Une entreprise en monopole de fait (production d’énergie nucléaire, en l’espèce) peut se voir imposer des contraintes particulières de revente à ses concurrents en temps exceptionnels

EDF, en monopole de la production d’électricité nucléaire, peut se voir imposer des reventes à ses concurrents. Ce qui n’est pas nouveau. Mais ces reventes peuvent augmenter selon les évolutions des cours en périodes exceptionnelles, vient de trancher le Conseil d’Etat.

 

 

EDF n’est plus en monopole du point de vue de la distribution.

NB : à ne pas confondre avec Enedis (anciennement ERDF), qui est est le gestionnaire — monopolistique — du réseau électrique dans le cadre d’une délégation de service public. Filiale à 100 % d’EDF, Enedis n’offre en effet pas d’avantage avec EDF par rapport à d’autres fournisseurs.

Mais EDF dispose du monopole d’exploitation du parc électronucléaire français.

NB : ce monopole n’est pas de droit, mais de fait. Sa seule valeur juridique est celle d’un constat de ce fait opéré par notamment la combinaison entre les articles L. 336-1 et L. 336-2 du Code de l’énergie (issus lointainement des I et le II de l’article 1er de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010).

 

Il en résulte un dispositif : l’« ARENH » (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique), qui permet à tous les fournisseurs alternatifs (concurrents d’EDF sur le marché de la distribution, donc) de s’approvisionner en électricité auprès d’EDF dans des conditions fixées par les pouvoirs publics.

La mise en place du dispositif ARENH résulte d’un engagement de l’État français auprès de la Commission Européenne qui a été instauré par la loi NOME (loi portant Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité) du 7 décembre 2010, souvent modifié depuis. Les modalités de fonctionnement de ce dispositif sont désormais intégrées dans le code de l’énergie.

Reste que ce régime de revente aux concurrents fait beaucoup réagir… Voir par exemple ici et

Compte-tenu de ces paramètres, les juridictions avaient déjà posé :

Or, saisi par EDF et des organisations de salariés et d’actionnaires, le Conseil d’État a jugé vendredi dernier que le décret n° 2022-342 du 11 mars 2022, augmentant le volume d’électricité vendu par EDF à ses concurrents en 2022 dans le cadre de l’ARENH, est légale.

Il s’agissait, par ce décret, d’éviter que les clients des fournisseurs concurrents d’EDF ne subissent une hausse massive de leurs factures d’électricité.

Prise dans un contexte exceptionnel pour contenir la hausse des prix, le Conseil d’État estime que cette mesure n’est pas excessive pour atteindre les objectifs de libre choix du fournisseur et de stabilité des prix, qu’elle ne porte pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre d’EDF et qu’elle ne méconnaît pas le droit de l’Union européenne.

Après s’être prononcé en urgence (référé) en mai dernier, le Conseil d’État juge donc que cette mesure est conforme au droit national et au droit de l’Union européenne.

En effet, le Conseil d’État juge qu’elle ne crée pas un nouveau dispositif, mais qu’elle a seulement augmenté, dans le cadre de l’ARENH, le volume global maximal d’électricité susceptible d’être cédé par EDF au titre de l’année 2022.

NB : ce pour quoi les requérants avaient tout de même quelques raisonnements à faire valoir (y compris par référence avec CE, 9 juin 2022, Société Oui Energy, n° 454294, aux Tables). En vain, donc. 

Le Conseil d’État juge que ce rehaussement de 100 à 120 térawattheures du volume global maximal d’électricité répond aux objectifs de la loi de 2010 – garantir le libre choix du fournisseur et la stabilité des prix –, et n’est pas excessif pour les atteindre compte tenu du contexte exceptionnel. Il estime, en outre, que ces mesures ne portent pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre d’EDF.

Enfin, le Conseil d’État juge que ni l’ARENH initial ni son relèvement exceptionnel en 2022 ne constitue une aide d’État aux clients des fournisseurs concurrents qui aurait dû être notifiée à la Commission européenne.

NB : là encore c’est pourtant une aide donnée à des entreprises, non ?

Voici le résumé des tables du rec. relatif à cette décision, tel que préfiguré dans le résumé de la base Ariane (version longue dudit résumé) :

