Loi anti-squats : une décision importante du Conseil constitutionnel (notamment pour la création de régimes ad hoc de responsabilité de plein droit)

Saisi de la loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, le Conseil constitutionnel a, ce jour :

  • validé l’article 2 de la loi qui vise à exclure la possibilité pour les occupants de certains locaux dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement de bénéficier de délais renouvelables, lorsqu’ils y sont entrés à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. Il ne faut pas y voir une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, ni des droits de la défense, ni du respect de la vie privée
  • accepté de ne pas censurer l’article 4 punissant d’une amende de 3 750 euros la propagande ou la publicité en faveur de méthodes visant à faciliter ou inciter à la commission des délits de violation de domicile et d’occupation frauduleuse de certains locaux. Les dispositions contestées ne portent pas à la liberté d’expression et de communication une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi. Et le texte n’est, selon le Conseil constitutionnel, ni ambigu ni équivoque.
  • validé aussi le premier paragraphe son article 6 (réprimant l’introduction dans le domicile d’autrui et de s’y maintenir).Toutefois, par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel juge que, s’il est loisible au législateur de prévoir, à cet effet, que constitue notamment le domicile d’une personne un local d’habitation dans lequel se trouvent des biens meubles lui appartenant, la présence de tels meubles ne saurait, sans méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines, permettre, à elle seule, de caractériser le délit de violation de domicile. Il appartiendra dès lors au juge d’apprécier si la présence de ces meubles permet de considérer que cette personne a le droit de s’y dire chez elle.
  • validé le second paragraphe de ce même article 6. L’article 38 de la loi du 5 mars 2007 prévoit que la personne dont le domicile est occupé de manière illicite peut, sous certaines conditions, demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux. En cas de refus de ce dernier, le préfet doit procéder sans délai à l’évacuation forcée du logement. Les dispositions contestées de ce second paragraphe de l’article 6 étendent, sous certaines conditions, cette procédure à tous les locaux à usage d’habitation. Le Conseil constitutionnel a refusé de censurer cette réforme.
  • Était également contesté l’article 7 modifiant l’article 1244 du code civil afin de libérer le propriétaire d’un bien immobilier occupé illicitement de son obligation d’entretien et de l’exonérer de sa responsabilité en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien de ce bien. C’est le point le plus novateur de la décision du Conseil constitutionnel, même si d’un point de vue pratique ce n’est pas le plus important, sur le terrain.
    Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes de l’article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Il résulte de ces dispositions qu’en principe, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La faculté d’agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle. Toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée. Il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu’il n’en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs ainsi qu’au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l’article 16 de la Déclaration de 1789.
    En des termes inédits, le Conseil constitutionnel juge en outre que cette exigence constitutionnelle ne fait pas non plus obstacle à ce que le législateur institue, pour un même motif d’intérêt général, un régime de responsabilité de plein droit. S’il peut prévoir des causes d’exonération, il ne peut en résulter une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’obtenir l’indemnisation de leur préjudice.
    À cette aune, le Conseil constitutionnel juge que, en instituant un régime de responsabilité de plein droit en cas de dommage causé par la ruine d’un bâtiment, lorsqu’elle résulte d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction, le législateur a entendu faciliter l’indemnisation des victimes. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général.
    Toutefois, en premier lieu, d’une part, le bénéfice de l’exonération de responsabilité est accordé au propriétaire du bien pour tout dommage survenu au cours de la période d’occupation illicite, sans qu’il soit exigé que la cause du dommage trouve son origine dans un défaut d’entretien imputable à l’occupant sans droit ni titre. D’autre part, le propriétaire bénéficie de cette exonération sans avoir à démontrer que le comportement de cet occupant a fait obstacle à la réalisation des travaux de réparation nécessaires.
    En second lieu, les dispositions contestées prévoient que le propriétaire est exonéré de sa responsabilité non seulement à l’égard de l’occupant sans droit ni titre, mais également à l’égard des tiers. Ainsi, alors que ce régime de responsabilité de plein droit a pour objet de faciliter l’indemnisation des victimes, les tiers ne peuvent, dans ce cas, exercer une action aux fins d’obtenir réparation de leur préjudice qu’à l’encontre du seul occupant sans droit ni titre, dont l’identité n’est pas nécessairement établie et qui ne présente pas les mêmes garanties que le propriétaire, notamment en matière d’assurance.
    De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’obtenir réparation du préjudice résultant du défaut d’entretien d’un bâtiment en ruine. Il les déclare donc contraires à la Constitution.

 

Source :

Décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, Loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, Non conformité partielle – réserve