Droit souple : le juge de plus en plus dur

Par deux arrêts récents à publier en intégral au recueil Lebon, le Conseil d’Etat nous prouve que le droit souple entraine des effets de plus en plus durs, avec prise en compte des éléments médiatiques au delà des effets juridiques directs… 

Le Conseil d’Etat vient en effet de :

  • confirmer qu’une recommandation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est un acte susceptible de recours, et ce alors même qu’elle est, par elle-même, dépourvue d’effets juridiques,
  • poser que cette recommandation, prise par une autorité administrative, consultable sur internet et relayée par les associations de défense des consommateurs, a eu pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des fabricants et des distributeurs des produits en cause, ainsi que sur les comportements de consommation des personnes responsables de ces enfants, et est également de nature à produire des effets notables… et qu’il en résulte donc que l’annulation pour excès de pouvoir du refus d’abroger un tel acte implique que l’autorité compétente :
    • non seulement procède à l’abrogation de cet acte
    • mais aussi, eu égard à sa nature et à ses effets, en tire les conséquences pertinentes quant à la publicité qui lui est donnée. Le juge peut ainsi, par exemple, enjoindre à une telle autorité de mentionner qu’un acte de droit souple figurant sur son site a été abrogé.

 

Dans une autre affaire, concernant un tout autre domaine, la Haute Assemblée a tenu un raisonnement similaire : par l’avis attaqué, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), en tant qu’autorité de supervision nationale, avait déclaré se conformer aux orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail émises par l’Autorité bancaire européenne (ABE). Il résultait de l’instruction qu’alors même que les établissements financiers sont directement destinataires des orientations en cause, en application des paragraphes 6 et 11 des orientations sur les modalités de gouvernance et la surveillance des produits bancaires de détail adoptées par l’ABE le 22 mars 2016, et doivent tout mettre en oeuvre pour les respecter, en application du 3 de l’article 16 du règlement n° 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010, l’avis attaqué, qui n’était pas adressé à l’ABE mais aux établissements financiers soumis au contrôle de l’ACPR, avait pour objet et pour effet d’inciter ces établissements à modifier de manière significative leurs pratiques concernant la gouvernance et la surveillance des produits bancaires de détail. Dans ces circonstances, l’avis attaqué devait être regardé comme faisant grief à la Fédération bancaire française qui est recevable à en demander l’annulation. Donc là encore un acte de droit, si ce n’est souple, à tout le moins de droit incitatif, bascule-t-il dans le domaine des actes susceptibles de recours.

 

Voir dans le même sens :

 

Voici ces deux arrêts :

Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 04/12/2019, 416798, Publié au recueil Lebon

Références

Conseil d’État

N° 416798   
ECLI:FR:CECHR:2019:416798.20191204
Publié au recueil Lebon
1ère – 4ème chambres réunies
Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public

lecture du mercredi 4 décembre 2019

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 décembre 2017 et le 16 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la fédération des entreprises de la beauté demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 décembre 2017 par laquelle le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a implicitement rejeté sa demande du 6 octobre 2017 d’abroger la recommandation intitulée  » Concentration de phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques – point d’information  » ;

2°) d’enjoindre au directeur général de l’ANSM d’abroger cette recommandation et de la retirer du site Internet et de toutes les publications de l’ANSM, dans un délai d’une semaine à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le règlement (CE) n°1223/2009 du 30 novembre 2009 ;
– le code de santé publique ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L’article L. 5312-4 du code de santé publique prévoit que  » (…) dans tous les cas où l’intérêt de la santé publique l’exige les autorités sanitaires informent, si nécessaire, l’opinion publique et les professionnels de santé par tout moyen et notamment par la diffusion de messages sanitaires ou d’avis de rappel de produit sur tout support approprié « .

