EPL, mandats locaux… Ne pas respecter le plafond des indemnités de fonctions, c’est prendre le risque d’une concussion

Pour la Cour de cassation, un élu expérimenté est supposé savoir que les indemnités de fonctions qu’il perçoit en tant que président de SEML sont à intégrer dans le calcul du plafonnement des indemnités de fonction des élus locaux et donc, est présumé coupable, en pareil cas, d’avoir commis la redoutable infraction de concussion. 

 

Aux termes de l’article 432-10 du code pénal :

« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.
« 
Est puni des mêmes peines le fait, par les mêmes personnes, d’accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires.
« 
La tentative des délits prévus au présent article est punie des mêmes peines. »

Il résulte de ces dispositions que le délit de concussion exige l’existence d’un élément personnel, d’un élément matériel et d’un élément intentionnel pour être constitué :

  1. l’élément personnel: l’auteur des actes doit avoir la qualité de dépositaire de l’autorité publique, de personne chargée d’une mission de service public, de comptable public ou de dépositaire public.
    Sur ce point, a par exemple été reconnu coupable au sens de l’article 432-15 un président de chambre de commerce et d’industrie (Cass. crim, 27 novembre 2002, n°02-81252) ou encore le président d’un syndicat mixte dont les dépenses de fonctionnement sont financées qui accepte qu’un employé détaché dans ce syndicat mixte n’y exerce aucune activité et soit rémunéré par ledit syndicat (Cass. crim., 30 mai 2001, n° 00-84102) ;
  1. l’élément matériel peut résulter :
    • soit du fait pour une des personnes visées ci-dessus de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir des droits, contributions, impôts et taxes qu’elle sait ne pas être dû ou excédant ce qui est dû (Cass. Crim. 21 mars 1995, req. n° 92-85916). L’ordonnancement du paiement d’une dépense n’est pas considéré comme un ordre de perception au titre de l’article 432-10 du code pénal (Cass. crim, 27 juin 2001, n°00-83739 et n°95-80784, Bull. crim. n°162) ;
    • soit du fait d’accorder, sous une forme quelconque, une exonération ou une franchise de droits, contributions, impôts ou taxes en méconnaissance des dispositions applicables.

Si les mots « contributions », « impôts » et « taxes » renvoient nécessairement à des formes d’imposition, le terme de « droits » est plus large et ne renvoie pas à des éléments limitativement énumérés.

Ainsi, le délit de concussion peut être constitué lorsqu’un dépositaire de l’autorité publique ou chargé d’une mission de service public se fait délivrer des indemnités de fonction qui n’étaient pas dues (Cass. crim., 14 février 1995, n° 94-80797) ou encore lorsqu’un agent contractuel d’une collectivité territoriale perçoit, au-delà de ceux auxquels il sait avoir droit, des salaires et indemnités dont l’attribution et le montant sont arrêtés par l’autorité publique compétente (Cass. Crim. 24 octobre 2001, n° 00-88165). Cela peut même s’appliquer à une fraude au compte épargne temps et donc à l’octroi de congés fictifs en résultant (en l’occurence pour un directeur d’une URSSAF ; c’est un audit de la Cour des comptes qui avait en l’espèce, comme assez souvent d’ailleurs, révélé le pot-aux-roses : voir Cass. crim., 29 juin 2016, n° 15-82.296 ; voir ici cet arrêt et notre article).

  1. l’élément moral résulte de ce que le prévenu sait que les sommes en cause ne sont pas dues ou excèdent ce qui est dû, ou qu’il ne peut ignorer que les textes font obstacle à ce qu’il accorde une franchise ou une exonération.

N.B. : la concussion ne se prescrit, par trois ans, qu’à compter du dernier mouvement financier concerné, à la dernière perception financière résultant de ladite concussion (voir  (Cass. Crim., 31 janvier 2007, n° 05-87.096 et n° 06-81.273, Bull. 24).

