ONIAM : 6 mois de jurisprudence

C’est sur notre blog dédié aux mondes du sanitaire et du social que nous développons le plus nos analyses des jurisprudences concernant ce domaine, y compris bien sûr celles relatives à l’ONIAM. Voir :

 

Mais voici une petite sélection de jurisprudences très récentes à ce sujet, qui seront exposées à la suite d’un petit rappel sur ce qu’est l’ONIAM.

 

I. Rappels sur ce qu’est l’ONIAM

 

L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est un établissement public à peu près unique en son genre dans le monde car la France a décidé d’indemniser l’aléa médical (au delà de l’indemnisation courante dans le monde, bien sûr, des fautes médicales et des fautes de soin).

L’ONIAM a donc été créé par l’article 98 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

L’article L. 1142-22 du code de la santé publique (CSP) dispose que l’ONIAM « est un établissement public à caractère administratif de l’Etat, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé ».

Concrètement, l’ONIAM assure l’indemnisation des dommages occasionnés par (art. L. 1142-22 du CSP) :

  • une affection iatrogène (effet secondaire lié à un traitement médical ; mais il n’y a, à ce stade, action de l’ONIAM qu’en cas d’accident non fautif, résultant d’un aléa médical) ;
  • une infection nosocomiale (infection contractée dans un établissement de santé ; là encore hors comportements fautifs), lorsque le taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique s’avère supérieur à 25 % (art. L. 11421-1 du CSP) ;
  • un accident médical ou des dommages, imputables à une activité de recherche biomédicale (là encore.

Pour schématiser, l’ONIAM n’intervient pas en cas de faute du responsable de santé, mais uniquement en cas d’accident ou d’aléa.

Très souvent, l’ONIAM se retrouvera en charge de contentieux devant le juge judiciaire et/ou devant le juge administratif (notamment lorsqu’il s’agit d’obtenir des assureurs qu’ils payent pour les fautes médicales ou qu’il s’agit de ne pas indemniser en l’absence d’aléa médical).

 

II. Jurisprudences récentes

 

 

II.A. Action en garantie de l’ONIAM contre les assureurs des structures de transfusion sanguine reprise par l’EFS : quel est le juge compétent ?

 

Le 9 mai 2019, le Conseil d’Etat a estimé que, pour l’action en garantie de l’ONIAM contre les assureurs des structures de transfusion sanguine reprise par l’EFS, la compétence juridictionnelle relèvera du juge administratif ou du juge judiciaire selon que la nature du contrat d’assurances est de droit privé ou public :

« Si ce contrat est de droit privé, la juridiction judiciaire est compétente pour connaître d’une telle action. S’il présente le caractère d’un contrat administratif, par application de l’article 2 de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier et de l’article 29 du code des marchés publics, l’action en garantie de l’ONIAM doit être portée devant la juridiction administrative »

.. compétence qui s’étend alors pour connaître de l’opposition formée par l’assureur contre le titre exécutoire émis par l’ONIAM.

Ce qui est logique.

Source : CE, 9 mai 2019, n° 426365, à publier aux tables du rec. 

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/analyse/2019-05-09/426365

 

Voir :

 

 

II.B. Un avis contentieux important sur les titres exécutoires de l’ONIAM

 

Par une décision (avis contentieux) à publier en intégral au recueil Lebon, le Conseil d’Etat a posé le 9 mai 2019 que l’ONIAM PEUT, en vue du recouvrement des sommes versées aux victimes, ALTERNATIVEMENT MAIS NON CUMULATIVEMENT :

  • SOIT saisir le juge administratif. Auquel cas à l’issue du contentieux le paiement pourra se faire :
    • soit par titre de recettes une fois la décision de Justice rendue
    • soit par les comptes CARPA des avocats . Voir ci-après II.C.
  • SOIT émettre un titre exécutoire (mais le cumul de ces deux solutions lui est interdit).Avec une précision : lorsque l’ONIAM a émis un titre exécutoire en vue du recouvrement de la somme versée à la victime en application de l’article L. 1142-15 du code de la santé publique (CSP), le recours du débiteur (opposition — suspensive — à titre de recettes) tendant à la décharge de la somme ainsi mise à sa charge invite le juge administratif à se prononcer sur la responsabilité du débiteur à l’égard de la victime aux droits de laquelle l’office est subrogé, ainsi que sur le montant de son préjudice.