2. Il ressort des pièces du dossier que, sur le fondement de ces dispositions, par un  » point d’information  » consacré à la  » concentration de phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques « , publié sur son site internet à compter du 26 novembre 2012, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a présenté la synthèse d’un rapport d’évaluation du risque lié à l’exposition au phénoxyéthanol, en préconisant, pour les enfants de moins de trois ans, de ne pas utiliser le phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques destinés au siège et de restreindre sa concentration dans tous les autres types de produits à 0,4 %. Cette recommandation est depuis lors restée accessible sur ce site, complétée depuis le 7 décembre 2016 par une mise à jour faisant mention de l’avis rendu le 6 octobre 2016 par le comité scientifique européen pour la sécurité des consommateurs et renvoyant au site de la Commission européenne. La fédération des entreprises de la beauté doit être regardée comme demandant au Conseil d’Etat, d’une part, d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 décembre 2017 par laquelle le directeur général de l’agence a implicitement rejeté sa demande du 6 octobre 2017 d’abroger cette recommandation et de porter son abrogation à la connaissance du public et, d’autre part, d’enjoindre au directeur général de l’agence de l’abroger et de la retirer du site internet et de toutes les publications de l’agence.

3. Alors même qu’elle est, par elle-même, dépourvue d’effets juridiques, cette recommandation, prise par une autorité administrative, consultable sur internet et relayée par les associations de défense des consommateurs, a eu pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des fabricants et des distributeurs des produits cosmétiques destinés aux enfants de moins de trois ans, ainsi que sur les comportements de consommation des personnes responsables de ces enfants, et est également de nature à produire des effets notables. L’annulation pour excès de pouvoir du refus d’abroger un tel acte implique que l’autorité compétente non seulement procède à l’abrogation de cet acte mais aussi, eu égard à sa nature et à ses effets, en tire les conséquences pertinentes quant à la publicité qui lui est donnée.

4. Aux termes de son article premier, le règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques  » établit des règles auxquelles doit satisfaire tout produit cosmétique mis à disposition sur le marché, afin de garantir le fonctionnement du marché intérieur et d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine « . Ses considérants (4) et (36) précisent qu’il harmonise de manière exhaustive les règles en vigueur dans la Communauté et que les mesures prises par la Commission et les Etats membres concernant la protection de la santé humaine reposent sur le principe de précaution. Aux termes de son article 9 :  » Les États membres ne refusent pas, n’interdisent pas et ne restreignent pas, pour des raisons concernant les exigences contenues dans le présent règlement, la mise à disposition sur le marché des produits cosmétiques qui répondent aux prescriptions du présent règlement « . En vertu des dispositions combinées de l’article 14 et de l’annexe V de ce règlement, les produits cosmétiques ne peuvent contenir de phénoxyéthanol, classé comme agent conservateur au rang 29 de cette annexe, que si la concentration de cette substance dans le produit ne dépasse pas 1 %, sans autre restriction liée notamment à l’âge ou à la zone corporelle d’utilisation. Enfin, l’article 27 du même règlement comporte une  » clause de sauvegarde « , permettant aux autorités compétentes des Etats membres de prendre des mesures provisoires lorsqu’un produit cosmétique présente ou pourrait présenter un risque grave pour la santé humaine, sous réserve de communiquer immédiatement ces mesures à la Commission et de les abroger si la Commission ne les estime pas justifiées.

