La réforme de la taxe d’habitation (TH) n’est pas un chemin pavé de roses : c’est plutôt une jungle difficile à traverser, avec de multiples buissons épineux.
Cette réforme, nous avons tenté de la présenter en posant quelques questions simples, permettant à tout à chacun d’en comprendre les enjeux, et ce en vidéo via quelques questions posées à un de nos partenaires et amis, Pascal Heymes, de MS conseils. Voir :
Zoomons avant maintenant sur deux de ces buissons épineux qui rendent cette réforme aussi piquante que délicate à manier avec un autre consultant et partenaire de notre cabine : Jean-Baptiste Gaudin, de Public avenir, à qui nous avons posé deux questions :
1e question : La réforme de la taxe d’habitation est-elle aussi « neutre » pour les collectivités que le prétend le Gouvernement ?
Hélas non à plusieurs titres :
- d’abord, toutes les communes et EPCI qui auront augmenté leur taux de taxe d’habitation entre 2017 et 2019 subiront une baisse du produit de taxe d’habitation en 2020 et au-delà.
- en 2020, ces collectivités subiront un prélèvement sur la taxe d’habitation perçue, égal au produit de la différence des taux de taxe d’habitation entre 2017 et 2019 par les bases dégrévées en 2020. Les communes qui auront augmenté leur taux TH en 2018 ou 2019, perdent donc, dès 2020, une partie du gain fiscal initial sur les 80% de leurs foyers dégrevés (en moyenne nationale). Les 20% des foyers les plus aisés, continuent d’acquitter en 2020, la TH au dernier taux TH voté par la collectivité.
- en 2021, le produit de référence TH sera calculé à partir du taux 2017 et non 2019. Ainsi, en 2021, la collectivité perd donc la totalité du gain financier lié à la hausse du taux TH consentie entre 2018 et 2019. L’Etat « ponctionne », à vie, les collectivités de leur augmentation des taux tandis qu’il percevra (en 2021 et 2022) la taxe d’habitation acquittée par les 20% de contribuables les plus favorisés à partir du taux 2020.
- en outre la loi prévoit que seule la moyenne des rôles supplémentaires de TH émis en 2018,2019 et 2020 seront ajoutés au produit de référence et non ceux émis au titre de 2020, qui pourraient être constatés les années suivantes.
- La réforme produit également un risque important pour les syndicats de communes percevant des contributions fiscalisées et pour les EPCI ayant institué la Taxe Gemapi.
Rappel : Les taux additionnels syndicaux et les taux de GEMAPI ne sont pas votés par les collectivités mais sont déterminés, par les services de l’Etat à partir du produit voté par les collectivités. Le produit est alors « traduit » en taux d’imposition additionnels aux quatre taxes (TH, taxes foncières, CFE) au prorata du poids du produit de chaque taxe dans le total des impositions perçues sur le territoire.
En 2020, le taux additionnel de TH sera figé au niveau de 2019. Toute augmentation de produit sera par conséquent répercutée sur les contribuables à la taxe foncière et à la CFE.
A partir de 2021, la suppression de la TH conduira, pour un même produit appelé, à une diminution importante du poids de la taxe d’habitation au détriment du poids des autres taxes. Afin que le syndicat de communes ou l’EPCI levant la taxe GEMAPI conserve le même niveau de ressources, les contribuables à la taxe sur le foncier bâti et à la CFE verront leur cotisation augmenter dans des proportions importantes. Si la collectivité ne souhaite pas augmenter la pression fiscale sur ces contribuables, elle devra arbitrer entre :
- Transformer les cotisations fiscalisées ou la taxe GEMAPI levées en contributions budgétaires.
Mais, se pose alors le problème de la neutralité financière pour le budget de la collectivité. En effet, si les taux TF syndicaux peuvent être réintégrés aux taux communaux (à pression fiscale globale inchangées pour les contribuables), il n’en est pas de même pour le taux TH syndical. En effet, les collectivités ne peuvent plus modifier leur taux TH à compter de 2021. Les élus devront demander une modification du texte de l’article 16 de la LFI pour 2020, en exigeant que les recettes de substitution à la THP, intègrent bel et bien, non seulement l’ancienne Th communale mais aussi … la TH des contributions fiscalisées (et GEMAPI). Ce faisant, la collectivité perçoit dans ses recettes de substitution, l’ancienne Th syndicale et financeront, à coût nul pour le budget communal, la nouvelle contribution budgétaire au syndicat (et/ou Gemapi).
