Dégradations commises par les gilets jaunes : comment se faire rembourser ? [courte VIDEO + article]

Nouvelle diffusion 

Les gilets jaunes ont, un peu partout sur le territoire national, commis de fortes dégradations au détriment des bâtiments publics, des voiries, du mobilier urbain… C’est un fait, quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir, par ailleurs, au sujet de ce mouvement. 

Or, l’Etat est responsable des dégâts résultants de tels « attroupements », dans un cadre juridique qui, cependant, n’est pas exempt de chausse-trappes. 

Il se trouve que le TA de Toulouse a rendu une intéressante décision indemnisant une ville et une métropole à ce titre, pour des sommes non négligeables (plus d’un million d’euros en tout).

Puis vint le tour du TA de Paris, dans le même sens…

Comment faire de même ? Voici un aperçu des réponses à cette importante question, via une courte vidéo et un bref article. 

 

I. Courte Vidéo (3 mn 10)

https://youtu.be/o1OZJAZ1-4s

 

II. Bref article

L’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure (CSI) dispose que :

« L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens.
« L’Etat peut également exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable, dans les conditions prévues au chapitre Ier du sous-titre II du titre III du livre III du code civil.
« Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée. »

… la notion d’attroupement concerné par ce régime pouvant donner lieu à de subtiles, trop subtiles, distinctions.

Voir : CE, 30 décembre 2016, SOCIETE GENERALI IARD et autres, n°389835 ; CE, 30 décembre 2016, Société Covea risks, n° 386536 ; CE, 11 juill. 2011, Sté Mutuelle d’assurances des collectivités locales, n°331669 ; Voir aussi CE, 23 février 1968, Epoux Lemarchand et autres, nos 72416, 72417, 7241455, au Recueil p. 132 ; CAA Lyon, 18 mai 2015, M. Bourgerol, n° 14LY00131. Pour un cas intéressant voir TA Nice, 5ème chambre, 20 décembre 2016, Fonds de Garantie des Victimes d’Actes de Terrorisme et d’Autres Infractions, n° 1501370, M. Parisot, pdt, M. Pascal, rapp., M. Taormina, rapp. publ. 

Voir  :

 

Voici une application intéressante dans le cas des dégradations commises lors des attroupements des (ou de) gilets jaunes.

Le TA condamne en effet l’État, au titre de ce régime, à indemniser la commune de Toulouse et Toulouse Métropole à hauteur respectivement de 559 794 euros et 648 960 euros en réparation des dégâts causés par les manifestations liées au mouvement dit des « gilets jaunes » entre novembre 2018 et juin 2019.
Voici le communiqué dudit tribunal qui en résume bien le contenu :
« Par deux décisions en date du 21 avril 2022, le tribunal administratif juge que certains des préjudices subis par la commune de Toulouse et Toulouse Métropole, ponctuellement ou de manière récurrente, au cours des manifestations dites des « gilets jaunes », résultent directement de délits commis dans le prolongement de ces manifestations, par des manifestants et non par des groupes extérieurs constitués dans l’unique objectif de commettre un délit.
Le régime de responsabilité sans faute du fait des attroupements ou rassemblements est un régime légal institué par la Convention du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795) pour réparer les préjudices subis par toute personne à cette occasion. Ce régime a été transféré des communes à l’État par la loi du 7 janvier 1983 et restitué à la juridiction administrative par la loi du 9 janvier 1986. Il est désormais prévu à l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure selon lequel : « L’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. »
Sur ce fondement, la commune de Toulouse demandait la condamnation de l’État à lui verser la somme totale de 2 457 721,91 euros au titre des préjudices qu’elle estime avoir subis à raison des délits commis à l’occasion des manifestations liées aux mouvements dit des « gilets jaunes » et, pour les mêmes raisons, Toulouse Métropole demandait la condamnation de l’État à lui verser une somme totale de 1 622 714,08 euros.
Après avoir rappelé que le critère de la préméditation ne permet pas, à lui seul, d’écarter l’engagement de la responsabilité de l’État qui doit être retenue si le délit s’est produit dans le prolongement immédiat de la manifestation et est le fait de personnes ayant participé à ce rassemblement, le tribunal a apprécié, pour chaque poste de préjudices invoqué, le caractère direct et certain du lien entre les délits commis à l’occasion des manifestations des « gilets jaunes » et les dommages ou manques à gagner allégués.
Ainsi, à titre d’exemples, le tribunal a retenu un lien direct et certain pour les dégradations commises sur les horodateurs situés en centre-ville, appartenant à la commune de Toulouse, qui se situaient sur le parcours du cortège et devenaient le support de messages revendicatifs exprimés par les manifestants. Il l’a également retenu pour les dégradations sur le mobilier urbain appartenant à Toulouse Métropole et sur les chaussées et trottoirs qu’elle entretient ou encore pour les frais de nettoyage de multiples tags et graffitis et enlèvements d’affiches sauvages qui ont mobilisé chaque week-end entre le 17 novembre 2018 et le mois de juin 2019 des moyens excédant les charges qui résultent habituellement de l’exercice de cette compétence par Toulouse Métropole.
 Le tribunal n’a toutefois pas retenu un tel lien pour la perte de recettes qui serait liée à la mise hors service des horodateurs de la commune, les usagers étant notamment censés rechercher un dispositif en état de fonctionnement à proximité dans un tel cas. Le tribunal a également écarté, pour absence de lien direct et certain, l’indemnisation des dégradations commises sur les caméras de vidéo-protection, ces dégradations ayant pu être commises par des éléments extérieurs à la manifestation. Enfin ont également été écartées l’indemnisation de l’annulation de la « fête de la Violette » par la commune de Toulouse qui résulte de la seule reconduite hebdomadaire des mobilisations tout comme celle de la perte de redevances liée à la baisse de la fréquentation des parkings du centre-ville demandée par Toulouse Métropole.