5. S’il ressort des pièces du dossier que la recommandation litigieuse n’a pas été adoptée par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé sur le fondement de l’article 27 du règlement du 30 novembre 2009, il en ressort également que, par une décision du 13 mars 2019, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a souhaité mettre en oeuvre la  » clause de sauvegarde  » instituée par cet article. Elle a, à ce titre, soumis, à titre conservatoire, la mise à disposition sur le marché des produits cosmétiques non rincés contenant du phénoxyéthanol, à l’exclusion des déodorants, des produits de coiffage et des produits de maquillage, à la mention sur leur étiquetage de ce que ces produits ne peuvent être utilisés sur le siège des enfants de 3 ans ou moins. Eu égard, d’une part, à l’objet et aux motifs de cette décision, par lesquels l’agence indique notamment se fonder sur les conclusions de l’évaluation menée par le comité scientifique spécialisé temporaire qu’elle a réuni en vue d’apprécier l’opportunité de maintenir sa recommandation antérieure, lequel a conclu à l’élargissement de cette recommandation aux produits cosmétiques utilisés sur le siège des enfants de trois ans ou moins même sans y être destinés et, au contraire, à son absence de maintien pour les autres produits cosmétiques destinés à ces enfants, et, d’autre part, au  » point d’information  » qui accompagne cette décision depuis sa publication sur le site internet de l’agence le 20 mars 2019, indiquant que, sur la base de cet avis, elle a pris à titre provisoire une décision de police sanitaire et que  » pour les autres produits destinés aux enfants de 3 ans ou moins, la concentration de 1 % en phénoxyéthanol est applicable, conformément au règlement européen relatif aux produits cosmétiques « , la décision du 13 mars 2019 doit être regardée comme constituant le dernier état des mesures prises par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé en cette matière et comme ayant ainsi remplacé, à compter de sa publication, la recommandation litigieuse par laquelle l’agence préconisait, pour les enfants de moins de trois ans, de ne pas utiliser le phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques destinés au siège et de restreindre sa concentration dans tous les autres types de produits à 0,4 %. Par suite, les conclusions de la requête à fin d’annulation de la décision attaquée en tant qu’elle refuse d’abroger cette recommandation et à fin d’injonction de l’abroger ont perdu leur objet. Il n’y a, par suite, pas lieu d’y statuer.

6. Toutefois, ainsi que la fédération requérante le fait valoir, il ressort des pièces du dossier que la recommandation litigieuse figure toujours sur le site internet de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, sans que cette mise en ligne s’accompagne de mentions permettant, lors de sa consultation, d’être informé qu’elle n’est plus en vigueur.

7. Dans ces conditions, il y a lieu d’annuler la décision attaquée en tant qu’elle refuse de prendre les mesures permettant de porter à la connaissance du public l’abrogation de la recommandation en litige et d’enjoindre à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, dans un délai de deux semaines à compter de la présente décision, sauf à ce qu’elle mette fin à la mise en ligne de cette recommandation, de prendre les mesures nécessaires pour l’accompagner de mentions propres à permettre, lors de sa consultation, d’être informé qu’elle n’est plus en vigueur. Il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

8. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre de mettre à la charge de l’Etat la somme que demande la fédération requérante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–

Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la fédération des entreprises de la beauté à fin d’annulation de la décision du directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 9 décembre 2017 en tant qu’elle refuse d’abroger la recommandation intitulée  » Concentration de phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques – point d’information  » et à fin d’injonction de l’abroger.
Article 2 : La décision du directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 9 décembre 2017 est annulée en tant qu’elle refuse de prendre les mesures permettant de porter à la connaissance du public l’abrogation de la recommandation intitulée  » Concentration de phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques – point d’information « .
Article 3 : Il est enjoint à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, dans un délai de deux semaines à compter de la présente décision, sauf à ce qu’elle mette fin à la mise en ligne de cette recommandation, de prendre les mesures nécessaires pour l’accompagner de mentions propres à permettre, lors de sa consultation, d’être informé qu’elle n’est plus en vigueur.
Article 4 : Les conclusions de la fédération des entreprises de la beauté présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la fédération des entreprises de la beauté et à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé et à la section du rapport et des études.

 

 

Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 04/12/2019, 415550, Publié au recueil Lebon

 

Conseil d’État

N° 415550
ECLI:FR:CECHR:2019:415550.20191204
Publié au recueil Lebon
9ème – 10ème chambres réunies
M. Aurélien Caron, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats

lecture du mercredi 4 décembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et trois autres mémoires, enregistrés les 8 novembre 2017, 8 février et 23 mai 2018, 18 février et 30 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Fédération bancaire française (FBF) demande au Conseil d’Etat, à titre principal, d’annuler pour excès de pouvoir l’avis du 8 septembre 2017 par lequel l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a déclaré se conformer aux orientations du 22 mars 2016 de l’Autorité bancaire européenne (ABE) sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail (ABE/GL/2015/18) et, à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le règlement (UE) n° 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 ;
– le règlement (UE) n° 1095/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 ;
– la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;
– la directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;
– la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
– la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 ;
– la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 ;
– l’arrêt du 22 octobre 1987 de la Cour de justice des Communautés européennes rendu dans l’affaire  » Foto-Frost contre Hauptzollamt Lübeck-Ost  » (314/85) ;
– l’arrêt du 25 juillet 2002 de la Cour de justice des Communautés européennes rendu dans l’affaire C-50/00  » Unión de Pequeños Agricultores  » ;
– l’arrêt du 20 février 2018 de la Cour de justice de l’Union européenne rendu dans l’affaire C-16/16 P  » Royaume de Belgique contre Commission européenne  » ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Aurélien Caron, auditeur,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de la Fédération bancaire française et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article 288 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :  » Pour exercer les compétences de l’Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis. / (…) Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre. / (…) Les recommandations et les avis ne lient pas « . Aux termes de l’article 8 du règlement n° 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne) :  » 1. L’Autorité est chargée des tâches suivantes : / a) contribuer à la création de normes et de pratiques communes de grande qualité en matière de réglementation et de surveillance, notamment en fournissant des avis aux institutions de l’Union et en élaborant des orientations, des recommandations et des projets de normes techniques de réglementation et d’exécution fondés sur les actes législatifs visés à l’article 1er, paragraphe 2 (…) / 2. Pour l’exécution des tâches énumérées au paragraphe 1, l’Autorité dispose des compétences énoncées au présent règlement, à savoir : / (…) c) émettre des orientations et des recommandations selon les modalités prévues à l’article 16 (…) « . Aux termes de l’article 16 du même règlement :  » 1. Afin d’établir des pratiques de surveillance cohérentes, efficientes et effectives au sein du SESF et d’assurer une application commune, uniforme et cohérente du droit de l’Union, l’Autorité émet des orientations et des recommandations à l’intention des autorités compétentes ou des établissements financiers. / (…) 3. Les autorités compétentes et les établissements financiers mettent tout en oeuvre pour respecter ces orientations et recommandations. / Dans un délai de deux mois suivant l’émission d’une orientation ou d’une recommandation, chaque autorité compétente indique si elle respecte ou entend respecter cette orientation ou recommandation. Si une autorité compétente ne la respecte pas ou n’entend pas la respecter, elle en informe l’Autorité en motivant sa décision. / L’Autorité publie le fait qu’une autorité compétente ne respecte pas ou n’entend pas respecter cette orientation ou recommandation (…). / Si l’orientation ou la recommandation le requiert, les établissements financiers rendent compte, de manière précise et détaillée, de leur respect ou non de cette orientation ou recommandation (…) « .

2. L’Autorité bancaire européenne (ABE) a, sur le fondement de l’article 16 du règlement du 24 novembre 2010 précédemment cité, adopté, le 22 mars 2016, des orientations ABE/GL/2015/18 sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail. Par un avis publié sur son site internet le 8 septembre 2017, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a déclaré se conformer à ces orientations et a précisé qu’elles étaient applicables aux établissements de crédit, aux établissements de paiement et aux établissements de monnaie électronique soumis à son contrôle, qui devaient tout mettre en oeuvre pour les respecter et pour s’assurer que leurs distributeurs s’y conforment. La Fédération bancaire française (FBF) demande l’annulation pour excès de pouvoir de cet avis.

Sur la fin de non-recevoir opposée par l’ACPR :

3. Les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu’ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance. Ces actes peuvent également faire l’objet d’un tel recours, introduit par un requérant justifiant d’un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent. Dans ce dernier cas, il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité de régulation.

4. Selon les termes des orientations sur les modalités de gouvernance et la surveillance des produits bancaires de détail adoptées par l’ABE le 22 mars 2016 :  » (…) 6. Les présentes orientations s’appliquent aux producteurs et aux distributeurs des produits proposés et vendus aux consommateurs (…) 11. Les présentes orientations sont destinées aux autorités compétentes, telles que définies à l’article 4, paragraphe 2, point i), du règlement (UE) n° 1093/2010, et aux établissements financiers, tels que définis à l’article 4, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 1093/2010 (ci-après le  » règlement ABE « ) (…) 14. En ce qui concerne les orientations pour les distributeurs, les autorités compétentes devraient soit exiger directement des distributeurs qu’ils s’y conforment, soit exiger des producteurs qu’elles sont chargées de surveiller qu’ils s’assurent que les distributeurs s’y conforment. (…) « .

