A la suite de la diffusion, le 20 septembre 2020, de l’émission ” Face à l’info ” sur le service de télévision CNEWS, le CSA (devenu Arcom) a infligé à la société d’exploitation d’un service d’information, exploitante du service CNEWS, une sanction pécuniaire de 200 000 euros en raison de propos tenus lors de cette émission par son chroniqueur régulier, à savoir Eric Zemmour.
Lors de cette émission, celui-ci a (citons le Conseil d’Etat) :
« affirmé à plusieurs reprises, de manière véhémente et sans qu’aucune contradiction sérieuse ne lui soit portée, que les étrangers ” mineurs isolés “, c’est-à-dire entrés en France sans leur famille, étaient ” pour la plupart “, des ” voleurs “, des ” violeurs ” et des ” assassins “, que leur présence en France était assimilable à une ” invasion ” et que le risque que leur présence faisait courir à la population française était tel que plus aucun d’entre eux ne devait être accueilli en France.»
La société, mais aussi ce chroniqueur, ont engagé un recours contre cette sanction.
Le 12 juillet 2022, le Conseil d’Etat a :
- posé que l’auteur des propos en cause, alors même que cette sanction porterait, selon lui, atteinte à sa réputation, n’est pas recevable à en demander l’annulation. Exit le recours de M. E. Zemmour, lequel eût sans doute été mieux inspiré en droit à déposer une “intervention volontaire” à l’appui de la requête.
Voir par analogie et dans le même sens : CE, 13 juillet 2006, Lefevre, n° 285081, rec. T. p. 741 ; CE, 28 novembre 2014, Société Arkeon Finance et autres, n° 362868, rec. T. pp. 509-534-783-847 ; CE, 3 décembre 2018, Mme , M. et EURL Abbatial Immobilier, n° 409934, rec. T. pp. 573- 819. - validé cette sanction fondée :
- d’une part, sur la méconnaissance par la chaîne de son obligation de ne pas diffuser de programmes incitant à la haine et de ne pas encourager des comportements discriminatoires, résultant de l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 et de l’article 2-3-2 de la convention du 27 novembre 2019 signée entre la société éditrice de services de télévision et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)
- et, d’autre part, sur un manquement à son obligation de maîtrise de l’antenne résultant de l’article 2-2-1 de la même convention.
Le Conseil d’Etat a estimé que la diffusion dans ces conditions de tels propos incitant à la haine et à des comportements discriminatoires envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur nationalité caractérise une méconnaissance de l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 et de l’article 2-3-2 de la convention du 27 novembre 2019.
Surtout, il a noté qu’aucune réaction suffisamment marquée n’a été apportée aux propos tenus par l’intervenant par les personnes présentes sur le plateau.
Demeure, selon la Haute Assemblée, sans incidence la circonstance qu’il ait été indiqué à l’antenne que ces propos n’émanaient pas de la chaîne, mais du chroniqueur, au demeurant collaborateur de la chaîne et non simple invité.
Ces propos ont été diffusés sans modification, alors que l’émission était diffusée avec un léger différé. Par suite, l’éditeur de services a manqué à son obligation de maîtrise de l’antenne.
Conclusions :
- pour ces sanctions, le recours est bien à faire par la société sanctionnée (les chroniqueurs doivent tout au plus déposer des interventions volontaires)
- toute chaîne doit en apprendre les leçons suivantes :
- choisir ses intervenants pour des raisons d’audimat, certes, mais avec tout de même un minimum de prudence juridique, ce qui revient à écarter ceux qui dérapent
- dire que l’on se dégage de toute responsabilité ne sert à rien
- faire du replay après un incident, sans coupures, est le meilleur moyen d’être condamné après un dérapage majeur
- les présentateurs ne sont pas que des passe-plats : ils doivent à chaud, mais avec sang-froid, apporter la contradiction ou à tout le moins la distance nécessaire après un dérapage.
Cet arrêt sera à publier aux tables du recueil Lebon… alors qu’en termes de mode d’emploi journalistique comme de procédure en contentieux administratif, il ne fait que rappeler des évidences.
Source : Conseil d’État, 12 juillet 2022, n° 451897, à publier au recueil Lebon