    Par suite, il résulte de l’article R. 312-14 du code de justice administrative (CJA) que le tribunal administratif territorialement compétent pour connaître d’une telle demande est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu où s’est produit le fait générateur du dommage subi par la victime.

 

Il s’agit bien de deux solutions alternatives et non cumulatives : l’ONIAM peut soit émettre un titre exécutoire à l’encontre de la personne responsable du dommage, de son assureur ou du fonds institué à l’article L. 426-1 du code des assurances, soit saisir la juridiction compétente d’une requête à cette fin.

Conséquence de ce qu’il s’agit d’une alternative : l’office n’est pas recevable à saisir le juge d’une requête tendant à la condamnation du débiteur au remboursement de l’indemnité versée à la victime lorsqu’il a, préalablement à cette saisine, émis un titre exécutoire en vue de recouvrer la somme en litige. Réciproquement, il ne peut légalement émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement forcé de sa créance s’il a déjà saisi le juge ou s’il le saisit concomitamment à l’émission du titre.

Ces règles d’articulation ne trouvent à s’appliquer que lorsqu’est en cause la même créance de l’ONIAM sur le responsable du dommage ou son assureur. Lorsque l’office, après avoir indemnisé la victime, l’indemnise à nouveau en raison d’une aggravation de son état de santé, les créances nées de ces deux indemnisations successives sont distinctes et l’office n’est pas tenu, s’agissant de la deuxième créance, de suivre la même voie procédurale que celle qu’il a retenue pour la première créance.

 

A NOTER : en revanche, l’ONIAM NE PEUT PAS émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement de la pénalité prévue à l’article L. 1142-15 du Code de la santé publique (pénalité prévue à cet article en cas de silence ou de refus de l’assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n’est pas assuré). Une telle pénalité ne peut être prononcée que par le juge. L’ONIAM ne peut donc, en l’état des dispositions applicables, émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement de cette pénalité et doit, s’il entend qu’elle soit infligée, saisir la juridiction compétente d’une demande tendant au prononcé de la pénalité contre, selon le cas, l’assureur ou le responsable des dommages.

 

Source : CE, 9 mai 2019, n° 426321

Voir :

 

 

II.C. L’ONIAM peut bien utiliser ses avocats, via les comptes CARPA, pour récupérer des sommes dues après un procès ou une transaction (un arrêt libérateur pour toutes les personnes publiques…)

 

Sommes à recouvrer par des collectivités publiques ensuite de contentieux ou de transaction : faut-il émettre un titre exécutoire ? ou est-il possible (sans commettre de gestion de fait) de passer par les comptes CARPA entre avocats ?

Réponse de la Cour des comptes, dans le cas de l’ONIAM : manier des fonds entre avocats (compte CARPA) pour des personnes publiques n’est, finalement, pas une gestion de fait (ni pour les avocats, ni pour les agents de ces personnes publiques)…

Voir pour une analyse bien plus détaillée :

 

II.D. Effet suspensif des oppositions à titres de recettes.

 

A l’occasion d’un litige entre l’ONIAM et la Société hospitalière d’assurances mutuelles, le Conseil d’Etat confirme l’effet suspensif des oppositions à titres de recettes (ce qui était parfois débattu).

L’opposition à titre exécutoire continue donc d’avoir un effet suspensif (effet qui relève d’un principe général du droit) en dépit de la formulation de l’article L. 4 du code de justice administrative tel qu’issu de l’ordonnance du 4 mai 2000.

Source : CE, 3 avril 2019, n° 425803. 

Voir :

 

 

II.E. ONIAM et probabilité faible du dommage médical

 

M.C… a subi en 2011, en CHU, une intervention en vue de remplacer le défibrillateur cardiaque implantable dont il était porteur. Après son retour à son domicile, il a été victime d’un accident vasculaire cérébral. Il est resté atteint d’une hémiplégie droite massive, d’un déficit facial droit, d’aphasie et de troubles de la compréhension entraînant un déficit fonctionnel évalué à 90 %.

Estimant que ces dommages étaient liées aux conditions de sa prise en charge au CHU de Caen, M. C…a, après le rejet par celui-ci d’une demande préalable d’indemnisation, saisi le tribunal administratif de Caen.

