Non le Conseil d’Etat ne peut s’immiscer dans les sanctions disciplinaires internes à l’Assemblée nationale. Oui c’est normal (séparation des pouvoirs). Et cela paraît conforme à la position de la CEDH

Combien de fois le Conseil d’Etat devra-t-il répéter à certains députés que… non… non… au nom de la séparation des pouvoirs, le juge administratif ne PEUT connaître des sanctions disciplinaires internes aux assemblées parlementaires. Et l’argument de la CEDH ne devrait, sauf énorme surprise, pas justifier ce nouveau recours inutile. 

 

Une nouvelle fois des députés refusant de se soumettre à la discipline du jeu démocratique apaisé, constructif et policé, doivent se faire rappeler les bases en droit.

Une nouvelle fois, le Conseil d’Etat a eu à rappeler sa jurisprudence :

« 1. M. A…, député, a fait l’objet, lors de la séance publique de l’Assemblée nationale du 10 février 2023, d’une peine disciplinaire de censure avec exclusion temporaire pour avoir été reconnu coupable de provocations envers cette assemblée, sur le fondement des dispositions du 4° de l’article 70 et du 4° de l’article 71 du règlement de l’Assemblée nationale. Conformément au cinquième alinéa de l’article 72 de ce règlement, la sanction a été prononcée par l’Assemblée nationale sur proposition de son Bureau. La requête de M. A… doit être regardée comme tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de cette sanction.

« 2. Le règlement de l’Assemblée nationale détermine les peines disciplinaires applicables à ses membres, prononcées, selon les cas, par le Président, le Bureau ou l’Assemblée elle-même. Le régime de sanction ainsi prévu par le règlement de l’Assemblée nationale fait partie du statut du parlementaire, dont les règles particulières découlent de la nature de ses fonctions. Ce régime se rattache à l’exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement. Il en résulte qu’en vertu de la tradition constitutionnelle française de séparation des pouvoirs, il n’appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs aux sanctions infligées par les organes d’une assemblée parlementaire aux membres de celle-ci. La circonstance qu’aucune juridiction ne puisse être saisie d’un tel litige ne saurait avoir pour conséquence d’autoriser le juge administratif à se déclarer compétent. M. A… ne saurait utilement, par suite, se prévaloir des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatives au droit au recours effectif, lesquelles, telles qu’interprétées par la Cour européenne des droits de l’homme, n’imposent au demeurant pas qu’un parlementaire frappé d’une sanction disciplinaire jouisse d’un droit de recours juridictionnel.

« 3. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. A… ne peut qu’être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.»

Source :

Conseil d’État, 24 juillet 2023, 471482, aux tables

Certes existe-t-il un début d’incursion du juge administratif pour quelques actes des assemblées parlementaires, à tout le moins en matière de commande publique (CE, Ass., 5 mars 1999, 163328, au rec.) ou conventions d’occupation du domaine public (CE, 10 juillet 2020, n° 434582). Voir pour des applications récentes et intéressantes : CE, 2 décembre 2022, Société Paris Tennis (c/ Sénat), n° 455033, au recueil Lebon puis TA Paris, ord., 8 juin 2023, n°N° 2309069/3-5).

MAIS NON pour d’évidentes raisons de séparation des pouvoirs, ni le juge administratif ni le Conseil constitutionnel ne se reconnaissent de compétence en pour entrer dans la vie interne des assemblées parlementaires et, encore moins, dans leur régime disciplinaire. Citons par exemple ce résumé des tables du rec. :

    • « Le régime de sanction prévu par le règlement de l’Assemblée nationale fait partie du statut du parlementaire, dont les règles particulières découlent de la nature de ses fonctions et se rattache à l’exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement. Il n’appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs aux sanctions infligées par les organes d’une assemblée parlementaire aux membres de celle-ci » (CE, ord., 28 mars 2011, M. Gremetz, n°347869)

 

Certes… certes… mais il s’agit d’une ruse pour saisir ensuite la CEDH me direz-vous (en pouvant dire que toutes les voies de droit interne ont été tentées d’abord, avant de saisir la CEDH) ?

