L’appel d’un jugement excluant de la commande publique n’entraine pas la suspension de cette exclusion

Mise à jour au 21 février 2024, voir :

Top chef : recette du marché public fourré aux repris de Justice  

 

 

 

Le lundi 21 mars, le juge des référés du Tribunal Administratif de Pau (TA de Pau, société Chalair Aviation, req. n°2200424) a rendu une ordonnance annulant partiellement une procédure de passation de convention de délégation de service public car l’une des entreprises dont la candidature a été acceptée était en réalité interdite de soumissionner. Le fait qu’elle ait interjeté appel sur le jugement lui interdisant l’accès aux contrats de concession ne changeant rien.

I.  Tricards et rédemption

 

Un « tricard » était un « interdit de séjour » (voir ici) : une personne condamnée au pénal pouvait se voir, pendant une durée parfois longue, « tricarde » dans telle ou telle partie du territoire national.

Un tel régime existe en quelque sorte en matière de contrats publics.

En effet, les articles L. 3123-1 à L3123-6 du Code de la Commande Publique liste les articles au titre desquels, lorsqu’une personne est condamnée, celle-ci se retrouve exclue des procédures de passation des contrats de concession.

Il existe néanmoins un régime de rédemption, de pardon des péchés si l’on ose dire, lorsque l’entreprise en question a effectué des modifications visant à éviter que les infractions se reproduisent, qui s’est vu modifié par une récente décision de la Cour de Justice Européenne.

Ainsi dans une décision du 11 juin 2020 n°C-472/19 la CJUE a considéré que le régime de preuve, prévu aux articles R. 3123-16 à R. 3123-21, était bien trop stricte aux vues des dispositions de la Directive européenne 2014/23/UE.

En effet, celle-ci reconnait dans le paragraphe 9 de son article 38 aux entreprises un droit de prouver ses modifications internes de bonne foi.

 « Tout opérateur économique qui se trouve dans l’une des situations visées aux paragraphes 4 et 7 peut fournir des preuves afin d’attester que les mesures qu’il a prises suffisent à démontrer sa fiabilité malgré l’existence du motif d’exclusion invoqué. Si ces preuves sont jugées suffisantes, l’opérateur économique concerné n’est pas exclu de la procédure »Paragraphe 9 de l’article 38 de la directive 2014/23/UE

 

Au nom du droit européen, elle demandait donc l’abrogation des articles R. 3123-16 à R. 3123-21 du CCP, qui, fixant la liste des documents permettant de justifier qu’un candidat ne fait l’objet d’aucune exclusion de soumissionner.

Dans l’attente par le pouvoir réglementaire de la dite modification, le Conseil d’État avait jugé en octobre 2020 que l’exclusion de la procédure de passation des contrats de concession prévue à l’article L. 3123-1 du CCP n’est pas applicable à la personne qui, après avoir été mise à même de présenter ses observations, établit dans un délai raisonnable et par tout moyen auprès de l’autorité concédante qu’elle a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements correspondant aux infractions mentionnées au même article pour lesquelles elle a été définitivement condamnée et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du contrat de concession n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement.

Nous en avons suivi le cours dans ces deux articles :

 

II.  L’ordonnance

Dans une ordonnance du lundi 21 mars 2022, le juge des référés du TA de Pau avait à traiter des cas d’un syndicat mixte ayant lancé une procédure de passation d’une convention tripartite (transporteur aérien, État et Syndicat Mixte) portant sur la délégation de service public pour l’exploitation de la ligne Tarbes-Lourdes/Paris-Orly.

La passation ayant abouti en février 2022 à la désignation de la société Volotea, le juge des référés a relevé que le règlement particulier de consultation (en application des articles R. 3123-16 à R3123-21 du Code de la Commande Publique) devait comporter une « une attestation sur l’honneur, datée et signée, que le soumissionnaire ne fait l’objet d’aucune des exclusions de la participation à la présente procédure prévue aux articles L. 3123-1 à L. 3123-5 du code de la commande publique ». Or celle-ci n’avait pas été fournie par la société Volotea.

Et pour sûr, celle-ci avait été condamnée en septembre 2021 par le Tribunal Administratif de Bordeaux pour méconnaissance des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail (cité dans l’article L. 3123-3 du Code de la Commande Publique). La société n’avait pas déclaré certains de ses pilotes aux organismes de sécurité sociale en France.

L’article L. 3123-3 du Code de la Commande Publique prévoyait bien, comme vu précédemment, une possibilité d’être rédemptée, lorsque l’entreprise prouvait qu’elle avait changé ses méthodes :

« Cette exclusion n’est pas applicable à la personne qui établit (…) qu’elle a régularisé sa situation, qu’elle a réglé l’ensemble des amendes et indemnités dues, qu’elle a collaboré activement avec les autorités chargées de l’enquête, (…) et, enfin, qu’elle a pris des mesures concrètes de nature à prévenir la commission d’une nouvelle infraction pénale ou d’une nouvelle faute. »Article L. 3123-3 du Code de la Commande Publique

 

Or en l’espèce, la société V., n’avait réglé ni l’intégralité des montants de dommages et intérêts, ni l’amende auxquels elle a été condamnée.

Se défendant devant le juge des référés, elle avait présenté l’argument selon lequel elle avait interjeté appel de la décision du Tribunal de Bordeaux, le juge des référés a estimé qu’elle n’était pas fondée à soutenir que l’appel qu’elle a formé contre cette décision de justice avait pour conséquence de suspendre les effets qui s’y attachent.

NB : sauf (rare) acceptation d’une demande de sursis à exécution… 

En effet, le fait de faire appel ne signifie aucunement changement des méthodes… A bon entendeur!

 

*Article rédigé avec la collaboration de Lucas Blondiaux, stagiaire