Entre Coyote et Gendarmes, entre droit à échanger des informations et sécurité routière… le Conseil constitutionnel a tranché (censure très partielle du dispositif de la LOM)

Entre Coyote et Gendarmes, entre droit à échanger des informations et sécurité routière… le Conseil constitutionnel a tranché (censure partielle du régime actuel) : l’interdiction de communiquer entre conducteurs est licite, dans le cadre très strict, très limité, prévu par la LOM. MAIS le Conseil constitutionnel censure de telles interdictions de communications (qui, dans ce régime, sont toujours limitées dans l’espace et dans le temps) lorsqu’elle ne visent pas à masquer l’existence d’un contrôle précis opéré par les forces de l’Ordre.

 


 

Le droit de tricher est-il constitutionnel ? En France, pays si peu cartésien, et où il est valoriser de ruser avec la peur du Gendarme, la question peut se poser.

Depuis le 1er novembre 2021, en application de la LOM (loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019), il n’est plus aussi aisé et automatique, entre automobilistes, de se signaler mutuellement la présence de contrôles routiers de police. Dans certains cas, les plate-formes collaboratives (Waze, Coyote, TomTom…) ont, sur des périmètres restreints, l’obligation de ne pas relayer cette information.

En effet, l’article L. 130-11 du code de la route prévoit que l’autorité administrative peut, à l’occasion de certains contrôles routiers, interdire aux exploitants d’un service électronique d’aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de rediffuser les messages et indications émis par les utilisateurs de ce service. Le 1 ° de l’article L. 130-12 du même code punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait pour ces exploitants de méconnaître une telle interdiction.

Mais est-ce conforme à la Constitution ?

Pas sûr, avait estimé le Conseil d’Etat, lequel avait donc transmis la QPC soulevée par Coyote à ce sujet, au Conseil constitutionnel :

CE, 16 septembre 2021, n° 453763

 

Tel un Gendarme, le Conseil d’Etat avait eu du flair car son voisin du Palais Royal, le Conseil constitutionnel, vient d’estimer qu’étaient fondés les soupçons de la Haute Assemblée…. et de censurer partiellement les dispositions permettant l’interdiction, en cas de contrôles routiers, de l’exploitation de services d’aide à la conduite ou à la navigation. 

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». En l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer.

En outre, sur le fondement de l’article 34 de la Constitution, il est loisible au législateur d’édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions avec l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer. Cependant, la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s’ensuit que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

A cette aune, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées, qui permettent à l’autorité administrative de priver des utilisateurs de services de communication au public en ligne de la possibilité d’échanger certaines informations, portent atteinte à la liberté d’expression et de communication. 

Le Conseil constitutionnel relève :

  • que ces dispositions, qui ont pour objet d’éviter que les automobilistes puissent se soustraire à certains contrôles de police, poursuivent l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions.
  • que l’interdiction prévue par l’article L. 130-11 du code de la route ne s’applique qu’aux services électroniques dédiés spécifiquement à l’aide à la conduite et à la navigation routières, d’une part, et que, d’autre part, cette interdiction ne peut être prononcée que dans le cas de contrôles routiers impliquant l’interception des véhicules. Elle peut également être prononcée pour procéder à des contrôles d’alcoolémie et de l’usage de stupéfiants, à certains contrôles d’identité, visites de véhicules et fouilles de bagages, à des recherches ordonnées par les autorités judiciaires pour des crimes ou délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement et à des vérifications concernant l’inscription des conducteurs ou passagers dans le fichier des personnes recherchées à raison de la menace qu’ils constituent pour l’ordre ou la sécurité publics ou parce qu’ils font l’objet d’une décision de placement d’office en établissement psychiatrique ou se sont évadés d’un tel établissement. Cette interdiction ne s’applique qu’à ces contrôles limitativement énumérés, au nombre desquels ne figurent pas les contrôles de vitesse.
  • que la durée de l’interdiction est limitée à deux heures en cas de contrôle d’alcoolémie ou de stupéfiants, et à douze heures dans les autres cas. En outre, le périmètre de cette interdiction ne peut s’étendre au-delà d’un rayon de dix kilomètres autour du point de contrôle routier lorsque celui-ci est situé hors agglomération et au-delà de deux kilomètres en agglomération.
  • que le paragraphe II de l’article L. 130-11 prévoit que, sur le réseau routier national, cette interdiction ne peut porter sur les informations relatives aux événements et circonstances liés à la sécurité routière prévus à l’article 3 du règlement délégué de la Commission européenne du 15 mai 2013 mentionnée ci-dessus, c’est-à-dire celles portant sur le caractère glissant de la chaussée, la présence d’obstacle sur la route, une zone d’accident ou de travaux, une visibilité réduite, un conducteur en contresens, une obstruction non gérée ou des conditions météorologiques exceptionnelles.
  • que, en revanche, hors du réseau routier national, cette interdiction vise, sans exception, toute information habituellement rediffusée aux utilisateurs par l’exploitant du service. Il en déduit qu’elle est susceptible de s’appliquer à de nombreuses informations qui sont sans rapport avec la localisation des contrôles de police. Dans ces conditions, cette interdiction porte à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi.

Par ces motifs, le Conseil constitutionnel déclare contraires à la Constitution les dispositions limitant au réseau national la préservation de la possibilité d’échanger des informations… MAIS UNIQUEMENT DANS LES CAS QUI SONT SANS RAPPORT AVEC LA LOCALISATION DES CONTRÔLES DE POLICE.

Aucun motif ne justifiant de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité, il juge que celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la décision de ce jour.

Examinant le restant des dispositions critiquées au regard du principe d’égalité devant la loi le Conseil constitutionnel juge notamment que, compte tenu de cette déclaration d’inconstitutionnalité, il ne saurait, en tout état de cause, être reproché aux dispositions contestées d’établir une différence de traitement entre les utilisateurs des systèmes d’aide à la conduite selon qu’ils se situent ou non sur le réseau routier national.

Décision n° 2021-948 QPC du 24 novembre 2021, Société Coyote system [Signalement des contrôles routiers par des services électroniques ], Non conformité partielle