«  Requérants demandant l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités d’attribution d’un volume additionnel d’électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), de deux arrêtés du même jour des ministres chargés de l’économie et de l’énergie ayant fixé, d’une part, à 20 térawattheures (TWh) le volume attribué en application de ces dispositions, en complément du volume global maximal de 100 TWh défini par un arrêté du 28 avril 2011, et, d’autre part, à 46,20 euros par mégawattheure (MWh) le prix de ce volume d’électricité additionnel, ainsi que de deux arrêtés des 12 et 25 mars 2022 ayant précisé les modalités de cession des garanties de capacité devant être transférées à chaque fournisseur à raison de ce volume additionnel d’électricité cédé à titre exceptionnel et défini un nouveau modèle d’accord-cadre pour l’ARENH. 1) Il résulte des articles L. 331-1, L. 336-1 et L. 336-2, du dernier alinéa de l’article L. 336-3, des articles L. 336-5 et L. 336-10 du code de l’énergie que l’obligation imposée à EDF d’offrir à la vente un volume d’électricité d’origine nucléaire à un prix déterminé a pour objet, d’une part, d’assurer la liberté de choix du fournisseur, garantie par l’article L. 331-1, en faisant bénéficier l’ensemble des fournisseurs et leurs clients de la compétitivité du parc électronucléaire français et, d’autre part, de contribuer à la stabilité des prix. L’article L. 336-2 prévoit que le volume global maximal d’électricité pouvant être cédé dans le cadre de l’ARENH doit être strictement proportionné à ce double objectif. L’article 62 de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat a porté de 100 à 150 TWh le volume global maximal d’électricité à compter du 1er janvier 2020, ramené à 120 TWh par l’article 39 de la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat. D’une part, en portant de 100 à 120 TWh le volume global maximal d’électricité que EDF est susceptible de céder aux fournisseurs alternatifs au titre de l’année 2022 dans le cadre de l’ARENH, l’arrêté contesté du 11 mars 2022 fixant ce volume n’excède pas le plafond fixé par l’article L. 336-2 du code de l’énergie. D’autre part, en subordonnant le bénéfice de volumes additionnels d’électricité à la condition que les fournisseurs alternatifs aient reçu, de la part de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), une notification de volumes d’électricité au titre de la période de livraison ayant débuté le 1er janvier 2022, l’article 4 du décret du 11 mars 2022 ne soumet pas ces fournisseurs à une obligation nouvelle mais tire la conséquence du caractère additionnel de ces volumes d’électricité, lesquels viennent en complément des 100 TWh attribués aux fournisseurs, dont les demandes formulées en novembre 2021 à hauteur de 160 TWh n’avaient été satisfaites que dans la limite du plafond initial de 100 TWh défini par l’arrêté du 28 avril 2011. De même, l’article 5 de ce décret n’institue pas un mécanisme d’achat-revente étranger au régime de l’ARENH mais impose aux fournisseurs qui souhaitent bénéficier de ces volumes d’électricité additionnels de vendre à EDF les volumes équivalents acquis sur le marché, faute pour leurs demandes formulées en novembre 2021 d’avoir été satisfaites en totalité. Il suit de là que les actes contestés n’instituent pas un dispositif distinct du régime de l’ARENH mais se bornent, dans ce cadre, à augmenter le volume global maximal d’électricité susceptible d’être cédé par EDF au titre de l’année 2022 et à fixer les modalités spécifiques d’attribution de ces volumes additionnels alloués à titre exceptionnel. Ces actes trouvent ainsi leur base légale dans l’article L. 336-10 du code de l’énergie et n’empiètent pas sur le domaine de la loi défini à l’article 34 de la Constitution. 2) a) Le rehaussement pour l’année 2022 du volume global maximal de l’ARENH a été décidé afin de répondre à la hausse exceptionnelle des prix de gros de l’électricité, entraînant d’importants surcoûts sur le marché de détail de l’électricité. Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait ainsi valoir, sans être contredit sur ce point, que cette hausse inédite des prix se serait traduite, sans la mesure litigieuse, par une augmentation moyenne des dépenses d’électricité de 18 % pour les consommateurs résidentiels au cours de l’année 2023 et, dès l’année 2022, de 23 % pour les petits professionnels, de 40 % pour les entreprises et les collectivités territoriales, et de 100 à 130 % pour les entreprises industrielles dites « électro-intensives ». Du fait du rehaussement du volume global maximal de l’ARENH, cette hausse serait respectivement de 11 %, de 14 à 16 %, d’environ 20 % et de 60 à 100 %. Il est constant, par ailleurs, que les demandes d’électricité formulées en novembre 2021 dans le cadre de l’ARENH pour un volume global de 160 TWh n’ont été satisfaites qu’à hauteur de 100 TWh et que certains fournisseurs alternatifs d’électricité présents sur le marché français se sont retirés ou ont été absorbés du fait de la crise énergétique. Il résulte des éléments qui précèdent que le rehaussement de 20 TWh du volume global maximal d’électricité pouvant être cédé dans le cadre de l’ARENH pour l’année 2022, prévu par l’arrêté du 11 mars 2022, répond aux objectifs de libre choix du fournisseur et de stabilité des prix fixés par les articles L. 336-1 et L. 336-2 du code de l’énergie et