5. Par l’avis attaqué du 8 septembre 2017, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, en tant qu’autorité de supervision nationale, a déclaré se conformer aux orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail émises par l’ABE. Il ressort des pièces du dossier qu’alors même que les établissements financiers sont directement destinataires des orientations en cause, en application des paragraphes 6 et 11 de ces orientations, cités au point 4, et doivent tout mettre en oeuvre pour les respecter, en application du 3 de l’article 16 du règlement cité au point 1, l’avis attaqué, qui n’est pas adressé à l’ABE mais aux établissements financiers soumis au contrôle de l’ACPR, a pour objet et pour effet d’inciter ces établissements à modifier de manière significative leurs pratiques concernant la gouvernance et la surveillance des produits bancaires de détail. Dans ces circonstances, l’avis attaqué doit être regardé comme faisant grief à la Fédération bancaire française qui est recevable à en demander l’annulation. Dès lors, la fin de non-recevoir soulevée par l’ACPR doit être écartée.

Sur la validité des orientations adoptées par l’ABE au regard du droit de l’Union :

6. A l’appui du recours pour excès de pouvoir qu’elle a formé devant le Conseil d’Etat contre l’avis du 8 septembre 2017 par lequel l’ACPR a déclaré se conformer aux orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail émises par l’ABE le 22 mars 2016, la Fédération bancaire française peut utilement invoquer, par voie d’exception, l’invalidité des orientations adoptées par l’ABE à la mise en oeuvre desquelles l’avis attaqué entend contribuer. L’exception d’invalidité que soulève la Fédération bancaire française dans le cadre de son recours est ainsi opérante.

En ce qui concerne la recevabilité de l’exception d’invalidité soulevée par la FBF :

7. D’une part, aux termes de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :  » La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : / (…) b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union. / Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. / Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. / (…) « . Il résulte de ces stipulations, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 22 octobre 1987 Foto-Frost contre Hauptzollamt Lübeck-Ost (aff. 314/85), que si les juridictions nationales peuvent examiner la validité d’un acte des institutions de l’Union et, si elles n’estiment pas fondés les moyens d’invalidité que les parties invoquent devant elles, écarter ces moyens en concluant que l’acte est pleinement valide, elles ne sont en revanche pas compétentes pour constater elles-mêmes l’invalidité de ces actes. Par ailleurs, ainsi que la Cour de justice l’a jugé dans son arrêt du 25 juillet 2002 Unión de Pequeños Agricultores (aff. C-50/00), le traité a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions de l’Union, en le confiant au juge de l’Union et, dans ce système, des personnes physiques ou morales ne pouvant pas, en raison des conditions de recevabilité prévues par l’article 263, quatrième alinéa, du traité, attaquer directement des actes de droit de l’Union de portée générale, ont la possibilité, selon les cas, de faire valoir l’invalidité de tels actes soit, de manière incidente en vertu de l’article 277 du traité, devant le juge de l’Union, soit devant les juridictions nationales et d’amener celles-ci à interroger à cet égard la Cour de justice par la voie de questions préjudicielles.

8. Il suit de là qu’il appartient en tout état de cause au juge administratif, saisi d’un moyen mettant en cause la validité d’un acte des institutions de l’Union de portée générale, d’écarter un tel moyen s’il ne présente pas de difficulté sérieuse ou lorsque la partie qui l’invoque avait sans aucun doute la possibilité d’introduire un recours en annulation, sur le fondement de l’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, contre l’acte prétendument invalide.

