnement confère au préfet le pouvoir de suspendre la poursuite de travaux réalisés sans une autorisation requise par ce code jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la demande relative à cette autorisation. Mais… dès lors que l’autorisation au titre de l’article L. 411-2 de ce code a été accordée, les conclusions dirigées contre le refus du préfet de suspendre la poursuite des travaux de construction du parc éolien jusqu’à ce qu’il ait été statué sur cette demande sont devenues sans objet.

 

Source :

Conseil d’État, 30 avril 2024, n° 468297, aux tables du recueil Lebon