Le tribunal administratif a condamné l’établissement à lui verser la somme de 247 445 euros et à verser à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Manche la somme de 69 676,97 euros.

La cour administrative d’appel de Nantes, au vu des conclusions d’une nouvelle expertise, a :

  • annulé ce jugement,
  • rejeté les demandes indemnitaires dirigées contre le CHU
  • et, estimant que les conditions d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale sur le fondement du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique n’étaient pas remplies, mis hors de cause l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).

 

D’où la question, à hauteur de cassation, désormais classique : erreur ou aléa ? responsabilité pour faute ou solidarité nationale ?

Aux termes du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige (mais le principe reste le même) :

« Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire »

L’article D. 1142-1 du même code définit le seuil de gravité prévu par ces dispositions législatives.

Le Conseil d’Etat commence par rappeler qu’il résulte de ces dispositions que l’ONIAM :

« doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu’ils présentent un caractère d’anormalité au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de cet état. »

Certes. Et le CE pose alors avec une formulation millimétrée (et classique ; formulation que l’on retrouve dans l’arrêt Conseil d’État, 15 octobre 2018, n°409585 ; voir aussi avant Conseil d’Etat, 12 décembre 2014, n°355052 et 365211… ), que :

« La condition d’anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement. Lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l’état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l’origine du dommage. »

 

Il s’agit d’une reprise pour l’essentiel de la jurisprudence désormais classique en ce domaine (Citons le résumé de l’arrêt de 2015 au rec. :

« Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès. »

 

 

Mais on le voit, la formulation diffère de celle de 2015 sur divers points, qui ne résultent cependant que des nouvelles formulations des arrêts du  CE avec l’abandon des « considérants » (voir, à ce sujet, ici), tant qu’on en reste aux principes. Sur l’appréciation d’une faible probabilité, en revanche, notons les apports de ce nouvel arrêt. Voir :

CE, 15 octobre 2018, n°409585 CE, 4 février 2019, n° 413247
(simples évolutions dues aux nouvelles rédactions des arrêts du CE)
Commentaires
l’ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu’ils présentent un caractère d’anormalité au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de cet état ; Il résulte de ces dispositions que l’ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu’ils présentent un caractère d’anormalité au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de cet état.  Critère d’anormalité
que la condition d’anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ; La condition d’anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement. Définition de cette anormalité – présomption d’anormalité selon le critère de conséquences notablement plus graves que celles auxquelles étaient, de manière suffisamment probable, exposés les patients faute de traitement
que, lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; Lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Inversement, si les conséquences ne sont pas notablement pires qu’une absence de traitement, pas d’anormalité (et donc pas d’intervention de l’ONIAM) « sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. »
qu’ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l’état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l’origine du dommage ; Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l’état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l’origine du dommage. Pas d’anormalité si la gravité de l’état du patient conduisait à pratiquer un acte risqué
 Considérant que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ; que, pour juger que la survenance du dommage subi par M. A… ne présentait pas une probabilité faible, la cour administrative d’appel de Lyon s’est fondée sur la circonstance que l’intéressé se trouvait exposé, compte tenu de l’intervention chirurgicale pratiquée, à un risque d’hémorragie présentant une probabilité de 20 % ; qu’en se fondant sur la probabilité générale de subir une hémorragie lors d’une telle intervention, au lieu de se fonder sur le risque de survenue d’une hémorragie entraînant une invalidité grave ou un décès, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé ; Pour rejeter les conclusions tendant à l’indemnisation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale, la cour administrative d’appel a retenu que la survenance du dommage subi par M. C…ne présentait pas une probabilité faible au sens des règles énoncées au point précédent, dès lors qu’il résultait des indications données par l’expert que le risque d’un AVC lors du remplacement d’un défibrillateur chez un patient en fibrillation auriculaire non anti-coagulé, comme c’était le cas de l’intéressé, était de l’ordre de 3 %. En retenant qu’une telle probabilité n’était pas une probabilité faible, de nature à justifier la mise en oeuvre de la solidarité nationale, elle a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique.  Donc 3 % est une probabilité faible

et en 2015, il fallait prendre en compte non pas les risques d’hémorragie (20 %)… mais les risques d’hémorragie entraînant « une invalidité grave ou un décès » (logique)

 

ces deux arrêts ne sont donc pas contradictoires, mais complémentaires. Ce n’est pas 20 %¨dans un cas et 3 % dans l’autre, mais 20 % à tempérer pour avoir le vrai pourcentage susceptible d’entraîner une invalidité grave ou un décès dans un cas, et 3 % (de ce même risque grave, un AVC étant grave) d’autre part.