Réponse NON : ou alors le groupe parlementaire en question fait un pari audacieux sur une possible évolution de la position de la CEDH depuis l’arrêt de référence en la matière CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE KARÁCSONY ET AUTRES c. HONGRIE, 17 mai 2016, 42461/13;44357/13.

Toute la stratégie de l’avocat des requérants consistait à dire qu’un droit au recours doit exister pour que la procédure disciplinaire parlementaire puisse répondre aux exigences de la CEDH. Mais citons une partie de cet arrêt de 2016 pour constater que ce qui importe, c’est un droit de recours interne aux assemblées parlementaires et non un recours aux juridictions nationales :

« 159. À l’époque des faits, la législation nationale ne donnait à un député sanctionné aucun moyen d’être associé à la procédure pertinente, et notamment d’être entendu. La procédure conduite en l’espèce a consisté en une proposition écrite du président du Parlement tendant à infliger des amendes, puis en l’adoption de celle-ci en séance plénière, sans débat. Ainsi, elle n’a offert aucune garantie procédurale aux requérants. Les décisions des 6 et 24 mai 2013 (paragraphes 14 et 17 ci-dessus) ne renfermaient par ailleurs aucun motif pertinent expliquant en quoi leurs actions avaient été jugées gravement offensantes pour l’ordre parlementaire. Selon le Gouvernement, les requérants auraient pu contester les mesures proposées par le président devant l’Assemblée plénière, la commission de l’Assemblée ou la commission chargée de l’interprétation du règlement intérieur. Or la Cour estime qu’aucune de ces options ne leur aurait permis de contester de manière effective la proposition du président : elles se limitaient à une possibilité générale de faire une déclaration devant l’Assemblée ou de saisir certains organes parlementaires, sans la moindre garantie que leurs arguments fussent examinés dans le cadre de la procédure disciplinaire en question.
« 160. Signalons qu’une modification de la loi relative à l’Assemblée, qui permet désormais à tout parlementaire frappé d’une amende d’introduire un recours et de présenter ses arguments devant une commission parlementaire, est entrée en vigueur le 4 mars 2014, et que les garanties procédurales minimales qui s’imposaient en l’espèce apparaissent donc avoir été mises en place (paragraphes 28-29 ci-dessus). Cependant, cette modification n’a pas d’incidence sur la situation des requérants en l’espèce.»

Et c’est là que le débat existe. La plupart des juristes pensent que le droit de l’Assemblée Nationale suffit à répondre à ces exigences de la CEDH. Citons des extraits de l’article 72 du RI de l’A.N. :

« 4. Lorsqu’est proposée une peine autre qu’un rappel à l’ordre simple, le Bureau entend le député concerné ou, à la demande de ce dernier, l’un de ses collègues en son nom.
« 5 La censure simple et la censure avec exclusion temporaire sont prononcées par l’Assemblée, par assis et levé et sans débat, sur proposition du Bureau.»

 

Le fait d’être entendu (point 4.) au contraire de ce qui a été censuré par la CEDH dans l’affaire précitée AFFAIRE KARÁCSONY ET AUTRES c. HONGRIE,… suffit-il ?

Sans doute que oui, mais la CEDH peut décider de durcir sa jurisprudence. Mais ce n’est guère le plus probable.

Donc déposer ce recours perdu d’avance pour pouvoir saisir ensuite la CEDH…  était une démarche :

  • soit juridiquement très hardie,
  • soit absolument exempte de toute considération juridique.

 

Je parie pour la seconde explication. La com’. Et d’inutiles recours dans nos prétoires déjà bien encombrés.


 

Le seul avantage de cette affaire, c’est que celle-ci me donne un prétexte pour vous resservir le débat très intéressant à ce sujet entre :

  • Monsieur Didier MAUS,
    Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel
  • Monsieur Jean-Pierre CAMBY,
    Professeur associé à l’UVSQ – Université Paris-Saclay, docteur en droit

https://youtu.be/-IAhZ–ZttQ