Commande publique et rédemption des soumissionnaires repris de Justice : un nouveau mode d’emploi au JO de ce matin

Pour se mettre en conformité avec le droit européen, une loi, publiée au JO de ce matin, ajuste le régime applicable aux soumissionnaires interdits de commande publique, en théorie, mais qui peuvent justifier suffisamment de leur rédemption pour tenter, de nouveau, de répondre aux mises en concurrence. 

 


 

Etape 1 : 

Un candidat peut être interdit de marché public. Voir sur ce point, notamment, l’article L. 2141-4 du code de la commande publique (CCP)
(qui prévoit diverses exclusions de la procédure de passation des marchés les personnes condamnées pour diverses infractions — entre autres).

Etape 2 :

Oui mais encore faut-il prendre en compte le fait qu’en en pénal, l’appel est suspensif, sauf si le juge décide de l’exécution provisoire de la peine.

Voir sur ce point l’article 506 du code de procédure pénale.

Il en résulte que si vous lancez un marché ou une DSP et qu’au nombre des candidats, se trouve une personne condamnée au pénal, au point d’être exclue des marchés publics… il faut vérifier si c’est à titre définitif (par exemple il y a-t-il eu appel ? si oui, il y avait-il eu exécution provisoire décidée par le juge de première instance ?).

  • s’il n’y a pas eu appel, la condamnation est définitive… le soumissionnaire est exclu de la commande publique
  • s’il y a eu appel mais avec exécution provisoire en 1e instance, au pénal, alors, là encore, le soumissionnaire est exclu de la commande publique
  • s’il y a eu appel et sans exécution provisoire en 1e instance, au pénal, alors, cette fois le soumissionnaire n’est pas exclu de la commande publique  tant que le juge d’appel ne s’est pas prononcé

Sur ces points, voir la décision du Conseil d’Etat dans une décision n° 464479, en date du 2 novembre 2022, à publier aux tables. Il s’agit d’un rebond d’une affaire intéressante en termes par ailleurs de sourcing. Voir  CAA de Versailles, 5e chambre, 16 juin 2022, n° 19VE03858 qui avait été commentée ici par mon associée E. Karamitrou, en vidéo : Procédure de sourcing et communication d’informations privilégiées [VIDEO] 

NB : cela rend sans doute très discutable cette décision du TA de Pau, 21 mars 2022, société Chalair Aviation, req. n°2200424). Et lire à ce sujet : L’appel d’un jugement excluant de la commande publique n’entraine pas la suspension de cette exclusion 

Etape 3 :

Si de l’étape 2 il résulte que le candidat devrait être exclu de la commande publique… alors en droit français il en résulte qu’il ne fallait pas étudier l’offre de ce candidat.

MAIS CETTE POSITION DU DROIT FRANÇAIS ÉTAIT TROP STRICTE AU REGARD DU DROIT EUROPÉEN… une société pouvant en droit européen justifier de ce qu’elle avait suffisamment changé ses pratiques, ses équipes, ses règles déontologiques, pour justifier d’avoir droit à une rédemption plus rapide que ce qui est prévu par le droit français.

Les acheteurs publics devaient alors en effet tenir compte de jurisprudences délicates en ces domaines (voir notamment CJUE, 11 juin 2020, n° C-472/19 ; CE, 12 octobre 2020, n° 419146 ; C. const, n° 2021-966 QPC du 28 janvier 2022 : voir notre article : Pour les interdits de commande publique, pour cause de condamnation pénale, le droit écrit reste dur (décision du C. constitutionnel rendue à l’instant)… mais, déjà, la pratique doit être souple).

–> voir la vidéo faite par mes soins il y a quelques mois à ce sujet :

https://youtu.be/swBcHA-ukok

 

Etape 3 : LA LOI AU JO DE CE MATIN 

Pour mettre le droit français en compatibilité avec le droit européen ont été adoptés les articles 15 et suivants de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture (NOR : ECOX2229741L), publiée au JO de ce matin :

https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2023/3/9/ECOX2229741L/jo/texte

Le code de la commande publique est ainsi modifié en ses articles L. 2141-1, L. 2341-1 et L. 3123-1 pour poser que l’exclusion de la commande publique « n’est pas applicable en cas d’obtention d’un sursis en application […], d’un ajournement du prononcé de la peine […] ou d’un relèvement de peine ». Cela allait sans le dire, mais bon au moins est-ce plus clair.

Mais c’est surtout ensuite le nouvel article L. 2141-6-1 du CCP qui devra retenir l’attention, car celui-ci pose que (la mise en gras et soulignement étant de nous) :

« La personne qui se trouve dans l’un des cas d’exclusion mentionnés aux articles L. 2141-1, L. 2141-4 et L. 2141-5 peut fournir des preuves qu’elle a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité, notamment en établissant qu’elle a, le cas échéant, entrepris de verser une indemnité en réparation du préjudice causé par l’infraction pénale ou la faute, qu’elle a clarifié totalement les faits ou les circonstances en collaborant activement avec les autorités chargées de l’enquête et qu’elle a pris des mesures concrètes propres à régulariser sa situation et à prévenir une nouvelle infraction pénale ou une nouvelle faute. Ces mesures sont évaluées en tenant compte de la gravité et des circonstances particulières de l’infraction pénale ou de la faute.
« Si l’acheteur estime que ces preuves sont suffisantes, la personne concernée n’est pas exclue de la procédure de passation de marché.
« Une personne qui fait l’objet d’une peine d’exclusion des marchés publics au titre des articles 131-34 ou 131-39 du code pénal ne peut se prévaloir des deux premiers alinéas du présent article pendant la période d’exclusion fixée par la décision de justice définitive. » 

Il faut donc des « preuves » (et non de simples présomptions) que le soumissionnaire en voie de rédemption a pris mesures de nature à démontrer sa fiabilité par :

  • une réparation du préjudice causé par l’infraction pénale ou la faute,
  • une clarification totale des faits ou les circonstances en collaborant activement avec les autorités chargées de l’enquête
  • des mesures concrètes propres à régulariser sa situation et à prévenir une nouvelle infraction pénale ou une nouvelle faute.
  • et/ou autres éléments (en raison du « notamment » dans cette énumération)

.. le tout devant être calibré selon la « la gravité et des circonstances particulières » du dossier.

Ces preuves, c’est à l’acheteur public de les demander (art. L. 2141-11 du CCP) et à cette occasion, s’y ajoutent des demandes d’éléments sur le fait que la participation dudit soumissionnaire ne serait pas « susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement des candidats »

Bonne nouvelle : le droit est plus clair et cette loi semble épouser de près les exigences du droit européen.

Mauvaise nouvelle : il faudra pour les acheteurs publics faire montre de prudence au cas par cas… –

 


 

VOIR AUSSI CETTRE VIDEO

 

Voici également une vidéo de 5 mn 51, présentée par Me Evangelia Karamitrou et par votre serviteur, Eric Landot, qui sommes tous deux avocats associés au cabinet Landot & associés :

https://youtu.be/AF-4fSaFqhQ