 

Ce qui est intéressant, mais non surprenant, c’est le fait qu’une risque (assumé en fait) de 3 % est une probabilité faible (d’où une mise en oeuvre de la solidarité nationale) :

« 11. Pour rejeter les conclusions tendant à l’indemnisation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale, la cour administrative d’appel a retenu que la survenance du dommage subi par M. C…ne présentait pas une probabilité faible au sens des règles énoncées au point précédent, dès lors qu’il résultait des indications données par l’expert que le risque d’un AVC lors du remplacement d’un défibrillateur chez un patient en fibrillation auriculaire non anti-coagulé, comme c’était le cas de l’intéressé, était de l’ordre de 3 %. En retenant qu’une telle probabilité n’était pas une probabilité faible, de nature à justifier la mise en oeuvre de la solidarité nationale, elle a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique.»

 

 

Source : CE, 4 février 2019, n° 413247.

 

Voir :

 

 

II.F. Produit sanguin, action en garantie de l’ONIAM et contrat d’assurances

 

Voir aussi ci-avant II.A.

 

M. X… , atteint d’hémophilie, a reçu, dès 1968, il y a donc 50 ans, un grand nombre de produits sanguins provenant du centre de transfusion sanguine du Mans (le CTS du Mans) et du centre régional de transfusion sanguine de Nantes (le CRTS de Nantes).

Ayant appris, en 1991, qu’il était contaminé par le virus de l’hépatite C, il a assigné en responsabilité et indemnisation, devant la juridiction administrative, l’Etablissement français du sang (EFS), venu aux droits de ces centres, l’ONIAM venant ensuite se substituer à l’EFS.

L’ONIAM a « récupéré » dans le cadre de cette substitution le fait que l’EFS avait appelé (logiquement) en garantie, devant la juridiction judiciaire, les assureurs du CTS et du CRTS. L’ONIAM n’a en effet pas vocation à payer pour ce qui relève soit de la faute médicale, soit de ce qui a été assuré par ailleurs.

Or, et c’est là qu’intervient un arrêt de la Cour de cassation : se posait la question de savoir si l’action en garantie de l’ONIAM pouvait s’exercer contre l’assureur… même si la contamination s’était produite hors la période de validité du contrat d’assurances.

Logiquement, la Cour de cassation répond par la négative à cette question. Celle-ci pose :

« qu’il résulte des articles 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 et 72 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, que le législateur a confié à l’ONIAM et non plus à l’EFS, venant aux droits et obligations des établissements de transfusion sanguine, la mission d’indemniser les victimes de contaminations transfusionnelles, sans modifier le régime de responsabilité auquel ces derniers ont été soumis, et a donné à l’ONIAM la possibilité de demander à être garanti des sommes versées aux victimes de dommages et, le cas échéant, aux tiers payeurs par les assureurs de ces structures, de sorte que, hors les hypothèses dans lesquelles la couverture d’assurances est épuisée, le délai de validité de la couverture est expiré ou les assureurs peuvent se prévaloir de la prescription, leur garantie est due à l’ONIAM, lorsque l’origine transfusionnelle d’une contamination est admise, que l’établissement de transfusion sanguine qu’ils assurent a fourni au moins un produit administré à la victime et que la preuve que ce produit n’était pas contaminé n’a pu être rapportée ; que, cependant, une telle garantie ne peut être mobilisée qu’à la condition préalable qu’il soit établi que le fait dommageable, constitué par la contamination, s’est produit pendant la période de validité du contrat d’assurance ».