- Ou de diminuer fortement les dépenses au prorata de la baisse de la ressource perçue sur la taxe d’habitation. On peut se poser la question de la faisabilité de ce choix pour des syndicats scolaires ou pour le financement des projets de prévention des inondations…
- S’agissant des EPCI, l’évolution du taux de CFE sera liée dorénavant à celle de la taxe sur le foncier bâti ou des deux taxes foncières (au lieu de la taxe d’habitation ou des trois taxes « ménages »). Le transfert du taux départemental de taxe sur le foncier bâti vers les communes permettra à ces dernières de bénéficier d’une même augmentation de produit pour une hausse du taux de TFB beaucoup plus faible qu’avant réforme. Cela limitera par conséquent les capacités de l’EPCI à augmenter son taux de CFE au risque de reporter le besoin de fiscalité sur la taxe sur le foncier bâti intercommunal, … ou de nécessité des arbitrages sur le périmètre des actions publiques/investissements.
- Enfin, les communes qui ont des projets de construction de nouveaux logements sociaux sont les grandes perdantes de la réforme. Un logement social est exonéré de taxe de foncier bâti pendant plusieurs années. Les logements sociaux génèrent uniquement de la taxe d’habitation dès la première année de mise en œuvre du programme. Supprimer la taxe d’habitation revient à « désinciter financièrement » les communes à construire de nouveaux logements sociaux. La réforme TH ne devait-elle pas s’accompagner d’une révision des dispositifs de compensations des exonérations fiscales de TFB, dont le coût est actuellement supporté en large part, par les collectivités locales ?
2nde question : le Coco (coefficient correcteur) corrige-t-il tous les défauts du FNGIR ?
Il en corrige beaucoup mais ne règle pas tout.
L’engagement du Gouvernement lors de la réforme était d’éviter, à tout prix, de reproduire les effets pervers du mécanisme de Garantie des ressources lors de la réforme de la taxe professionnelle. Sur plusieurs points, le coefficient correcteur est un meilleur outil que le GIR. Il assure notamment la prise en compte de l’évolution des bases de TFB (à la hausse et à la baisse).
Néanmoins, ce dispositif va complètement redistribuer les cartes en termes de dynamique fiscale. Une commune sera gagnante ou perdante en fonction de la différence entre l’évolution des bases de TH qu’elle aurait dû percevoir sans application de la réforme et celle de ses bases de foncier bâti. Tout dépendra de la combinaison de plusieurs facteurs (le niveau des abattements de taxe d’habitation, la proportion des valeurs locatives des locaux professionnels et des locaux d’habitation, le foncier disponible).
Les collectivités en fort développement urbain, ne fiscaliseront plus les bases TH des locaux nouveaux occupés pour la première fois, à compter de 2021.
Certes, les recettes de substitution évolueront comme les bases de TFB, mais … deux bémols de taille à ce dispositif d’actualisation :
- La dynamique du foncier bâti est impactée par la mise en œuvre de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels. Depuis 2018, les valeurs locatives des locaux professionnels n’évoluent plus selon l’inflation (qui s’applique pour les locaux d’habitation) mais selon l’indice des loyers. Or, depuis 2 ans de mise en œuvre de la réforme, nous assistons à un tassement de l’évolution des valeurs locatives. Celles-ci n’évoluent que de 0,5% par an contre une inflation de 1,2% pour 2020. Plus l’assiette de TFB de la collectivité sera structurée par les locaux professionnels, moins la dynamique des recettes de substitution sera avérée.
- Ajoutons enfin l’aménagement des règles d’exonération de TFB pour les constructions nouvelles de locaux d’habitation et locaux professionnels. Si les communes ne délibèrent pas avant le 1er octobre 2020, elles pourraient subir une exonération de 100% de TFB pour les constructions nouvelles. Elles pourront limiter l’exonération mais qu’à hauteur de 60% (contre 100% avant réforme). Les constructions nouvelles de locaux professionnels seront également exonérées de droit à hauteur de 40% des bases.
En définitive, l’Etat remplace une imposition dont l’évolution était adossée à l’inflation, par une ressource dont l’une évolution forfaitaire est généralement beaucoup plus faible. Ce sont les choix d’implantations nouvelles (nouveaux logements sociaux ou non, nouvelles implantations économiques) qui décideront des gagnants et des perdants à la réforme de la taxe d’habitation.
La réforme TH et les recettes de substitution calées sur la TFB ramènent donc, encore et toujours, au problème du faible dynamisme des recettes des collectivités, et par extension, au devenir du FB.
A ce titre, on rappelle l’enchainement des réformes ayant abouti à dessaisir les collectivités de leur pouvoir fiscal :
- 2009 : suppression de la part salaires dans la TP
- 2010 : suppression de la TP
- 2021 : suppression de la TH
… A quand la suppression du FB … ou son allègement dans un contexte où les gouvernements successifs s’engagent toujours plus loin sur la voie de la réduction de la fiscalité économique locale ?