Dans le cas des indemnités de fonctions, il en résulte des grilles de lecture complexes puisque selon les cas des indemnités de fonctions illégales seront à rembourser ou non, en droit administratif, selon l’acte attaqué, avec un changement total de braquet en revanche si l’affaire glisse vers du pénal (voir notre article : Des indemnités de fonctions illégales sont-elles à rembourser ensuite ? ).
Une nouvelle affaire, initialement lancée à la suite d’un signalement opéré par le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), et récemment jugée par la chambre criminelle de la Cour de cassation, vient d’illustrer et de préciser ce point.

Un conseiller régional réunionnais avait perçu pour les années 2016, 2017 et 2018 des sommes excédant le montant plafonné des rémunérations et indemnités des élus locaux prévu par l’article L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales (CGCT), en raison notamment de sa rémunération en tant que président d’une SEML. 

Cet élu a tenté de soutenir que les sommes perçues en tant que président directeur général ne sont pas explicitement visées par l’article L. 4135-18 du CGCT et n’entreraient donc pas dans le calcul de l’écrêtement.

La Cour de cassation :

  • pose que ces sommes sont à intégrer dans l’écrêtement (ce qui n’était pas douteux) :
    • « 19. En deuxième lieu, l’article L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales détermine un plafond total de rémunération et d’indemnité de fonction pour le conseiller régional titulaire d’autres mandats électoraux ou qui siège à ce titre, notamment, au conseil d’administration ou au conseil de surveillance d’une SEML ou qui préside une telle société. »
  • applique à cette infraction ce qu’elle a déjà prévu pour la prise illégale d’intérêts ou le favoritisme, à savoir une présomption de connaissance des règles et de caractère délibéré de la violation de la règle de droit, qui risque d’être redoutable pour nombre d’élus ou de cadres territoriaux dans certains cas. Citons la Cour de cassation :
    • « 15. Les juges soulignent que M. [U] avait suffisamment d’expérience en tant qu’élu local pour considérer qu’il a agi sciemment. Qu’il ne pouvait, en effet, ignorer que l’exercice de la direction générale de la société [1] était attaché, de par les conditions de sa désignation en tant qu’élu de la Région au sein d’une structure majoritairement détenue par celle-ci et abondée par des fonds publics, à l’exercice de sa fonction de président de la société et qu’il aurait dû a minima s’interroger, en sa qualité de dépositaire de l’autorité publique, sur le cumul des rémunérations, ne pouvant valablement s’exonérer par l’absence d’alertes préalables émanant des services administratifs du conseil régional.
      « 16. Les juges concluent qu’en omettant de déclarer des rémunérations qu’il savait excéder ce qui lui était dû en sa qualité d’élu, M. [U] s’est rendu coupable du délit de concussion.
      « 17. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision et n’a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent. »
  • confirme que le remboursement des sommes n’absout rien quant au principe même de la commission de l’infraction (mais s’impose souvent en pratique pour faire bonne figure et diminuer le quantum de la peine) :
    • « 20. En troisième lieu, l’élément moral du délit de concussion, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, se déduit de la matérialité des faits et ne saurait être remis en cause par un acte qui leur est postérieur tel le remboursement des sommes considérées comme un trop-perçu. »
  • casse, marginalement, l’arrêt d’appel sur la fixation du quantum de la peine faute de motivation suffisante.

 

D’où le résumé suivant (publication au bull.) :

« L’article 432-10 du code pénal punit, notamment, le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de percevoir à titre de droits une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû. Justifie sa décision la cour d’appel qui déclare coupable de concussion un conseiller régional percevant des sommes excédant le montant plafonné des rémunérations et indemnités de fonction des élus locaux prévu par l’article L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales alors que, titulaire d’autres mandats, il perçoit également une rémunération à titre de président directeur général d’une société d’économie mixte locale, fonction qu’il occupe en tant que président du conseil d’administration de cette société, dans laquelle il siège en raison de sa désignation comme élu de la Région. »

 

Voici cette décision :

Cass. crim., 7 décembre 2022, n°21-83.354

Photo : coll. pers. (image de la partie pénale de notre bibliothèque)