 

Voir sur le site Internet dudit TA :

 

Voici les mêmes jugements via un autre lien :

NB félicitations à Y. Goutal et à ses équipes. 

 

 

Or, voici que le TA de Paris a raisonné de même, au profit cette fois de la Ville de Paris, dont voici le communiqué de presse en date du 6 mai :

« Le Tribunal administratif de Paris condamne l’État à verser à la Ville de Paris une indemnité de 1,4 millions d’euros
Municipalité

L’État a été condamné à verser une indemnité d’un peu plus de 1,4 million d’euros à la Ville de Paris suite aux dégradations subies lors des manifestations dites des « gilets jaunes » au cours de la période de novembre 2018 à décembre 2019.

Le Tribunal administratif de Paris vient de rendre deux décisions par lesquelles l’État est condamné à verser à la Ville de Paris plus de 1,4 millions d’euros en raison des dégradations subies à l’occasion des manifestations organisées dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes ».

Les décisions condamnent l’État à indemniser la Ville de Paris à hauteur de 963 058,82 euros pour la période entre le 28 novembre 2018 au 31 mars 2019 et de 451 527,44 euros pour la période entre le 1er avril 2019 et le 1er décembre 2019.»

Sources :

 

Avec 4 étapes :

  • Etape 1 : calculer le préjudice, le faire évaluer de manière solide ; avec un contrôle juridique rigoureux à cette étape… et en prenant en compte ce qui a été, ou non, assuré. Parfois ce sera à l’assureur de suivre ce mode d’emploi.
    … en démontrant que la collectivité a tenté de protéger ses matériels (et donc n’a pas alimenté le mouvement et les casses qui en ont résulté).
  • Etape 2 : faire une demande préalable à l’Etat
  • Etape 3 : attaquer le refus explicite ou implicite de l’Etat par un recours indemnitaire (plein contentieux) à bien sécuriser en droit, naturellement
  • Etape 4 : espérer que l’Etat ne fera pas adopter en loi de finances un mécanisme spécifique d’indemnisation pour couper l’herbe sous le pied de ces recours. Mais cela semble à ce jour peu probable

 

Attention :

  • la collectivité ne pourra pas agir dans les domaines où elle a été intégralement indemnisée par son assureur (à charge pour l’assureur de se retourner, lui, contre l’Etat)… ce qui lui laisse tout de même les dommages non assurés ou affectés de franchises…
  • il faut réaliser un estimatif des dépenses, solide, après expertise ou autre production de factures, mais aussi et surtout prouver le lien de cause à effet (direct et certain) entre les dommages et les dégradations commises par les gilets jaunes (et non par des groupes isolés et non par des délinquants identifiés s’étant insérés dans la manifestation, pour schématiser).Citons l’affaire toulousaine, singulièrement instructive :
    • pour les dégradations subis par les horodateurs, recouverts de peinture ou détruits, la collectivité a gagné à avoir produit des clichés photographiques desquels il ressort que le contenu revendicatif des messages du mouvement des gilets jaunes s’y trouvaient reproduits, conduisant à rejeter l’argumentation de la préfecture imputant ceci à des groupes isolés (et donc pas à des attroupements). Mais la commune de Toulouse n’a pas pu prouver son préjudice notamment en raison du fait que les pertes de recettes liées à la mise hors service des horodateurs avait été peut être compensée par le recours, par les usagers, d’autres horodateurs (et la baisse globale pouvant avoir eu d’autres causes).
    • de même ne suffit-il pas de produire des devis pour prouver que des dégradations de caméras de vidéo-protection et de leurs mâts provenaient des gilets jaunes.
    • en revanche la ville a bien réussi à apporter une telle preuve pour les dégradations de ses espaces verts.
    • etc.
  • encore faut-il après envoyer à l’Etat une demande préalable (recours administratif préalable obligatoire, ou RAPO).
  • puis il sera possible de passer à la phase contentieuse (sur l’enchaînement entre RAPO et recours, voir CE, 16 juin 2021, n° 440064 puis CE, 21 juin 2021, n°437744).

Le TA à saisir est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu où s’est produit le fait générateur du dommage (CE, 12 février 2020, n° 436603, aux tables).

Enfin, il faut faire vite… car certains de ces dégâts seront bientôt prescrits au titre de la déchéance quadriennale.

De plus, il n’est pas impossible que l’Etat, comme il a toujours bien su le faire, ne finisse par faire une loi d’indemnisation à des conditions avantageuses pour lui, afin de couper l’herbe sous le pied des plus tardifs des requérants…

 

Conclusion : communes, départements, voire régions ou intercommunalités, vous avez 4 ans à compter des dégradations commises par les Gilets jaunes pour former une demande préalable, prélude à un recours contentieux.

A la condition de sécuriser le calcul du préjudice, de démontrer que la collectivité a tenté de faire ce qu’elle pouvait (par exemple les collectivités qui ont ouvertement alimenté ce mouvement auront du mal à s’en plaindre ensuite…)

NB sur ce dernier cas, voir une illustration : Un maire (comme ce fut fait dans le Nord) peut-il faire mettre un grand gilet jaune en fronton de sa mairie ? 

 

 


 

Voir aussi :