AOT et baux commerciaux, quand une clause peut tout changer !

C’est un vrai petit coin de paradis qui a vu son futur placé entre les mains du Conseil d’État ce mardi 11 mars (CE, 8-3  chr, 11 mars 2022, n° 453440, Lebon T.) le restaurant la Pinède, construit sur les bords de plage avec une vue imprenable sur la Méditerranée. Ses deux anciens occupants exploitaient le restaurant sur une parcelle appartenant à la commune de Cap-d’Ail, aux termes d’une convention d’occupation datant de 1995. Seulement voilà : en 2016, ils signent un renouvellement de la convention d’occupation du domaine public qui ne donne lieu à la création à aucun fonds de commerce.

Après un rejet du Tribunal administratif de Nice de leur recours « Béziers I » contre une clause du contrat refusant la création d’un fonds de commerce, les occupants se pourvoient devant le Conseil d’État.

Il est ici question d’un terrain acquis par la collectivité étant directement affecté à l’usage du public et appartenait par suite au domaine public de la commune.

Il est permis, depuis la loi « Pinel » n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, sous condition de l’existence d’une clientèle propre, la possibilité d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public artificiel.

En effet, selon l’article L 2124-32-1 du CGPPP  :

« Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre ».

 

Lors de sa rédaction en 2014, cet article allait à l’encontre de la considération classique du Conseil d’État. En effet, les baux commerciaux ne sauraient être légalement conclus sur le domaine public, le droit du renouvellement du preneur étant incompatible avec le principe de précarité des occupations privatives, dès lors la logique voulait que l’occupant du domaine public ne pût, par extension être propriétaire d’un fonds de commerce, puisqu’il ne pouvait légalement disposer d’un bail commercial.

La loi « Pinel » de 2014 est venue modifier cela en anticipant un changement de pratique, l’ère du temps étant à la valorisation économique du domaine public. La condition de l’existence d’une clientèle va alors dans le sens d’une reconnaissance de cette dernière comme un bien, reconnu par l’article 1 du protocole n°1 de la CEDH, (et plus précisément dans un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme CEDH, 25 mars 1999 Iatridis c/ Grèce no. 31107/96, § 54, ECHR 1999‑II)

Cependant, cette possibilité consacrée par l’article L 2124-32-1 du CGPPP, n’est qu’une possibilité, il convient de garder à l’esprit de la persistance des caractères précaires, personnels et révocables des titres d’occupation privée du domaine public. De la même manière, la condition de l’existence d’une clientèle, qui se forme sur le temps long, rentre en contradiction avec le principe de publicité et de remise en concurrence périodique des AOT consacrée par l’article L. 2122-2 du CGPPP.

« Lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, sa durée est fixée de manière à ne pas restreindre ou limiter la libre concurrence au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis, sans pouvoir excéder les limites prévues, le cas échéant, par la loi. »

Ainsi, il était question dans cet arrêt de la possibilité pour la commune de placer dans la convention renouvelant l’autorisation d’occupation du territoire une clause excluant aux occupants la création d’un fonds de commerce. Les requérants soutenant qu’il se sont vus forcés la main de signer cette convention (selon les conclusions du rapporteur public), demandaient l’annulation de cette clause.

Le Conseil d’État rappelle dans son arrêt la volonté du législateur lors de la rédaction de l’article L. 2124-32-1 CGPPP, qui était de reconnaître un droit au fonds de commerce sur le domaine public, sous condition de l’existence d’une clientèle, qu’une telle clause venait méconnaître.

La clause litigieuse, considérée comme indissociable du reste de la convention, bien que méconnaissant l’article du CGPPP, ne constitue pas selon le Conseil un vice d’une particulière gravité justifiant de l’annulation de celle-ci.

En jugeant que la méconnaissance par une telle clause des dispositions de l’article L. 2124-32-1 du code général des propriétés publiques ne pouvait constituer, à elle seule, un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation de la convention ou de cette seule clause indivisible du reste de la convention, la cour, par un arrêt suffisamment motivé, n’a pas commis d’erreur de droit (CE, 8-3  chr, 11 mars 2022, n° 453440, Lebon T.)

De plus, n’étant en la présence ni d’une rupture, ni d’une éviction, le Conseil n’a reconnu aux occupants aucune indemnité au titre de l’article 145-14 du Code de Commerce.

Ainsi, il aura suffi de la présence d’une clause dans la convention d’occupation du domaine public pour supprimer aux occupants le droit d’exploiter leur restaurant. Il convient de garder à l’esprit que les contrats d’AOT sont des contrats précaires, les occupants de ce petit coin de paradis en ont subi un rappel douloureux.

  • article rédigé avec la collaboration de Lucas Blondiaux, stagiaire.