n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre, dans un contexte exceptionnel, ces objectifs. b) S’il résulte des articles L. 336-3 et L. 336-5 du code de l’énergie, que le volume global maximal d’électricité susceptible d’être cédé par EDF au titre de l’ARENH est en principe calculé pour une année, ces articles ne font obstacle ni à ce que ce volume soit rehaussé en cours d’année civile ni à ce que la période de livraison effective sur une période de douze mois soit infra-annuelle. Par suite, en prévoyant une période de livraison complémentaire d’un an courant à compter du mois d’avril 2022 avec une livraison effective comprise entre les mois d’avril et décembre 2022, l’article 2 du décret du 11 mars 2022 ne méconnaît pas les articles L. 336-3 et L. 336-5 du code de l’énergie. c) Il en résulte également qu’en imposant à EDF l’obligation de livrer un volume additionnel au cours de l’année 2022, en sus de celui arrêté en novembre 2021, l’article 6 du décret du 11 mars 2022 n’a pas remis en cause, à son égard, une situation juridiquement constituée. d) Le rehaussement de 20 TWh du volume global maximal d’électricité pouvant être cédé en 2022 par EDF aux fournisseurs d’électricité dans le cadre de l’ARENH s’inscrit dans un contexte de tensions inédites sur le marché de l’électricité et répond au double objectif d’intérêt général assigné à l’ARENH, consistant, d’une part, à garantir la liberté de choix du fournisseur d’électricité en développant et en maintenant une concurrence équilibrée sur le marché de la fourniture d’électricité et, d’autre part, à assurer la stabilité des prix à un niveau raisonnable pour le consommateur final en faisant bénéficier l’ensemble des fournisseurs et leurs clients de la compétitivité du parc électronucléaire français. Dans les circonstances particulières de l’espèce, le rehaussement transitoire contesté qui répond à une situation de crise exceptionnelle, ne porte pas à la liberté d’entreprendre d’EDF, qui dispose du monopole d’exploitation du parc électronucléaire français, une atteinte disproportionnée au regard des objectifs poursuivis par la mesure contestée. 3) Ainsi qu’il ressort d’ailleurs de la décision de la Commission européenne du 12 juin 2012 et de son avis du 27 août 2021 relatif au plan de mise en oeuvre présenté par la France établi conformément à l’article 20, paragraphe 5, du règlement (UE) 2019/43 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019, l’ARENH est apparu, après la libéralisation totale du marché français de l’électricité, intervenue le 1er janvier 2004 pour les clients professionnels et le 1er janvier 2007 pour l’ensemble des clients, compte tenu de la dimension et du caractère non-réplicable des avantages concurrentiels que conférait et confère à EDF l’exploitation de son parc de production électronucléaire, comme un moyen de contribuer au développement de la concurrence sur le marché français et européen de l’électricité. Par ailleurs, il résulte des articles L. 331-1, L. 336-1 et L. 336-2, du dernier alinéa de l’article L. 336-3, des articles L. 336-5, L. 336-10, L. 337-13, L. 337-14 et L. 337-16 du code de l’énergie que l’ARENH a été institué pour une période transitoire, qu’il bénéficie à tous les fournisseurs d’électricité qui en font la demande et qui alimentent ou qui prévoient d’alimenter des consommateurs finals ou des gestionnaires de réseaux sur le territoire français continental, que le volume global maximal d’électricité susceptible d’être cédé dans le cadre de l’ARENH doit être strictement proportionné aux objectifs poursuivis tenant au développement de la concurrence et à la stabilité des prix et que le prix d’achat doit être représentatif des conditions économiques de production par les centrales nucléaires de l’opérateur historique. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier ni que le plafond du volume global maximal d’électricité susceptible d’être cédé dans le cadre de l’ARENH, fixé par l’article L. 336-2, ni que le volume global maximal d’électricité fixé, dans le cadre de cet article, par les ministres chargés de l’économie et de l’énergie, ni que le prix d’achat fixé par ces mêmes ministres ont excédé et excède ce qui était et reste nécessaire afin de réduire les écarts de coûts d’approvisionnement en électricité entre EDF et les autres fournisseurs d’électricité. Dès lors, en imposant à EDF de céder une part de l’électricité produite par le parc nucléaire français et en offrant ainsi aux fournisseurs alternatifs la possibilité de réduire leurs coûts d’approvisionnement en électricité, favorisant de ce fait le développement de la concurrence sur le marché de l’électricité, l’ARENH doit être regardé comme un mécanisme opérant un rééquilibrage des charges entre opérateurs sur le marché de l’électricité français aux fins de favoriser la concurrence, et ne saurait par suite caractériser l’existence d’une aide au sens du paragraphe 1 de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Par suite, les actes attaqués ne sont pas dépourvus de base légale faute pour l’article L. 336-2 du code de l’énergie d’avoir fait l’objet d’une notification à la Commission européenne au titre du régime des aides d’Etat.  »

Et voici cette décision qui sera publiée en intégral au rec. :

Conseil d’État, 3 février 2023; n° 462840, publié au recueil Lebon

 

Source : centrale nucléaire de Doel, près d’Anvers (B) – crédits photographiques Nicolas HIPPERT (sur Unsplash)