Peut-on interdire le « barefooting » ?

Nouvelle diffusion de notre article de 2018… tout simplement parce que visiblement et vu la canicule, la question se pose de nouveau 

Peut-on réglementer la promenade pieds nus dans les bâtiments publics ?

Oui avait répondu le TA de Besançon dans un jugement plaisant. Il s’agissait de répondre à un requérant adepte du « barefooting » au point d’avoir cru bon d’engager un recours pour excès de pouvoir contre un règlement intérieur interdisant de se promener nus pieds dans un équipement public (règlement intérieur du site de la Citadelle de Besançon, applicable à l’ensemble formé par la Citadelle, les musées, le jardin zoologique, l’aquarium, l’insectarium, le noctarium et tous les cheminements et installations ouverts à la circulation du public).

Le requérant s’était cru attaqué dans ses droits fondamentaux d’adepte du « barefooting » là où le juge, plus prosaïquement, n’y a vu qu’une protection fondamentale reconnue à ses plantes de pieds de ne pas se blesser.

Voir pour ce jugement de première instance :

 

Après la CAA, le Conseil d’Etat vient de confirmer cette position… mais non sans nuances. 

 

I. Chaque partie du site doit trouver chaussure à son pied

 

Le considérant 4 est un rappel pur est simple aux règles en ce domaine :

« Le règlement définissant les conditions de visite d’un ouvrage public ouvert au public a notamment pour objet d’y assurer la sécurité et le bon ordre en conformité avec sa destination. Les obligations pesant à ce titre sur les visiteurs ne doivent pas entrainer de sujétions excédant ce qui est nécessaire aux buts qu’elles poursuivent.»

 

Une interdiction peut être générale, mais au juge d’examiner pas à pas la pertinence de celle-ci pour chaque partie du site :

« 5. Aucune règle ni aucun principe ne font obstacle à ce que le règlement d’un ouvrage public ouvert au public édicte une interdiction générale, alors même que cet ouvrage public serait constitué de plusieurs composantes distinctes. Il appartient toutefois au juge de l’excès de pouvoir de contrôler si une telle interdiction est justifiée pour chacune des parties distinctes du site auxquelles elle s’applique.»

 

 

II. Dans la plupart des sites, le requérant ne peut prendre son pied

 

Pour certaines parties du site, le CE reconnaît la légalité de l’interdiction pour des raisons de police et de sûreté, ce qui fera les pieds au requérant (qui, sans doute, n’osera pas remettre les pieds — désormais chaussés donc — dans la Citadelle) :

« il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour la partie du site, accessible depuis le Front royal, constituée de la cour intérieure de la forteresse, qui est délimitée par les remparts et dans laquelle se trouvent divers bâtiments abritant des musées, dont le musée de la Résistance et de la déportation et le musée comtois, l’interdiction de marcher pieds nus, fondée sur la nécessité de garantir le bon ordre et d’assurer la jouissance paisible du site en exigeant une tenue vestimentaire correcte au regard des usages, porte une atteinte excessive à la liberté d’aller et venir, à la liberté personnelle et aux droits protégés par les articles 8, 9 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

« […] compte tenu de la configuration des lieux et en particulier de la nécessité de traverser la cour intérieure de la forteresse pour y accéder, il en va, en tout état de cause, de même pour le jardin zoologique. »

 

III. Cependant, pour le parc, le règlement était un colosse aux pieds d’argile

Mais le juge nuance son propos et estime illégal l’interdiction générale et permanente du bare-footing pour d’autres sites :

« en revanche, pour la partie du site de la Citadelle dénommée  » le Glacis « , en accès libre, qui est constituée d’un vaste parc abritant de larges pelouses, agrémentées d’espaces de pique-nique, destinées notamment à la promenade et aux loisirs des visiteurs, il ressort des pièces du dossier qu’eu égard aux motifs retenus par les auteurs du règlement tirés, d’une part, de la nécessité de garantir le bon ordre et la jouissance paisible du site, et, d’autre part, de la nécessité d’assurer la sécurité des visiteurs en prévenant les accidents et blessures susceptibles de se produire à raison des installations de chantier et des engins circulant pour les besoins des travaux effectués sur ce site, laquelle ne pourrait, le cas échéant, justifier qu’une interdiction partielle ou temporaire, l’interdiction générale et permanente de marcher pieds nus impose aux visiteurs des sujétions excessives au regard des buts poursuivis. »

 

Dès lors, cette partie du règlement a déjà six pieds sous terre, mais juste pour une petite partie du site. Le dispositif final de l’arrêt étant particulièrement précis afin que les autorités sachent sur quel pied danser  :

«  M. B…est seulement fondé à demander l’annulation du jugement du tribunal administratif de Besançon du 14 avril 2016 en tant qu’il rejette sa demande tendant à l’annulation du refus d’abroger les dispositions de l’article 4 du règlement intérieur interdisant aux visiteurs de marcher pieds nus dans la partie du site comprise entre le Front Saint-Etienne et le Front royal et à ce qu’il soit enjoint de procéder à l’abrogation, dans cette mesure, du règlement de la citadelle de Besançon. »

 

Voici cet arrêt où chacun trouvera chaussure à son pied :

 

Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 03/10/2018, 414535, Inédit au recueil Lebon