Les interdits de commande publique, pour cause de condamnation pénale… voient à court terme le droit écrit, qui leur est défavorable, inchangé (décision du Conseil constitutionnel de ce jour)… mais sur le terrain les praticiens doivent déjà appliquer une interprétation très souple de ce droit comme l’imposent déjà le juge européen et le Conseil d’Etat.
Un « tricard » était un « interdit de séjour » (voir ici) : une personne condamnée au pénal pouvait se voir, pendant une durée parfois longue, « tricarde » dans telle ou telle partie du territoire national. Un bandit de Seine-et-Oise, après avoir purgé sa peine, pouvait être interdit de séjour en Seine-et-Oise pendant quelques années, pour ne pas renouer avec son réseau amical criminel.
Un tel régime existe en quelque sorte en matière de contrats publics.
Un opérateur économique, lorsqu’il est condamné par un jugement définitif prononcé par une juridiction judiciaire pour une des infractions pénales énumérées à l‘article 39 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, repris à l’article L. 3123-1 du code de la commande publique (CCP)... peut se retrouver ainsi tricard de marchés publics.
Avec un régime de rédemption, de pardon des péchés si l’on ose dire, qui n’est pas assez souple au regard du droit européen (CJUE, 11 juin 2020, n° C-472/19) et qui par conséquent a été adouci par le juge administratif : cf. notamment CE, 12 octobre 2020, n° 419146, à publier aux tables du recueil Lebon ; voir ici notre article) avant, sans doute, que de devoir être modifié par le législateur.
… au point d’imposer à moyen terme une réforme et, à court terme, pour les personnes publiques, une gymnastique particulière d’examen du sérieux des rédemptions, des mesures correctrices, évoquées par tel ou tel soumissionnaire (voir ici notre article).
Dans cette foulée, la Cour de cassation avait transmis une QPC au Conseil constitutionnel à ce sujet (Cass. crim., 17 novembre 2021, n° G 21-83.121 F-D ; renvoi no 01539).
Dans le passé, le Conseil constitutionnel a toujours bastonné de telles peines complémentaires ou accessoires, au pénal, lorsque celles-ci sont entachées du péché d’automaticité… pour schématiser une question un peu complexe.
Voir en ce sens par exemple sa décision 2017-752 D, du 8 septembre 2017.
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2017/2017752DC.htm
Voir aussi à ce même sujet :
- Voici les deux décisions du Conseil constitutionnel, rendues à l’instant, sur les lois sur la confiance dans l’action publique (lois initialement dites « de moralisation »). Avec une censure très limitée. `
- Peut-on réformer le droit actuel pour rendre, plus encore qu’à ce jour, inéligible une personne qui aurait été condamnée pour avoir incité à la discrimination ou à la haine raciale ? Et que vaudrait une « résolution » à ce sujet ?
Or, voici que NON… non le Conseil constitutionnel n’a pas censuré ce régime.
Il a posé que l’on peut toujours faire une question préjudicielle (renvoi à la CJUE) pour voir si le droit français sur ce point est conforme au droit européen (et vu la décision C-472/19, précitée, il ne l’est pas)… mais que ce ne sont pas là des questions de non conformité au droit constitutionnel national ni une question de violation d’un PIIC (sur ce point voir ici).
… ce qui est d’autant plus sévère que la décision du Conseil constitutionnel s’avère à tout le moins brièvement motivée, d’une part, et que le parallèle avec les censures antérieures (notamment celle de la décision 2017-752 D) sont frappantes.
Conclusion :
- à moyen terme sans doute le pouvoir réglementaire (articles R. 3123-16 à R. 3123-21 du CCP) et le pouvoir législatif (art. L. 2141-1 du CCP) aura-t-il à intervenir, mais ce sera sans doute après une intervention du juge européen comme le susurre le Conseil constitutionnel (car un Gouvernement, quel qu’il soit) aura du mal à assouplir le droit pour les repris de Justice… à rebours de l’opinion publique dominante).
Le droit actuel sera très probablement jugé (comme déjà reconnu à mi-mots par le Conseil d’Etat, voir ci-avant) contraire au droit européen en tant qu’il ne prévoit « pas de dispositif de mise en conformité permettant à un opérateur économique candidat à l’attribution d’un contrat de concession d’échapper aux interdictions de soumissionner prévues en cas de condamnation pour certaines infractions » (avec sans doute la même contradiction avec le droit européen, hors concessions, pour les marchés publics). Cette mise en conformité (l’efficacité des mesures correctrices de la personne condamnée et repentie, en réception…) sera-t-elle appréciée par le juge pénal ? Ou autre ? A suivre. - à très court terme le Conseil constitutionnel ne sera pas le juge qui conduira le droit écrit à évoluer (en dépit de la position antérieure dudit Conseil sur l’automaticité de peines comparables !?), ce qui n’est pas sans commodité pour cette institution
- sur le terrain, en attendant, à court terme, force est aux acheteurs publics d’appliquer la solution malaisée de la décision précisée 419146 du Conseil d’Etat. Plus précisément, il leur faudra accepter qu’un tel candidat remplace l’absence de ces pièces par un tel argumentaire sur ces mesures correctrices… un tel plaidoyer étant, pour les acheteurs publics, à examiner au cas par cas avec beaucoup de prudence, cela va de soi.
Voici cette décision :

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