9. D’autre part, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 20 février 2018 Royaume de Belgique contre Commission européenne (aff. 16/16 P), sont considérées comme des actes attaquables au sens de l’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne toutes dispositions adoptées par les institutions de l’Union, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires. Dans cet arrêt, la Cour a ainsi jugé qu’en instituant les recommandations comme catégorie particulière d’actes de l’Union et en prévoyant expressément qu’elles ne liaient pas, l’article 288 du traité avait entendu investir les institutions de l’Union habilitées à les adopter d’un pouvoir d’incitation et de persuasion, distinct du pouvoir d’adopter des actes dotés d’une force obligatoire et que, par suite, les simples recommandations échappaient au contrôle juridictionnel prévu à l’article 263 du même traité. En revanche, elle a rappelé que l’article 267 du traité lui attribuait la compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de l’Union, sans exception aucune.

10. La recevabilité de l’exception d’invalidité soulevée par la Fédération bancaire française dépend ainsi de la réponse à la question de savoir si les orientations émises par une autorité européenne de surveillance sont susceptibles de faire l’objet du recours en annulation prévu par les stipulations de l’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Dans l’affirmative, il conviendrait alors de savoir si une fédération professionnelle est recevable à contester, par cette voie, la validité d’orientations destinées aux membres dont elle défend les intérêts et qui ne la concernent ni directement ni individuellement.

11. Dans l’hypothèse où les orientations émises par une autorité européenne de surveillance ne seraient pas susceptibles de faire l’objet du recours en annulation direct ou dans l’hypothèse où ce recours ne serait pas ouvert à une fédération professionnelle, la recevabilité de l’exception d’invalidité soulevée par la fédération requérante devant le Conseil d’Etat dépendrait alors de la question de savoir si ces orientations sont susceptibles de faire l’objet du renvoi préjudiciel prévu par les stipulations de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Dans l’affirmative, il conviendrait de savoir si une fédération professionnelle est recevable à contester, par cette voie, la validité d’orientations destinées aux membres dont elle défend les intérêts et qui ne la concernent ni directement ni individuellement.

En ce qui concerne la compétence de l’Autorité bancaire européenne :

12. Aux termes des paragraphes 2 et 5 de l’article 1er du règlement n° 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne) :  » 2. L’Autorité agit selon les pouvoirs que le présent règlement lui confère et dans le champ d’application de la directive 2006/48/CE, de la directive 2006/49/CE, de la directive 2002/87/CE, du règlement (CE) n° 1781/2006 et de la directive 94/19/CE, ainsi que des parties pertinentes de la directive 2005/60/CE, de la directive 2002/65/CE, de la directive 2007/64/CE et de la directive 2009/110/CE dans la mesure où ces actes s’appliquent aux établissements de crédit et aux établissements financiers et aux autorités compétentes chargées de leur surveillance, y compris l’ensemble des directives, règlements et décisions fondés sur ces actes, ainsi que de tout autre acte juridiquement contraignant de l’Union conférant des tâches à l’Autorité. / (…) 5. L’Autorité a pour objectif de protéger l’intérêt public en contribuant à la stabilité et à l’efficacité à court, moyen et long terme du système financier, pour l’économie de l’Union, ses citoyens et ses entreprises. L’Autorité contribue à : / (…) e) veiller à ce que la prise de risques de crédit ou autres soit correctement réglementée et surveillée, et / f) renforcer la protection des consommateurs. (…) « . Aux termes du paragraphe 2 de l’article 9 de ce même règlement :  » L’Autorité exerce une surveillance sur les activités financières existantes et nouvelles et peut adopter des orientations et des recommandations en vue de promouvoir la sécurité et la santé des marchés et la convergence des pratiques réglementaires « .

13. Selon le point 1.6 des orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail émises par l’ABE le 22 mars 2016 :  » Les présentes orientations s’appliquent aux producteurs et aux distributeurs des produits proposés et vendus aux consommateurs et précisent les modalités de gouvernance et de surveillance des produits au regard de : / – l’article 74, paragraphe 1, de la directive 2013/36/UE (directive « Fonds propres réglementaires IV » ou « CRD IV »), l’article 10, paragraphe 4, de la directive 2007/64/CE (directive « Services de paiement » ou « PSD ») et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/110/CE (directive « Monnaie électronique » ou « EMD »), lu conjointement avec l’article 10, paragraphe 4, de la PSD, et / – l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2014/17/UE sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel (directive « Crédits hypothécaires » ou « MCD ») « .

14. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 74 de la directive 2013/36/UE du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE :  » Les établissements disposent d’un dispositif solide de gouvernance d’entreprise, comprenant notamment une structure organisationnelle claire avec un partage des responsabilités bien défini, transparent et cohérent, des processus efficaces de détection, de gestion, de suivi et de déclaration des risques auxquels ils sont ou pourraient être exposés, des mécanismes adéquats de contrôle interne, y compris des procédures administratives et comptables saines, et des politiques et pratiques de rémunération permettant et favorisant une gestion saine et efficace des risques « . Aux termes du paragraphe 4 de l’article 10 de la directive 2007/64/CE du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, également applicable aux établissements de monnaie électronique en application du paragraphe 1 de l’article 3 de la directive 2009/110/CE du 16 septembre 2009 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements :  » Les autorités compétentes n’accordent l’agrément que si, compte tenu de la nécessité de garantir une gestion saine et prudente de l’établissement de paiement, celui-ci dispose pour son activité de prestation de services de paiement d’un solide dispositif de gouvernement d’entreprise, comprenant notamment une structure organisationnelle claire avec un partage des responsabilités qui soit bien défini, transparent et cohérent, des procédures efficaces de détection, de gestion, de contrôle et de déclaration des risques auquel il est ou pourrait être exposé et des mécanismes adéquats de contrôle interne, y compris des procédures administratives et comptables saines; ce dispositif, ces procédures et ces mécanismes sont exhaustifs et adaptés à la nature, à l’échelle et à la complexité des services de paiement fournis par l’établissement de paiement « . Aux termes du paragraphe 1 de l’article 7 de la directive 2014/17/UE du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel :  » Les États membres exigent que, dans le cadre de l’élaboration, l’octroi, l’intermédiation ou la fourniture de services de conseil relatifs à des formules de crédits et, le cas échéant, de services auxiliaires destinés aux consommateurs ou dans le cadre de l’exécution d’un contrat de crédit, les prêteurs, les intermédiaires de crédit ou les représentants désignés agissent d’une manière honnête, équitable, transparente et professionnelle, en tenant compte des droits et des intérêts des consommateurs. En ce qui concerne l’octroi, l’intermédiation ou la fourniture de services de conseil relatifs à des crédits et, le cas échéant, des services auxiliaires, les activités s’appuient sur les informations relatives à la situation du consommateur et sur toute demande spécifique formulée par celui-ci, ainsi que sur les hypothèses raisonnables quant aux risques pour la situation du consommateur sur la durée du contrat de crédit (…) « .

15. La Fédération bancaire française fait valoir que le concept de  » gouvernance-produits « , la notion de  » marchés-cibles  » et la distinction entre producteurs et distributeurs introduits dans les orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail émises par l’ABE, auxquelles l’ACPR a déclaré se conformer dans l’avis attaqué, ne figurent dans aucun des règlements et directives qui fixent le champ des compétences de l’ABE et notamment pas dans ceux énoncés au point 1.6 des orientations émises par l’ABE le 22 mars 2016, alors que la gouvernance des produits financiers mis sur le marché par des prestataires de services d’investissement, telle que définie par la directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers (dite directive MiFID II) et sur la base de laquelle l’Autorité européenne des marchés financiers a émis des orientations le 5 février 2018, est fondée sur de tels concepts et notions. Ainsi, en transposant dans ses orientations du 22 mars 2016 des concepts et notions relevant de la gouvernance des produits financiers à la gouvernance des produits bancaires de détail mis sur le marché par des établissements de crédit, produits dont les risques pour les consommateurs seraient moindres, l’ABE imposerait aux producteurs de produits bancaires de détail le respect de bonnes pratiques dont le niveau d’exigence ne serait pas justifié et ne découlerait d’aucune directive ou d’aucun règlement européen dont l’ABE a pour tâche de veiller à la bonne application dans l’ensemble de l’Union européenne. Ainsi, selon la fédération requérante, en prenant de telles orientations, l’ABE aurait excédé le champ de ses compétences défini au paragraphe 2 de l’article 1er du règlement du 24 novembre 2010.