 

Donc, les assureurs peuvent se prévaloir de la prescription :

  • dans les hypothèses dans lesquelles la couverture d’assurances est épuisée,
  • ou si le délai de validité de la couverture est expiré

 

A défaut, leur garantie assurantielle est due à l’ONIAM sous les conditions suivantes :

  • l’origine transfusionnelle d’une contamination doit être admise,
  • l’établissement de transfusion sanguine qu’ils assurent doit avoir fourni au moins un produit administré à la victime
  • la preuve que ce produit n’était pas contaminé doit ne pas avoir pu être rapportée

Cependant, et c’est le point à retenir, « une telle garantie ne peut être mobilisée qu’à la condition préalable qu’il soit établi que le fait dommageable, constitué par la contamination, s’est produit pendant la période de validité du contrat d’assurance »… avec donc (au contraire de ce qui se passe sur la contamination ou non du produit sanguin…) un problème de charge de la preuve puisqu’il doit titre établi que le fait dommageable s’est produit pendant la durée du contrat d’assurances, ce qui pour les personnes contaminées dans la durée et non immédiatement diagnostiquées sera problématique. 

 

Source : Cass. civ. 1e, 9 janvier 2019, req. 18-12.906.

 

Voir :

 

II.G. L’ONIAM peut engager une action récursoire pour la 1e fois en appel (sous conditions)

 

L’article L. 1142-21 du code de la santé publique (CSP) dispose que :

« I. – Lorsque la juridiction compétente, saisie d’une demande d’indemnisation des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé, estime que les dommages subis sont indemnisables au titre du II de l’article L. 1142-1 ou au titre de l’article L. 1142-1-1, l’office est appelé en la cause s’il ne l’avait pas été initialement. Il devient défendeur en la procédure.

« Lorsqu’il résulte de la décision du juge que l’office indemnise la victime ou ses ayants droit au titre de l’article L. 1142-1-1, celui-ci ne peut exercer une action récursoire contre le professionnel, l’établissement de santé, le service ou l’organisme concerné ou son assureur, sauf en cas de faute établie à l’origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. L’office signale sans délai l’infection nosocomiale au directeur général de l’agence régionale de santé.

« II. – Lorsque la juridiction compétente, saisie d’une demande d’indemnisation des conséquences dommageables de l’aggravation d’une infection nosocomiale, estime que les dommages subis sont indemnisables au titre du 1° de l’article L. 1142-1-1, l’office est appelé en la cause et rembourse à l’assureur, le cas échéant, les indemnités initialement versées à la victime.

« III. – Lorsque la juridiction compétente, saisie d’une demande d’indemnisation des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé, estime que les dommages sont imputables à un professionnel de santé libéral au titre du I de l’article L. 1142-1 du présent code et que l’indemnisation dépasse les plafonds de garantie des contrats d’assurance de ce professionnel ou que le délai de validité de la couverture du contrat d’assurance mentionné au cinquième alinéa de l’article L. 251-2 du code des assurances est expiré, le fonds institué à l’article L. 426-1 du même code est appelé en la cause s’il ne l’avait pas été initialement. Il devient défendeur en la procédure.»

 

De ce texte, le CE a déduit qu’existe une action récursoire à l’ONIAM lorsque :

  • le juge met à sa charge une indemnisation,
  • le litige devant les premiers juges portait à la fois sur la responsabilité pour faute de l’établissement hospitalier dans la prise en charge du patient et sur l’indemnisation de ses ayants droits par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale,
  • la faute d’un tiers finit donc par être établie (l’ONIAM avait donc indemnisé et
  • l’ONIAM, alors même qu’en première instance il s’est borné à solliciter le rejet des conclusions des ayants droits du patient dirigées à son encontre, est recevable à demander pour la première fois en appel que l’établissement le garantisse des sommes mises à sa charge par le jugement qu’il attaque.

Cette position du CE est assez logique. Un peu plus audacieuse est la conclusion qu’il en tire en posant que ce droit à action récursoire est aussi ouvert même si l’ONIAM en première instance « s’est borné à solliciter le rejet des conclusions des ayants droits du patient dirigées à son encontre ». En pareil cas, libre à l’ONIAM de demander pour la première fois en appel que l’établissement le garantisse des sommes mises à sa charge par le jugement qu’il attaque.

En l’espèce, un patient avait contracté, lors de sa prise en charge à l’hôpital, deux infections ayant contribué à la dégradation de son état général, dont une infection à staphylocoque qui a pour origine certaine l’ostéosynthèse destinée à réduire la fracture du col fémoral gauche provoquée par sa chute survenue dans cet établissement.

Les ayants droits du patient avaient mis en cause la responsabilité de l’établissement, en faisant valoir que l’infection à staphylocoque avait pour origine une faute dans la prise en charge.

 

Voici cet arrêt :

Conseil d’État, 5ème et 6ème chambres réunies, 20/12/2018, 415991

 

Voir :

 

II.H. Contentieux de l’ONIAM : le juge judiciaire libéré des questions préjudicielles vers le juge administratif dans certains cas

 

Le tribunal des conflits (TC) a eu une question intéressante à trancher : le juge judiciaire, saisi d’une action en garantie formée par l’ONIAM contre l’assureur d’un centre de transfusion sanguine, après qu’il eut indemnisé une victime contaminée par le virus de l’hépatite C au cours d’une transfusion, doit-il renvoyer au juge administratif une question préjudicielle pour établir au préalable la responsabilité de ce centre de transfusion dans la contamination ?

Le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre avait en effet sursis à statuer et renvoyé, par voie préjudicielle au juge administratif, la question de la responsabilité de l’Etablissement français du sang, venu aux droits et obligations du centre de transfusion.

NB : les propos qui suivent reprennent des parties du commentaire établi par le TC lui-même (nous n’avons que peu à y ajouter nous semble-t-il).

 

Après que la demande de l’ONIAM d’interjeter appel immédiat de l’ordonnance a été rejetée par le président de la cour d’appel, la Cour de cassation, saisie du pourvoi, a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de décider de la question de compétence, en application de l’article 35 du décret du 27 février 2015.

Or, l’article 67 de la loi du 17 décembre 2008 a chargé l’ONIAM d’indemniser les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l’hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang et prévu sa substitution à l’Etablissement français du sang dans les contentieux en cours relevant de ces préjudices.

En application de l’article 72 de la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, l’ONIAM peut, sous certaines conditions, demander à être garanti des sommes versées aux victimes et, le cas échéant, remboursées aux caisses, par les assureurs des structures qui ont été reprises par l’Etablissement français du sang.

Il appartient, en principe, aux juridictions judiciaires de connaître des actions tendant au paiement des sommes dues par un assureur, hors le cas où le contrat d’assurance présente un caractère administratif. Toutefois, le juge judiciaire saisi d’une action dirigée contre l’assureur par la victime d’un dommage causé par l’assuré doit poser une question préjudicielle au juge administratif si celui-ci est compétent pour apprécier la responsabilité de l’assuré.

Or, l’article 15 de l’ordonnance du 1er septembre 2005 a donné compétence à la juridiction administrative pour connaître des demandes d’indemnisation des contaminations transfusionnelles par le virus de l’hépatite C.

Le Tribunal des conflits a toutefois considéré que le législateur avait entendu, en adoptant l’article 72 précité, conférer à la juridiction compétente pour connaître de l’action de l’ONIAM contre l’assureur de l’établissement de transfusion sanguine plénitude de juridiction pour statuer sur l’ensemble des questions qui s’y rapportent, sans qu’y fasse obstacle les dispositions de l’article 15 de l’ordonnance du 1erseptembre 2005.

 

Par conséquent, le litige opposant l’ONIAM à l’assureur d’un centre de transfusion sanguine mis en cause dans la contamination transfusionnelle de la victime par le virus de l’hépatite C relève de la compétence du juge judiciaire sans que celui-ci n’ait à saisir le juge administratif d’une question préjudicielle s’agissant d’établir la responsabilité du centre.

 

En terme de facilité, de gestion des flux administratifs, on voit bien les motifs qui auront guidé la pensée des magistrats composant le TC. Mais il peut en résulter des risques assez nets de divergences de jurisprudence sur les questions de responsabilité entre ordres de juridiction portant pourtant sur les mêmes dysfonctionnements éventuels entre centres publics… ce qui est fâcheux. Cela dit, la mise en place, concrète, de réunions entre membres des ordres de juridiction sur ces questions, devenue courante sur ce point précis, devraient éviter que ces risques ne prennent trop d’ampleur.

 

Voici cette décision TC, 8 octobre 2018, Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales c/ Société Axa France IARD SA, n° 4133 :

oniam TC 8 10 2018

 

Voir :

 

 

II.I. Voir aussi quelques jurisprudences récentes sur l’indemnisation des infections nosocomiales