16. A cet égard, d’une part, aucun des textes mentionnés au point 1.6 des orientations émises par l’ABE le 22 mars 2016, ne prévoit explicitement de disposition relative à la gouvernance des produits bancaires de détail, à l’exception de la directive du 4 février 2014 qui régit les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel. Ainsi, en particulier, s’il résulte de la directive MiFID II citée au point 16 ci-dessus que la définition des  » marchés-cibles  » est une démarche essentielle pour la gouvernance des produits financiers, il est seulement fait référence à cette notion au point d) de l’article 79 de la directive du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, à propos d’une disposition relative à l’adéquation de la diversification des portefeuilles de crédit détenus par les établissements de crédit, dans le cadre de la gestion du risque auquel ces établissements sont exposés. D’autre part, aucun de ces textes, y compris la directive du 4 février 2014, ne prévoit de disposition habilitant l’ABE à émettre des orientations portant sur la gouvernance des produits bancaires de détail.

17. Toutefois, en vertu du paragraphe 5 de l’article 1er du règlement du 24 novembre 2010 cité au point 12 ci-dessus, l’ABE contribue  » à veiller à ce que la prise de risques de crédit ou autres soit correctement réglementée  » et  » à renforcer la protection des consommateurs  » de l’Union, objectifs que la gouvernance des produits bancaires de détail contribue à atteindre. En outre,  » les activités financières existantes et nouvelles  » dont l’ABE se voit confier la surveillance en vertu du paragraphe 2 de l’article 9 de ce même règlement seraient susceptibles d’inclure les produits bancaires de détail proposés par les établissements de crédit et par conséquent, de justifier l’édiction par l’ABE d’orientations relatives à leur bonne gouvernance.

18. Dès lors, à supposer que la fédération requérante soit recevable à se prévaloir, par la voie de l’exception, de l’invalidité des orientations émises le 22 mars 2016 par l’ABE, la réponse au moyen tiré de l’incompétence de l’ABE dépend de la réponse à la question de savoir si, en émettant des orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail, cette Autorité a excédé les compétences qui lui sont dévolues par les paragraphes 2 et 5 de l’article 1er et par les articles 8 et 16 du règlement du 24 novembre 2010.

19. Les questions posées aux points 10, 11 et 18 sont déterminantes pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d’Etat et présentent une difficulté sérieuse. Il y a lieu, par suite, d’en saisir la Cour de justice de l’Union européenne en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, jusqu’à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête de la Fédération bancaire française.

D E C I D E :
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Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par la Fédération bancaire française jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :
1° Les orientations émises par une autorité européenne de surveillance sont-elles susceptibles de faire l’objet du recours en annulation prévu par les stipulations de l’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ‘ Dans l’affirmative, une fédération professionnelle est-elle recevable à contester, par la voie du recours en annulation, la validité d’orientations destinées aux membres dont elle défend les intérêts et qui ne la concernent ni directement ni individuellement ‘
2° En cas de réponse négative à l’une des deux questions posées au 1°, les orientations émises par une autorité européenne de surveillance sont-elles susceptibles de faire l’objet du renvoi préjudiciel prévu par les stipulations de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ‘ Dans l’affirmative, une fédération professionnelle est-elle recevable à contester, par la voie de l’exception, la validité d’orientations destinées aux membres dont elle défend les intérêts et qui ne la concernent ni directement ni individuellement ‘
3° Dans l’hypothèse où la Fédération bancaire française serait recevable à contester, par la voie de l’exception, les orientations adoptées par l’Autorité bancaire européenne le 22 mars 2016, cette Autorité a-t-elle, en émettant ces orientations, excédé les compétences qui lui sont dévolues par le règlement n° 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne) ‘
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération bancaire française, à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et au greffier de la Cour de justice de l’Union européenne.
Copie en sera adressée au ministre de l’économie et des finances.